Rennes comme bien d’autres villes de France voit fleurir depuis la crise de 2008 des « Bail à céder », « à vendre », « à louer », « locaux disponibles » : une bonne affaire pour les imprimeurs, mais quelle image pour les promeneurs ! Un article du Monde pointe cette désertification qui « touche principalement les villes moyennes de moins de 100 000 habitants, à l’image de Béziers ». Hélas, Rennes figure dans le lot. Vrai ou faux ? Les avis divergent.
Si ce phénomène est ancien aux États-Unis, il est apparu plus récemment en Europe, plus particulièrement dans les pays qui ont vendu leur âme à la grande distribution. En France, « La vacance commerciale – la proportion de magasins vides – progresse d’année en année depuis quinze ans. En 2014, le taux atteignait en moyenne 8,5 % pour les 300 plus grandes villes » indique Pascal Madry, directeur de Procos, fédération qui rassemble 260 enseignes de commerce spécialisé, dans le dossier du cahier « Eco & entreprise » du Monde du 12 janvier. L’auteur de l’article, Olivier Razemon, rappelle que cette désertification pèse lourdement sur l’activité économique – recettes fiscales en baisse, alors que les municipalités doivent assurer dans les centres des fonctions qui bénéficient à l’ensemble de l’agglomération comme les transports ou l’animation culturelle.
Pour contrecarrer cette tendance, les institutions locales de la capitale bretonne (Ville, Métropole, CCI, Chambre des métiers, Fédération régionale de l’Habillement, Carré Rennais, Union du Commerce) se sont associées pour activer « 10 leviers pour le commerce ». « Une chose impensable il y a 10 ans » assure Nicolas Duforeau, vice-président de l’Union du Commerce et directeur du CC Grand Quartier route de Saint-Malo. Et oui, pendant longtemps à Rennes, chacun a travaillé dans son coin, laissant aux technocrates ou aux élus (pas toujours compétents) la totale main mise sur les décisions en matière de commerce ! Résultat : des rues entières dédiées à une mono-activité (ex : les bistrots dans la rue Saint-Michel) aboutissent au désastre que l’on sait.
En France, un nombre considérable de magasins a fermé en 2009 et en 2013 pour atteindre un record en 2015 : « 12 600 fermetures pour 4000 ouvertures » d’après Nadine de Lhôpital (Fédération régionale de l’Habillement). Si la ville de Rennes peut se vanter d’une situation de vacance inférieure au taux national (7,8%), les habitants s’étonnent de voir le rez-de-chaussée de l’hôtel de Robien (angle rues Le Bastard et du Champ-Jacquet), celui d’un bar à l’angle des rues Saint-Malo et Legraverend, l’ancien Gaumont (quai Duguay-Trouin) et bien d’autres à l’abandon depuis des lustres. Sans parler des rues piétonnes médiévales dans un piteux état avec leurs vitrines vides ou masquées à la façon des villages irlandais qui étaient sur le chemin du cortège d’automobiles lors du G7 de 2010. Ces déguisements de façades avaient déjà été mis en œuvre avec les « villages Potemkine », quand le favori très zélé de Catherine II voulait montrer à son impératrice chérie une Russie pimpante lors de ses visites à ses sujets. La méthode a également été appliquée lors du voyage du pape François à Rio en 2013 pour qu’il voie des favellas plus jolies.
Parmi les facteurs avancés à Rennes pour cette « vacance », il y a d’abord la concurrence de la périphérie. La situation est aggravée par les travaux (métro, gare et Centre des Congrès), les difficultés de stationnement et les désordres structurels du bâti (souvent provoqués par la mérule ou autre champignon glouton). C’est le genre de mauvaise surprise qui fait que le Piccadilly est fermé depuis… cinq ans (mais devrait rouvrir en juin prochain). Et oui, 5 ans déjà ! On est d’ailleurs surpris de voir que cette institution rennaise apparaît dans le document remis à la presse lundi 1er février 2016 comme un « acteur majeur » aux côtés de Zara, le Colombia et les Galeries Lafayettes ! Pendant cette période, on aura tout entendu, y compris que Mac Do s’y installerait – sans doute parce que Mario Piromalli est dans l’affaire*.
Bonne nouvelle : depuis décembre dernier, on observe un léger regain d’ouverture de magasins dans les rues médiévales, du Chapitre, Pont-aux-Foulons et Saint-Georges. Ce retour est souvent lié à des prises de conscience des bailleurs qui allègent les loyers ou les conditions d’acceptation (voir notre article sur le regretté Chercheur d’art). Certaines grandes enseignes habituellement cantonnées aux zones périphériques, comme Biocoop, ont compris l’intérêt d’une présence en centre-ville. À quand l’ouverture d’un magasin de bricolage et d’articles de sport ?
Reste la question de la place de la voiture dans les centres, sachant qu’elle constitue un facteur de réussite du commerce. Ainsi à Nevers, ville extrêmement sinistrée au niveau démographique et économique, un poissonnier ayant obtenu de la municipalité un parking express, limité à 10 mn, devant sa boutique, a vu une amélioration de son chiffre d’affaires de 30%. Les adhérents du Carré Rennais ont prévu d’offrir à leurs clients une heure de stationnement gratuite ou des tickets de métro. De fait, les transports en commun semblent la meilleure réponse au maillage urbain. Encore faut-il que les réseaux communs et alternatifs irriguent bien, intelligemment et équitablement le territoire métropolitain.
Le plus bel exemple est sans doute celui de Grenoble qui a lancé une cinquième ligne de tramway pour dynamiser son cœur. Grâce à ce mode de transport (et après avoir beaucoup souffert pendant les travaux), les commerces de Grenoble comme de Nantes, Angers et Brest ont fait un grand bond en avant. On attend de voir l’effet à Rennes de l’arrivée de la seconde ligne de métro qui laissera cependant encore d’importants partie de la de ville loin des stations. Certes, le Centre des Congrès sera bien desservi lui par deux stations ! L’aréopage signataire du « plan d’action commerce » attend comme un deus ex machina son ouverture. Mais pas question d’ignorer le commerce de bouche, ni la langue de bois. Ainsi, nous promet-on (en levier 3) de « construire un centre-ville marchand élargi et unifié dont le secteur halles-centrales-République serait le futur barycentre ». Barycentre ? Foin de vos barrissements d’incompréhension, la définition est à chercher dans les dicos scientifiques que vous pouvez acheter dans les librairies… du centre-ville !
* La brasserie du Picadilly doit ouvrir au mois de juin 2016 sous la direction d’Alain Moisan et de son gendre Frédéric Gire, gérants du restaurant La Marine, et de Grégory Renou, PDG du groupe de restauration Convivio, dont la filiale Ruffault traiteur est spécialisée dans l’événementiel (notamment les salons VIP du Stade Rennais)