Chaleur humaine de Serge Joncour ou la parole du présent

chaleur humaine serge joncour
© Esteban Jaramillo Munoz (https://unsplash.com/fr/@esteban140401)

Retour à la terre, dérèglement climatique, cellule familiale éclatée, avec Chaleur Humaine, Serge Joncour poursuit sa description d’un monde en décomposition. Magnifique d’observation et d’humanité.

Ce dernier roman de Serge Joncour commence comme un air de déjà lu. On y parle des tempêtes de la fin du siècle précédent. On y voit des paysages du Lot, de Dordogne. On entend les meuglements des vaches dans les prés d’une campagne qui se désertifie. On parle d’un personnage hors du temps, un voisin hostile à la modernisation de l’agriculture productiviste. On observe surtout et encore une famille. Des parents agriculteurs en retraite, un frère, Alexandre, rencontré il y a dix ans dans L’Amour sans le faire, qui a repris l’exploitation et trois sœurs qui ont fui la campagne pour rejoindre la ville. Cela ressemble à une suite du magnifique roman précédent, Nature Humaine, Prix Femina 2020.

Mais alors que ce dernier récit orchestrait presque trente ans d’histoire nationale de la sécheresse de 1976 à la tempête de 1999, le temps raconté cette fois-ci est beaucoup plus court, deux mois seulement, du 25 janvier 2020 au 29 mars 2020, deux mois qui parlent encore à toutes et tous, deux mois inimaginables, deux mois insensés, ceux de l’arrivée de la Covid et des semaines de confinement. Pourtant, rétrospectivement, les Fabrier de Nature Humaine annonçaient à travers les lignes, ce dérèglement de la vie sur terre. Ils percevaient une humanité en péril dans laquelle les grands équilibres naturels n’étaient plus respectés. Comme si Serge Joncour avait deviné avant 2020 la catastrophe à venir, d’un univers en pleine décomposition.

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En ce début de 2020, ils sont incrédules les membres de la famille élevés aux Bertranges, cette ferme du Lot qu’exploite désormais seul Alexandre. On se moque et on regarde ébahis au Journal Télévisé les rues désertes d’Italie. On ne craint rien dans ce coin reculé de France où l’on se rencontre essentiellement au super marché du coin au moment de faire les courses de la semaine. C’est un peu plus embêtant pour les trois sœurs fâchées qui ont quitté le pays pour les villes, Toulouse, Rodez ou Paris, désireuses de fuir la terre ou même de quitter la famille, cette famille un peu en retard sur son temps, plus soucieuse de la météo et du changement climatique que du dernier Tweet d’un président américain décadent.

« Il en va des familles comme de l’amour, d’abord on s’aime, puis un jour on n’a plus rien à se dire, signe qu’on doit changer profondément ».

Ce changement nécessaire, ce satané virus va peut être l’imposer et devenir le catalyseur d’une belle réconciliation familiale. D’abord en faisant revenir tout le monde au bercail où la vie de toutes et tous a débuté. Dans cette ferme, il va falloir composer, accepter les autres et leurs différences, retrouver peut être le souvenir d’une enfance heureuse, en conjurant les peurs que ressuscite la pandémie.

L’auteur d’origine paysanne est monté lui aussi à la ville et dans nombre de ses romans, ses personnages par mimétisme, cherchent une nouvelle place. Pourtant le récit ne se transforme pas en plaidoyer manichéen entre les bons ruraux et les mauvais urbains et Serge Joncour préfère jeter un regard distancié et ironique sur les événements, à l’image de ce beau frère, un temps leader et animateur des Gilets Jaunes jusqu’à ce que les trop nombreuses manifestations du samedi obèrent son chiffre d’affaires de commerçant. La vie est plus complexe qu’un « c’était mieux avant » ou « la campagne c’est mieux que la ville ». Le roman aussi.

Regard interrogatif, Serge Joncour ne devient pas non plus journaliste reporter. Il dit des faits, dont on s’aperçoit d’ailleurs à la lecture combien nous les avons mis rapidement en sourdine, mais surtout il raconte des êtres humains ordinaires pris au piège de vies à construire entre rêves, fantasmes et réalité brute. Ils sont attachants et touchants les personnages du roman parce qu’ils sont vrais et nous ressemblent tellement. On les voit vivre devant nous, on a envie de les embrasser, de les étreindre ou de les rejeter, perdus qu’ils sont coincés entre la grande histoire collective et leurs modestes destins individuels.

Serge Joncour se plait de plus en plus à devenir le chroniqueur de notre époque. Alors que les photos de Depardon ou les textes de Marie Hélène Lafon auscultent un monde en cours de disparition, il examine le présent et les tentatives de passer d’un lieu à l’autre. Les Fabrier, les Bertranges, Alexandre, Caroline et les autres racontent, de romans en romans, une nouvelle comédie humaine, celle de ce début de siècle. Nature humaine, Chaleur humaine. On pourrait déjà suggérer le titre du prochain roman : Tendresse humaine. Ou Amour tout simplement, ce joli mot qui rime tant avec Joncour.

Chaleur Humaine de Serge Joncour. Éditions Albin Michel. 352 pages. 21,90€. Parution le 23 Août.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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