RENNES. ARCTIC BLUES, LA BEAUTÉ D’UNE CATASTROPHE AUX CHAMPS LIBRES

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Du 18 décembre 2021 au 24 avril 2022, les Champs Libres présentent Arctic Blues une exposition qui raconte la beauté polaire. Scientifiques et artistes se sont associés durant sept ans pour comprendre la beauté des pôles et la certitude de la catastrophe. La richesse de leur dialogue aura nourri les missions scientifiques et s’expose comme un plaidoyer pour la mer.

De retour de mission dans les régions polaires, des biologistes brestois se sont posés la question : comment raconter ses émotions devant la beauté des pôles et la certitude de la catastrophe dans un contexte de recherche scientifique ? Formés à plonger sous la glace dans le cadre de missions difficiles et déroutantes, les scientifiques revenaient, à juste titre, chamboulés de leurs expéditions. Dressés à ne pas parler d’émotion dans leurs recherches scientifiques, ils finirent par se faire rattraper par le besoin de parler, de raconter la beauté époustouflante des milieux polaires.

S’est alors mis en place un processus d’accueil de différents artistes lors des missions. « Une vraie complicité finissait par apparaître sous l’eau à -2°, dans l’obscurité, avec le bruit de la banquise, une faune luxuriante et des couleurs magiques […] Le décalage entre le merveilleux et la réalité de la recherche fait qu’on a eu des difficultés à parler de nos émotions, de notre ressenti », explique Laurent Chauvaud, biogéochimiste, écologue et plongeur scientifique au CNRS et coordinateur du laboratoire international associé BeBEST. « La nécessité d’appeler des artistes à partager nos recherches et notre quotidien s’est imposée par l’inconfort de cette incapacité à parler de nos sentiments au retour en Bretagne… »

Exposition Artic Blues Salle Anita Conti
Exposition Artic Blues Salle Anita Conti

De ce mariage entre art et science est né un dialogue dont artistes et scientifiques se sont mutuellement nourris : jusqu’au 24 avril 2022, l’exposition Arctic Blues restitue la richesse de ce dialogue. Elle présente sept années de recherche et de résidences entre artistes et scientifiques, réalisées au sein du Laboratoire international associé BeBEST qui s’appuie sur la collaboration entre le laboratoire LEMAR (CNRS/Ifremer/IRD/UBO) et l’Ismer en collaboration avec le Museum national d’Histoire naturelle.

Créée pour les Ateliers des Capucins à Brest en 2019, l’exposition a été adaptée aux Champs Libres avec comme ambition de diriger le regard du visiteur vers la mer et le sensibiliser à l’espace marin.

L’Histoire d’un projet

Tout commence lorsque Laurent Chauvaud, directeur de recherche en biologie marine s’intéresse, avec des équipes scientifiques, à la pêche de la coquille Saint-Jacques en rade de Brest. Après l’hiver extrêmement rigoureux de 1963, avec une eau de mer gelée et des températures autour de -10 ou -15°, la production de coquilles Saint-Jacques avait chuté d’environ 3000 à 200 tonnes. Un programme de repeuplement a alors été envisagé. Quarante ans après, les recherches centrées sur ce repeuplement vont prendre de l’ampleur et les questions vont s’élargir au fonctionnement des écosystèmes, dont les écosystèmes polaires où croît une seule espèce de coquille Saint-Jacques. Elle fera l’objet d’études et de missions scientifiques.

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Laurent Chauvaud © CNRS Photothèque-Erwan Amice

Calendrier et thermomètre, la coquille Saint-Jacques se révèle également un témoin précis des dégradations des océans grâce à ses stries en surface qui correspondent au jour. Ces découvertes vont pousser les chercheurs à voyager au gré de ce mollusque pour comprendre le fonctionnement des écosystèmes côtiers, en Bretagne, en Atlantique, puis à l’échelle mondiale, jusqu’en Arctique. Ces missions dans le froid de l’Arctique vont multiplier les recherches pour extraire des informations sur la fonte et les changements actuels des écosystèmes polaires.

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Le chercheur Laurent Chauvaud a construit sa carrière sur la découverte, faite en 1995, que les coquilles Saint-Jacques « fabriquent » une strie par jour © Erwan Amice / CNRS LEMAR

Une fresque scientifique sur le parvis des Champs Libres

L’exposition débute à l’extérieur, dès l’arrivée sur le parvis des Champs Libres. Une grande fresque, réalisée par l’illustratrice et artiste-plasticienne Lise Hascoët avec l’aide de scientifiques ayant pris part au projet, se dresse sur une structure de bois et appelle le passant. Elle retrace une dizaine d’années de recherches, de l’intérêt porté à la coquille Saint-Jacques jusqu’aux missions dans différentes zones du monde en passant par les découvertes extraordinaires autour de ce fascinant mollusque.

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Fresque scientifique : textes, dessins et photographies, Lise Hascoët, Jean-Manuel Warnet, Julien Thébault, Laurent Chauvaud, Yves-Marie Paulet, Sébastien Hervé

Passionnée par les recherches de BeBest, Lise Hascoët est partie à la rencontre des scientifiques et a suivi leurs avancées et découvertes autour de la coquille Saint-Jacques. Le dessin, outil scientifique, se révèle le médium parfait pour restituer l’aspect scientifique dans le cadre de l’exposition Arctic Blues. Ses dessins, accompagnés de textes et d’explications, retracent les recherches autour des écosystèmes dans d’autres zones du monde à partir du petit mollusque aux grands secrets.

Une histoire dessinée de 30 ans qui illustre à la perfection le propos de Laurent Chauvaud : « Une histoire qui commence dans la rade de Brest et qui finit en Arctique et en Antarctique, avec en filigrane la coquille Saint-Jacques. On a compris qu’il valait mieux descendre un laboratoire sous l’eau que remonter les animaux dans les laboratoires. »

L’exposition Arctic Blues se poursuit à l’intérieur du bâtiment, dans la salle Anita Conti, avec « Avant la débâcle », un corpus de photographies et de textes de Jean-Manuel Warnet, Alain Bergala, Sandrine Paumelle, Erwan Amice et Jean Gaumy. Parmi les premières œuvres exposées se trouvent les photographies d’Erwan Amice. Plongeur, technicien et photographe sous-marin, il livre des clichés extraordinaires réalisés sous la banquise, dans de l’eau glaciale où seuls quelques puits forés illuminent l’obscurité totale des fonds marins. Ces ambiances bleutées, tant féérique qu’angoissante, donnent à voir la réalité et la difficulté des plongées sous-marines dans des conditions extrêmes.

« Laisses-toi porter ! », Jean Gaumy.

Sur une grande partie des cimaises de couleur anthracite, les photographies de Jean Gaumy, le premier artiste invité aux missions polaires, s’étendent, alternant les clichés noir et blanc et couleurs. Photographe pour Magnum Photos, il a pris part à quatre missions et a également rapporté de ces expériences des clichés hors du commun. De cette expérience, il retient l’importance de recevoir de la nature au-delà d’aller prendre des photos. Dans un premier corpus en couleurs, il présente la nature dans son éphémérité, dans le paradoxe de cette catastrophe qui se produit sous les yeux de l’homme, mais qui génère une beauté cristallisée.

Voilà ce dont il témoigne : « Ce qui est présent aux yeux ne sera plus jamais là, l’homme ressent quelque chose de la catastrophe à grand niveau, et scientifiques et artistes ne peuvent qu’être humbles devant le grandiose de cette nature ».

Glacier. Daneborg, Groenland, 2016 © Jean Gaumy/Magnum Photos

Comme des souvenirs de sa lecture de Jules Verne, Au centre de la terre, il nous raconte son aventure au cœur de la glace, où les icebergs offraient leur ventre d’entrelacs bleus et glacials entre imaginaire et réalité. « Ce monde vous incendie le cœur. » Mais derrière ces clichés une vérité implacable : cet iceberg formé d’eau douce, vieille de 200 000 ou 400 000 ans, n’a rien à faire là. La glace fond et elle est arrachée à un continent en train de s’émietter…

Le deuxième corpus photographique de Jean Gaumy immortalise les plongées et les missions dans le grand froid du Groenland ou du Spitzberg. En noir et blanc, elles rejouent les magazine année 50-60 des premières expéditions au pôle nord. Jean Gaumy retrace la fatigue et le froid, à creuser des trous dans la glace pendant 8 h d’affilée avant d’aller plonger. On y voit les corps fatigués, la difficulté, le réel danger dans une eau gelée. Et c’est sans oublier les ours polaires qui rôdent et dont il ne faut pas oublier la présence.

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© Jean Gaumy /Magnum Photos

« Falling sun » de Benjamin Deroche

Arctic Blues expose également « Falling Sun », la série photographique de Benjamin Deroche, photographe et plasticien parti sur deux missions différentes à Saint-Pierre-et-Miquelon. L’objectif étant de suivre les opérations des scientifiques dans les phases de préparation, de réflexion et de plongée, mais aussi de conscientiser certaines réalités. Parmi les photographies exposées aux Champs Libres, beaucoup retracent ce moment de la plongée et surtout l’angoisse qu’elle génère auprès de ceux qui attendent le retour de ceux qui se sont fait engloutir par la mer :

« L’important ici en tant que photographe étant d’apporter un point de vue sur l’objet de leur recherche et permettre de laisser une trace iconographique de la mission. Dans une seconde phase de travail j’ai photographié le paysage et procédé à mes installations à travers de micro expéditions dans les espaces naturels de l’île. », soulignait benjamin Deroche.

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Plongeur de l’équipe BeBEST, Saint-Pierre et Miquelon, août 2017, © Benjamin Deroche.

SONARS, une immersion sonore dans les fonds marins

Au centre de la salle Anita Conti, un dôme métallique se dresse, forme étrange qui semble sortie de l’imaginaire des scientifiques… Ce dôme a été créé spécialement pour une immersion totale dans les créations sonores de Maxime Dangles, Mirabelle Gilis, François Joncour et Vincent Malassis, créations intitulées SONARS.

SONARS, c’est avant tout une rencontre au long cours entre art et science, initiée en 2018 par la salle de concert Brestoise La Carène et le laboratoire franco-québécois BeBest. Les fonds marins sont loin d’être le « monde du silence », et l’activité humaine a souvent un impact important sur les espèces qui y vivent, une matière sonore pour les artistes et sujet scientifique pour lequel il importe d’interpeller et d’informer le public par tous les moyens.

Durant des semaines, François Joncour a observé et interrogé les scientifiques du laboratoire aussi bien sur leurs pratiques scientifiques que sur leurs pensées et sur leurs goûts musicaux, enregistré des sons, et abouti à de véritables portraits sonores qui constituent chaque piste de l’album Sonars Tapes, qu’il s’agisse des chercheurs ou de leurs terrains de recherche.

Un des autres morceaux disponibles sous le dôme immersif d’Arctic Blues se nomme Strates, composé par Vincent Malassis. Il s’agit d’un travail réalisé en couches à partir de sons enregistrés avec l’hydrophone (un microphone destiné à être utilisé sous l’eau), des sonorités riches et semblables à des instruments connus de l’Homme. Ce morceau évoque le froid, la fonte des glaces, les trous éparses dans la banquise, la descente dans le noir et l’angoisse qui prend à la gorge. « Autant de sensations dont l’écoute à 360° permet une immersion totale dans cette ambiance polaire, spatiale, presque contemplative », souligne l’artiste, qui souhaite également rendre hommage à la musique minimaliste.

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Vincent Malassis, Pimp my Harp, 2019 Bois de hêtre, peinture de carrosserie, cordes en acier, chevilles en ébène 140 x 85 x 10 cm

Et Vincent Malassis ne se limite pas à la musique. Également artiste plasticien, il a réalisé des œuvres exposées à la Passerelle à Brest en 2019 lors d’une exposition The Noisy Word, dont Pimp my harp, actuellement exposée aux Champs Libres. Nourrie des recherches et des découvertes scientifiques faites lors des différentes missions de BeBest, cette œuvre s’inspire directement de l’organe vocal de la langouste.

Ce crustacé ayant la capacité de se faire entendre jusqu’à 2,7 km sous l’eau, les scientifiques ont finit par découvrir qu’il possédait un organe au pied de ses antennes, organe formé de onze cordes qu’il frotte à la manière d’un violon qu’on frotterait avec un archer. Des sons se forment alors grâce à l’impact des cordes. Cette création reprend le modèle de cet organe vocal avec les cordes en sens inverse d’une harpe classique.

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Arctic Blues est une ode à la beauté de la nature dans le paradoxe de la catastrophe qu’elle traverse. Dans ce désastre imminent, la nature propose paradoxalement des paysages sublimes dans une générosité époustouflante. Le dialogue qui a été établi depuis une dizaine d’années entre les scientifiques et les artistes donne à voir des images témoins à couper le souffle, des clichés pris d’une nature qui n’aura plus jamais ce visage, des sons des fonds marins, et pourtant presque spatiaux, qui relatent ce grand vide, ces pôles bleus où tout givre et gèle, où la vie est au prix de conditions souvent extrêmes. « Ce sont des gens qui paient de leur peau », rajoutait Jean Gaumy.

Ces missions vécues pendant sept ans par artistes et scientifiques sont exposées dans leur majesté aux Champs Libres jusqu’au 24 avril 2022. L’occasion de découvrir un monde, un écosystème, la beauté de la mer dans le froid de l’Arctique, entre recherches, hésitations, échecs et découvertes.

Infos pratiques

Arctic Blues du 8 décembre 2021 au 24 avril 2022 – Emmanuelle Hascoet, commissaire de l’exposition

Salle Anita Conti et extérieur

Les Champs Libres, 10 cour des Alliés, 35000 Rennes

Médiation

Visite commentée de l’exposition

Tous les samedis et dimanches à 14h30 et 16h30

Visite flash (visite raccourcie à destination des familles)

Tous les samedis et dimanches à 15h.

Tous les jours pendant les vacances scolaires à 15h30.

Dimanche 30 janvier – 16h

Inuk en colère – projection, 1h30, auditorium des Champs Libres.

Du 10 novembre 2021 au 14 janvier 2022

+2° de Vincent Grison, exposition photographique (maison des Associations de Rennes, 6 cour des Alliés, 35000 Rennes).

Horaires des Champs Libres

Mardi à vendredi – 12h / 19h

Samedi et dimanche – 14h / 19h

Toutes les informations sur leschampslibres.fr

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