L’exposition Le Rayon extraordinaire de Fred Murie et Flavien Théry, réalisée en collaboration avec l’enseignant-chercheur Julien Fade, s’ouvre aux Champs libres, dans la salle Anita Conti. Depuis 2011, le duo livre une approche sensible des lois physiques qui composent notre monde. Du 17 novembre 2022 au 5 mars 2023, une vingtaine d’œuvres, née d’une résidence autour de la polarisation de la lumière, invitera le public à s’aventurer au-delà de notre perception du monde réel, empreint d’un imaginaire insoupçonné.
Nous le savons, les termes scientifiques peuvent effrayer, paraître barbares, alors qu’ils désignent des phénomènes que nous côtoyons au quotidien. Parmi eux, la polarisation de la lumière, sujet de la nouvelle exposition des Champs libres, Le Rayon extraordinaire. Ce phénomène optique, omniprésent dans notre quotidien, désigne le processus d’orientation ou de filtrage des ondes lumineuses dans une seule direction, ce qui affecte ce que vous pouvez voir. Le reflet du paysage sur l’eau, le ciel bleu ou encore l’affichage des écrans à cristaux liquides (LCD) en sont autant de manifestations.
Le duo d’artistes Flavien Théry et Fred Murie, l’enseignant-chercheur Julien Fade (Université Rennes 1) et le musicien Thomas Poli croisent leurs recherches afin de proposer une approche sensible de cette réalité d’ordinaire imperceptible.
Derrière le collectif Spéculaire, devenu depuis peu une association, se trouvent Fred Murie au parcours scientifique et Flavien Théry, diplômé de l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg. De leur rencontre, à la crèche où allaient leurs bambins puis dans une école d’arts appliqués où ils intervenaient, est né un binôme qui met ses compétences respectives au service d’œuvres où se mêlent art et science. « On s’est rapidement aperçus qu’on était assez complémentaires et qu’en travaillant ensemble, on pourrait développer des projets qu’on ne ferait pas individuellement et, ainsi, aller plus loin », déclare Flavien Théry.
Flavien Théry est intéressé par le spectre de la lumière et la nature physique du phénomène. Il explore ce qui est visible et invisible, matériel et spirituel. L’artiste imagine des dispositifs pour donner une forme concrète à des lois physiques. En 2015, le duo avait par exemple créé La Mer est ton miroir. Équipé d’un dispositif de captation, le visiteur assistait, en images, à la traduction de son activité cérébrale en mouvements océaniques. Les compétences de Fred Murie, dont un des intérêts de recherche est la contrainte, interviennent quant à elles dans la mise en application des idées, notamment par l’intermédiaire du code informatique. En 2017, Uchrony mettait en scène, dans une installation vidéo, la société de la surveillance invisible et permanente à l’aide des technologies numériques. « Ça peut passer par des langages informatiques, de la génération de contenus à travers des langages de programmation, ou de vidéos de nature très variée comme c’est le cas dans l’exposition aux Champs libres. »
Dans le cadre de la résidence Artet, en lien avec l’Institut FOTON (Insa Rennes), le duo s’est intéressé à la lumière polarisée. L’exposition Le Rayon extra-ordinaire est l’aboutissement de deux ans de travail (2020-2021), en collaboration avec Julien Fade, spécialiste de l’imagerie polarimétrique, et le musicien Thomas Poli.
Contraint par les lois physiques, rigoureux dans la mise en œuvre des règles, Spéculaire propose des expositions de nature artistique. L’association n’a pas pour but de s’inscrire dans la vulgarisation scientifique, cette dernière étant « une nourriture pour des propositions qu’on espère poétiques », comme le souligne Flavien Théry. Comment visualiser des phénomènes abstraits, comment représenter la réalité ou comment l’interroger sont autant d’interrogations que se posent artistes et scientifiques. Le duo donne forme à ces questionnements pour une approche sensible des phénomènes, dans l’idée que le réel comporte un lien fort avec l’imaginaire. « Ce qui nous intéresse, c’est ce que les phénomènes physiques révèlent d’une dimension imaginaire. On cherche des passerelles entre les deux », explique-t-il encore. Tous deux cherchent à ouvrir, matérialiser la « charge imaginaire » existant autour de nous. Suscitant l’émerveillement et la curiosité, Flavien Théry et Fred Murie révèlent l’extraordinaire dans ce que l’on considère comme ordinaire.
Mais de leur collaboration avec Julien Fade est né, pour la première fois, un volet scientifique, pendant du travail purement visuel du duo. Un texte rédigé par le chercheur accompagnera les œuvres et donnera des clés de compréhension des phénomènes physiques qui sont en jeu. Flavien Théry complète : « Notre ami chercheur souhaitait que l’exposition puisse aussi être un relais pour rentrer dans des questions plus scientifiques. »
Ce cheminement dans ce monde du rayon extraordinaire amène de la découverte du phénomène avec le cristal de calcite jusqu’aux liens avec le vivant, en passant par l’analyse de différentes évocations de la lumière et des ondes. « On s’est intéressés à ce que la polarisation peut nous révéler du vivant, mais aussi sa place chez certains animaux notamment », informe Fred Murie.
Les artistes ont volontairement multiplié les médias pour une large variété de manipulations et des propositions visuelles marquantes, aux allures futuristes pour certaines. Flavien Théry précise : « Chaque pièce dialogue et crée un ensemble ». Les procédés scientifiques exploreront toutes les possibilités de ce phénomène physique dans une diversité de médium – de la sculpture à la réalité virtuelle en passant par des écrans détournés, des photographies et des impressions 3D – qui ont un point commun de tromper les sens et d’offrir des points de vue perturbants.
Le Rayon extraordinaire montrera la faculté de notre cerveau à changer notre perception des choses, à voir l’œuvre différemment selon l’angle d’observation et le point de vue. La totalité des pièces jouera sur ce basculement de la lecture que le cerveau fait de ce qui lui est donné à voir. Une œuvre changera par exemple de couleurs selon l’angle ou l’image d’un oiseau deviendra un paysage, un relief de montagne coloré selon la position du public dans l’espace.
« On cherche ce moment troublant où le cerveau bascule d’une perception à une autre. »
Fred Murie
L’expérience du rayon extraordinaire est autant visuelle que sonore puisque les lieux seront enveloppés de la musique de Thomas Poli, avec qui Flavien Théry a déjà travaillé. Dans Candor Chasma, projet qui porte le nom d’une région de Mars, Flavien Théry avait construit son propos autour d’une image de Mars, issue des bandes d’images de la NASA. « J’avais fait tisser un tapis stéréoscopique qui permettait de fouler le sol de Mars quand on marchait dessus. » La musique ambient et atmosphérique de Thomas Poli insufflait à l’ensemble des pièces une dimension plus pénétrante, plus immersive. « J’avais trouvé que la temporalité de l’exposition était complètement autre du fait d’être dans la musique. Comme si on se donnait beaucoup plus le temps, qu’on était plus déconnecté et qu’on rentrait davantage dans l’univers », se rappelle l’artiste.
Plus rythmée que dans leur première collaboration, la musique de Thomas Poli accompagne le public dans son cheminement physique et sensible dans l’exposition, créant une unité englobante. Les notes de piano, les sonorités électroniques et les nappes plus saturées tendent à plonger le visiteur dans un espace temps suspendu, dans lequel il perd la notion du temps pour se focaliser sur l’action qu’il est entrain de vivre. « La sonorisation de l’exposition est souvent plus de l’ordre du bruitage que de la musique », intervient Fred Murie. « Ce qui m’a séduit dans l’ancien projet de Flavien et Thomas, c’est qu’on n’est pas seulement sur de la sonorisation, mais sur une vraie création musicale. »
Dans cette expérience sonore et visuelle, scientifique et artistique, qu’est cette nouvelle exposition, Spéculaire invite à découvrir les merveilles parfois invisibles de notre monde réel en ce qu’il a de plus extraordinaire.
L’exposition Le Rayon extraordinaire est à découvrir du 17 novembre 2022 au 5 mars 2022 dans la salle Anita Conti, aux Champs libres, 10 cours de Alliés, Rennes.
Et, dans le cadre des Mardis de l’Espace des sciences, Julien Fade donnera une conférence autour de “la polarisation de la lumière : du « rayon extraordinaire » aux applications modernes“, mardi 29 novembre à 20 h 30 (durée : 2h).