Avec Chanson Bretonne, Le Clézio recherche les sensations de son enfance. Celles qui font du bien, du mal, et celles qui construisent un adulte. La douceur des mots pour se souvenir d’événements tendres ou violents.
Toute l’oeuvre de Le Clézio tourne autour de sa géographie personnelle, de son itinérance au cours d’une vie marquée par le voyage. Rodrigues, Mexique, Nigeria, Maurice, Tanger et tant d’autres. Le bientôt octogénaire, l’âge venant, complète sa carte du monde en revenant sur deux lieux de ses origines, ceux d’avant l’âge de 7 ans : la Bretagne et Nice avec sa proche vallée de la Vésubie. Ces deux lieux inspirants, que l’on a déjà rencontrés dans ses textes, il les raconte sous la forme de ce qu’il appelle « les contes ». « Contes » c’est à la fois le travail de l’imaginaire, du fantastique, de la découverte, de la peur. De l’émotion. C’est cela que l’écrivain va s’attacher à décrire dans son ouvrage, cette émotion qui bouleverse le corps et le coeur, cette émotion originelle d’un enfant, faite de petits événements, qui va le suivre toute sa vie.
« J’ai trois ans. Est ce qu’on peut mettre des mots sur ce qu’on ressent à cet âge? Sans doute pas de mots, sauf ceux-ci : c’est la première fois ».
Alors les faits, il les pose là, comme cadre, mais ils n’ont guère d’importance, ils ne sont qu’un support. « Je me méfie des livres de souvenirs. Ils donnent souvent un mélange confus, contradictoire, une sorte de soupe originelle (…) ». Un jour à Nice, il fait sa toilette quand explose une bombe dans la cour de l’immeuble. Une bombe probablement canadienne puisque c’est cela que raconte l’Histoire. Alors il écrit une « bombe canadienne » et n’en parlons plus. L’essentiel est ailleurs, dans cette explosion, cette sensation, cette peur qui depuis l’habite encore, plus de soixante dix ans après. Et dont il narre merveilleusement l’impact physique et psychologique, présent encore aujourd’hui, comme des traits préhistoriques gravés sur un menhir.
Au long de ses réminiscences, c’est d’abord la Bretagne que Le Clézio retrouve. Une Bretagne, qui, elle ne le sait pas encore, vit les derniers mois d’un monde ancien, millénaire, celui du parler breton, du bocage, des récoltes à la main, des églises pleines d’enfants et de femmes aux hautes coiffes. C’est la Bretagne de Sainte Marine, celle qui donna son nom au Prix Nobel puisque son patronyme Le Clézio provient du mot « Cleuziou », qui signifie en breton : talus. Ces talus qui vont disparaître justement au profit d’une agriculture intensive. Bien qu’il s’en défende, l’écrivain fait poindre beaucoup de nostalgie sous sa plume, exprimant l’air de rien la petite musique de « c’était mieux avant ». On le préfère quand il revient à son projet initial, retrouver ses sensations, comme celle que lui procure un poulpe, dont chaque jour, il recherche la caresse insidieuse dans l’eau glacée de la mer. On l’aime plus encore, quand il trouve les mots pour décrire la force de ses vagues qui déferlent dans les anses et criques, ou quand il évoque la musique d’un biniou « là, un soir, dans la lande, dans le vent et la pluie, loin des maisons pour ne pas faire aboyer les chiens, tout ce qu’on a cru disparu reviendra ».
C’est dans son enfance pendant la guerre à Nice et dans l’arrière-pays, que le projet initial d’écriture trouve sa plus grande force quand il révèle que ses premières années furent « une peur sans visage, sans nom, sans histoire » et que « les enfants ne savent pas ce qu’est la guerre ». Les souvenirs ne sont plus l’occasion d’évoquer une arcadie oubliée, mais plutôt la fragmentation que peut provoquer un monde en guerre et dont un enfant peut penser qu’il s’agit de la norme. Où est la normalité quand un adolescent, voisin et ami, explose avec une bombe qu’il transportait? Quel lien avec la recherche des vipères qui glissent dans le champ même du drame?
La Bretagne des vacances est l’enfance de l’insouciance, des odeurs, du plaisir, celle de la Côte d’Azur est la période des manques, des restrictions, de cette faim, qui attaque le corps mais aussi l’esprit. Ces deux contes se rencontrent, se télescopent parfois, mais nous rappellent que l’adulte est le fruit de ses terreurs et joies d’enfance. Une évidence parfois oubliée et que Le Clézio nous rappelle avec sa prose poétique et bienveillante.
Chanson bretonne suivi de L’enfant et la guerre de JMG Le Clézio. Éditions Gallimard. 154 pages. 16,50€.
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