C’est dans le cadre de son programme Les Divas du monde que l’opéra de Rennes ouvrait ses portes à Annie Ebrel pour deux représentations les 7 et 8 avril 2015. Après la musique de Zanzibar et son « khitara », l’authenticité du Kurdistan et son « Nishtiman », sans oublier les chants rauques et passionnés d’Ines Bacan et son flamenco, c’est enfin la Bretagne qui présentait l’une de ses chanteuses emblématiques avec le sensible Ar c’hanaouennoù c’ha d’o’r huanadennoù, Le Chant des soupirs.
Loin de la bretonnitude de récupération, affichée dans le but de sauver une carrière en perte de vitesse (à la façon de Nolwenn Leroy, se souvenant très opportunément de ses origines), Annie Ebrel est authentique et émouvante. Quoique son concert n’ait guère duré plus d’une heure, elle a fasciné le public et entraîné dans un monde poétique et dépouillé où tout artifice et toute facilité sont exclus.
Elle nous invite à écouter une jolie et simple histoire : celle de sa propre vie de petite bretonne née dans la patrie de la gavotte. C’est naturellement qu’elle nous décrit la vie humble, dépouillée, mais courageuse et digne qui fut celle de sa grand-mère née en 1903. Ce qu’elle décrit rappelle furieusement les récits de Per Jakez Elias et « son cheval d’orgueil ». Comme ce grand livre décrivant une certaine Bretagne, elle narre avec des mots simples comment la tradition orale a fait d’elle une mémoire vivante et le miroir de sa terre natale. Alternant le Breton et le Français pour que nous ne perdions pas le fil de son récit elle exerce sur son public une douce fascination et le tient en haleine, transformant les étapes simples de son histoire en un touchant parcours initiatique.
Elle est pour cela très bien encadrée par une équipe de qualité. En tête un excellent musicien en la personne de Kevin Seddiki, jouant tout aussi bien de la guitare que du Zarb, créant des traits d’union musicaux propices à la réflexion. La technique est aussi mise à l’épreuve et Aby Mathieu a une tache assez rude avec les lumières, car le spectacle se déroule dans une pénombre propice mais périlleuse à gérer tant nous évoluons sur le fil du rasoir. La mise en scène de Pierre Guillois est tout aussi digne de louanges ; elle sait se mettre au diapason par son dépouillement et sa sensible poésie.
Nul n’est prophète en son pays : c’est devant un théâtre un peu trop clairsemé qu’Annie Ebrel a tourné pour nous les pages de son journal musical intime. Le titre elle le doit à une autre de ses grands-mères qui lui racontait que les chansons deviennent des soupirs quand on les oublie. Quelle jolie vision des choses ! Alors qu’elle termine l’une de ses chansons, elle se retire peu à peu de la scène et, soudain, retentit la voix enregistrée de l’une de ses grands-mères alors que tout un public reste figé dans un instant d’émotion et de respect.
Si un mot devait résumer la prestation d’Annie Ebrel c’est vraiment celui d’authenticité. Le même souci de transmettre des traditions comme les sœurs Goadec et leurs fameuses interprétations du traditionnel kan ha diskan, Yan Fanch Quemener, Dan ar Brazh, Denez Prigent et tous ceux qui portent haut la flamme de la Bretagne et préservent sa vitalité.
Je sais d’où je viens, je n’ai pas peur de ce qui est différent, de ce qui est étranger, parce que je sais que je ne me perdrai jamais. (Annie Ebrel)
Création Annie Ebrel Le chant des Soupirs duo avec Kevin Seddiki.
Mis en scène par Pierre Guillois
Prochains rendez-vous :
18 avril 2015 à La Passerelle à St Brieuc
6 juin 2015 au Théâtre des Abbesses à Paris