CHARLES MORT OU VIF, UN FILM D’ALAIN TANNER OU MAI 68 RÊVÉ SUR LES RIVES DU LÉMAN

Qui a vu et se souvient du film Charles mort ou vif, tourné en 1969 par Alain Tanner ? Qui se rappelle qu’il est l’un des plus beaux moments cinématographiques de l’après-mai 68 ? Ce film – le premier de ce réalisateur – est né en Suisse, au bord du Léman, autre pays du matin calme. Et là a surgi de l’esprit d’un chef d’entreprise genevois, las de sa vie parfaitement réglée, la révolte contre un ordre social convenu et figé à jamais, « helvétique » en un mot !

Paradoxalement, en effet, l’insoumission dans ce film ne vient pas d’une jeunesse en colère. Au contraire c’est un « aîné » qui transgresse et subvertit et c’est un jeune qui reproduit l’ordre conservateur. C’est un père qui se révolte et se marginalise, et c’est son fils qui veut prolonger le conformisme social et politique de son pays.

ALAIN TANNER
François Simon

En deux mots, Charles Dé (interprété par un sobre et magistral François Simon), patron d’une petite entreprise (suisse donc horlogère, bien entendu !) dont on fête le centenaire, lassé d’une vie bien réglée et morne – « Notre vice national, dit-il, c’est le goût immodéré de la médiocrité » -, poussé par un fils pressé de remplacer ce père de plus en plus absent et démotivé, s’échappe de sa famille, de son travail sans laisser ni adresse ni message (sauf à sa fille, jeune étudiante rebelle et complice de cette fuite), se réfugie dans la maison de Paul et d’Adeline, des marginaux rencontrés par hasard qui l’accueillent dans leur pauvre refuge. Là il parle et échange avec ses deux nouveaux compères, aide à leurs tâches manuelles, il lit, réfléchit, rêve le monde et revit. Charles était « mort » et puis, un peu grâce à ces deux-là loin du monde qu’il a quitté, Charles est « vif », à nouveau.

ALAIN TANNER

Ce film nous montre une Suisse grise et sans charme, loin des clochers et des clichés, une Suisse ironiquement rêvée par Adeline imaginant « les quais du lac devenus un port charbonnier, avec des péniches noires et des cargos, et une magnifique aciérie. La nuit, ajoute-t-elle, mi- amusée, mi- sérieuse, on l’entend ronfler et les flammes rouges dansent sur les eaux du lac. »

ALAIN TANNER

La pauvreté du décor et du cadre de vie de ces trois personnages réunis ne met que mieux en valeur l’essentiel du film qui est dans la parole – « J’ai fait un film-discours » déclare Tanner – développée dans des dialogues savoureux, décapants, ironiques, parfois même poétiques, et toujours actuels. Tout y passe, en des termes et des thèmes dont on débat plus que jamais encore aujourd’hui : le mode de vie matérialiste, la course à la consommation, le système économique et social qui ne vous lâche pas, l’environnement que l’on détruit.

« Pourquoi vous n’aimez pas les bagnoles ? » demande un jour Paul à Charles. Sa réponse est imparable et nette : « Premièrement la position du conducteur est très mauvaise, elle coupe la digestion et engraisse le cœur. […] Deuxièmement la circulation est devenue l’art dramatique des imbéciles. Les accidents sont de misérables tragédies […] et les risques de la route, tout ce qui nous reste d’aventure. […] Et pour terminer, l’automobilisme est un système d’accumulation, d’entassement, mais qui n’apporte pas le moindre échange, à part bien entendu celui de grossièretés, et où les gens ne se rencontrent jamais. C’est un système de dispersion sociale : chacun dans sa petite boîte. Et […] à travers l’automobile, les compagnies pétrolières et les marchands de tôle imposent leur loi, détruisent les villes, font dépenser des fortunes en route et en flics, empuantant le monde et surtout font croire aux gens qu’ils ne désirent plus rien d’autre ! » Cinquante ans plus tard, rien n’a vraiment changé…

ALAIN TANNER

Quid de la fin de l’histoire ? Le fils finira par retrouver le père, détective privé aidant, et le fera interner, rien de moins. L’ordre est revenu à la maison helvétique, mais – derniers mots et dernier plan du film –  « Rira bien qui rira le dernier ».

ALAIN TANNER

Charles mort ou vif d’Alain Tanner, Suisse, 1969, 93 minutes, avec François Simon, Marcel Robert, Marie-Claire Dufour, André Schmidt, Maya Simon, Jean-Luc Bideau.

Photographie : Renato Berta. Musique : Jacques Olivier. Montage : Jacques Olivier. Société(s) de production Groupe 5, Télévision Suisse Romande (TSR).

Restauré par la Cinémathèque suisse avec le soutien de Memoriav et de la RTS, avec la collaboration de Renato Berta, au laboratoire L’Immagine Ritrovata (Bologne) et la participation de l’Association Alain Tanner.

Récompense(s), sélection(s) 1969 Semaine de la Critique Cannes 1989 Festival de Locarno, Pardo d’oro.

ALAIN TANNER
Alain Tanner

Toute la biographie et filmographie d’Alain Tanner sur ce site ici.

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