Le commandant Eric Lanester de la crim’ de Paris, avec lequel les lecteurs auront déjà fait connaissance dans A la vue, à la mort, est envoyé par son supérieur à Chamonix, mais pas pour des vacances, loin de là ! Il n’est pas très heureux à l’idée de partir et de se retrouver loin de la psy dont il a un besoin maladif (bien plus que de sa copine Léo), mais de plus, il va se retrouver dans une histoire vraiment déroutante, et largement aussi angoissante que ses terreurs et phobies personnelles.
Plusieurs jeunes filles de la région ont disparu, et n’ont pas été retrouvées. On a suspecté au départ des fugues, d’autant plus que les ados concernées sont « à problème » : toutes anorexiques, à un degré avancé de la maladie. Lanester est profiler, il doit donc comprendre la psychologie des gamines disparues, entrer dans leur tête, suivre leurs états d’âme, se mettre à leur place. Pas évident du tout, d’autant plus qu’il semble qu’aussi bien les parents que le personnel médical ayant été en contact avec les jeunes ne disent pas tout ce qu’ils savent. On comprend le malaise des parents, cette maladie ayant la réputation d’apparaitre quand l’adolescente a des problèmes relationnels avec sa famille proche, mais celui du corps médical est plus suspect. L’enquête mettra d’ailleurs vite à jour le fait que toutes ont fait un séjour dans la même clinique spécialisée, et les soupçons s’orientent sur l’établissement, dont le fonctionnement parait pour le moins étrange.
Avec l’aide du commandant Pierrefeu, le gendarme local, Lanester tente de dénouer les fils qui relient ces jeunes filles disparues, certaines depuis plusieurs années. Mais le partage des informations, et surtout la manière de mener l’enquête des deux hommes diverge totalement et Lanester a du mal à trouver sa place et à réfléchir sans être envahi par des images terrifiantes et sans perdre ses moyens, tant physiques qu’intellectuels. Il n’est pas très en forme, il faut bien l’avouer, submergé par ses propres angoisses qui auraient tendance à prendre le pas sur l’enquête.
Cependant, le personnage est attachant, bien que vraiment perturbé, et le lecteur de se poser la question : dans de nombreux romans policiers ou thrillers, presque tous à vrai dire, l’enquêteur est souvent extrêmement bizarre, dépressif parfois, ou bien alcoolique, violent… Bref, mal dans sa peau, sa vie, avec un passif lourd qui lui pèse. La réalité est-elle vraiment ainsi ? Une question à laquelle il est difficile de répondre sans connaître le milieu, mais qui fait froid dans le dos…
L’auteur est psychologue de formation, et le lecteur sera ravi des descriptions des personnages qui, au contraire de nombreux romans policiers, ne sonnent pas creux, mais ont une vraie profondeur. De plus, le thème de l’anorexie mentale est souvent médiatisé et peut toucher chaque famille ayant une adolescente mal dans sa peau, c’est-à-dire vous ou moi, ou notre voisin : impossible de rester indifférent et de garder sa neutralité de lecteur, celle qui nous fait dire lors de lectures un peu glauques « impossible que ça nous arrive à nous ! ». Un thème difficile, donc, mais allégé par l’écriture de l’auteur, et par sa façon d’emmener le lecteur au fil des indices découverts, comme si nous menions l’enquête de concert avec l’équipe. Et heureusement éclairci par un humour sous-jacent, qui permet de décompresser un peu, et de prendre du recul. Un polar à dévorer, voici un jeu de mot un peu facile puisqu’on ne parle ici que de pauvres gamines affamées, malades dans leur tête au point de se laisser dépérir et de se transformer en cadavre ambulant. Mais au final, ce roman est bien plus qu’un polar : une histoire vraiment passionnante qui vous emmènera dans des contrées psychologiques où pour rien au monde vous n’auriez voulu aller, et qui vous laissera finalement ravi !
Cherche jeunes filles à croquer de Françoise Guérin, Éditions du Masque (novembre 2012), 393 p., 19€