À l’heure où la culture est de plus en plus formatée et ce dans tous les domaines, Christophe Goffette est de ces personnages qui sortent du lot, qui se battent pour affirmer leur foi dans la musique, le cinéma et la douce folie d’une culture qui se joue des frontières stylistiques étanches.

De son adolescence et ses débuts dans le fanzinat, de sa rencontre et ses projets avec Terry Gilliam, en passant par l’emblématique magazine Brazil, jusqu’à Uchronia son premier long-métrage, découvrons les multiples facettes de ce trublion dont les mots d’ordres seraient indépendance et liberté artistique.
Interview Sans concession($) avec Christophe Goffette :
Unidivers : Commençons par la fin, il y a six mois le financement participatif pour boucler votre premier long-métrage s’est terminé (et a été bouclé), pouvez-vous nous parler d’Uchronia, cet ovni cinématographique ?
Christophe Goffette : Oui, bien sûr… Tout ce qui concerne Uchronia s’est déroulé de façon particulière, peut-être pas unique, mais sans doute pas loin sur certains points… L’écriture, déjà, a été assez singulière. Je ne me suis pas assis pour écrire un scénario. J’ai laissé l’histoire venir, ou pour être plus juste cet univers prendre forme, car comme son nom l’indique Uchronia est une uchronie, un monde parallèle, plutôt une dystopie d’ailleurs si on doit employer des termes un peu « techniques ». 
U. : Comment s’est passé la partie production et casting?

U. : Le tournage a duré combien de temps ?

U. : Vous êtes un touche à tout, mais parlons du commencement, vous débutez dans le fanzinat à 14 ans et vous enchaînez rapidement sur des articles pro, l’écriture (journalistique) c’était une évidence pour vous?

U. : Que pouvez-vous nous dire de vos premières années en tant que journaliste ? (avant Brazil)
Christophe Goffette : « avant Brazil », ça fait pas mal d’années, en fait (rires) !J’ai commencé les piges en 84 ou 85, quand même… Bon, déjà, je n’aime pas trop le terme de « journaliste », je n’ai jamais pensé être journaliste. J’ai juste eu accès à un certain nombre de choses, qui me passionnaient à des degrés divers et m’ont donc donné envie de les partager et de les faire découvrir à mon tour. J’ai davantage l’impression que j’étais un relais plutôt qu’autre chose. Surtout, j’ai toujours refusé l’analyse, ça m’a toujours emmerdé et en plus je reste persuadé qu’on fait quasiment toujours fausse route quand on commence à essayer de comprendre et expliquer les motivations des artistes. J’ai quand même le sentiment que les œuvres se font et se défont plus avec le ventre, avec les tripes, qu’avec la tête, le cerveau… Donc quand j’écrivais, j’essayais aussi de le faire avec mes tripes. Cela explique sans doute pourquoi rapidement ma préférence a été vers les interviews fleuves, plutôt que les chroniques ou critiques en tant que tel. D’ailleurs, quand j’ai monté ma première revue musicale, « Médiators », en 1992, on ne faisait pas de chroniques de disques parce que j’avais décidé que c’était vain et con (rires) !
U. : Date charnière (ou pas) en 2002 Brazil débarque en kiosque, racontez-nous cette aventure gilliamesque ?
Christophe Goffette : J’étais arrivé à l’écriture et au fanzinat par et pour le cinéma et ensuite je n’ai pas arrêté d’aller voir des films, bien au contraire ça s’est encore intensifié, d’aller dans les festivals et d’écrire sur le cinéma, voire même d’incorporer du cinéma à des revues prioritairement musicales, comme « Best », quand j’en ai été rédac’chef, en 95-98… Mon premier bouquin hors presse était aussi un bouquin sur le cinéma, Le Petit livre des films cultes et c’est d’ailleurs par le biais de ce livre que j’ai rencontré Terry Gilliam pour la première fois. Il avait accepté d’en faire la préface, puis de venir le dédicacer au salon du livre de cinéma sur un week-end, après quoi on avait carrément fait une tournée des Fnac de province, tous les deux, avec nos petites valises, pendant une dizaine de jours. À côté de ça, « Starfix » avait été important pour moi, au moins les 14 premiers numéros… Bref, un jour j’ai eu envie de lancer une revue de cinéma ! Mais je n’avais pas de titre, rien ne me plaisait ou ne convenait suffisamment. Et puis, un jour, j’étais dans un taxi avec Terry Gilliam et Terry Jones, en direction du festival de Beauvais où ils étaient invités d’honneur. Nous nous sommes retrouvés pris dans les embouteillages et vers la porte de Clignancourt, Terry Jones qui n’en pouvait plus —il venait d’être opéré de la hanche— a dit au chauffeur : «arrêtez-nous au prochain troquet, on va aller boire une bière le temps que ça se calme». Ce que nous avons fait, sauf que la bière était plutôt un cognac et qu’on a été loin de s’arrêter à un seul verre (rires). Bref, assez rapidement nous étions passablement éméchés et c’est comme ça que la création imminente de « Brazil » est arrivée sur le tapis —ou plutôt le comptoir ! Et on en est arrivé à cet accord de principe avec Gilliam qui était d’une part que ce nom était non seulement parfait, mais sans doute le meilleur nom possible par rapport à ce que je voulais faire ; d’autre part qu’il en serait surréaliste en chef et qu’il participerait de temps à autre, tout en nous donnant un max d’exclu. Par exemple, nous avons été le seul magazine au monde autorisé sur le tournage de « Brothers Grimm », à Prague.
U. : Et que pouvez-vous nous dire du pendant musicale de Brazil : Crossroads ?

U. : Albert Dupontel et vous c’était une rencontre inévitable, vous avez réalisé un making of sur le tournage d’Enfermé dehors, comment tout cela a débuté ?
Christophe Goffette : Dupontel, oui, c’était un passage obligé pour « Brazil ». D’ailleurs, j’avais tenu à ce que la toute première page du tout premier numéro lui soit consacrée, ce qu’on a fait d’ailleurs, en utilisant pour seule iconographie la photo de « Bernie » où il a un bouquet de fleurs à la main (rires) !… Assez rapidement, on a été à sa rencontre et on a publié deux couvertures… Une première (#9) sur lui seul, puis une autre (#15) découlant d’une épique discussion à trois entre lui, moi et Paul Verhoeven ! Parallèlement, nous sommes devenus assez proches, on se parlait quasiment tous les jours au téléphone, etc. Ou alors je passais chez lui… On a organisé un débat avec des lecteurs pour la sortie du « Convoyeur », je l’ai interviewé et filmé pour un bonus DVD pour une belle ressortie de « Miller’s Crossing » des frères Coen, il m’a filé un super coup de main à un moment où j’étais mal avec mes revues, etc. Avant « Enfermés Dehors », Albert m’a proposé de réaliser quelque chose, pour StudioCanal, pour une édition anniversaire de « Bernie ». J’ai accepté si on me laissait totalement libre, ce qui fut fait et au final j’ai livré « No Zamis Lé Hyens », un film d’1h25, avec les participations de Robin Williams, Terry Jones, Terry Gilliam, Jan Kounen, Jean-Pierre Jeunet et Bertrand Blier…Tiens, je peux même vous donner un scoop, j’ai récupéré en début d’année les droits de ce film et je travaille actuellement à une sortie en salles, pour des doubles programmes, avec « Bernie » toujours, pour les 20 ans de ce dernier… Et aussi à une soirée thématique sur une grande chaîne du câble… Bref, Albert a adoré « No Zamis Lé Hyens » et m’a proposé de faire le making of d' »Enfermés Dehors ». J’ai bien sûr accepté, mais peu avant de démarrer le tournage, il a eu peur que je ne puisse pas être pleinement disponible et il a mis un petit jeune sur le coup. Toutefois, j’étais invité à venir filmer tout ce que je voulais et j’ai assuré 53 des 55 jours de tournage, comme quoi j’étais quand même plutôt disponible (rires)… Enfin, après le tournage, Richard Grandpierre, le producteur, m’a demandé s’il pouvait utiliser certaines de mes images, car leur réalisateur de making of avait été un peu « léger » sur certaines choses. J’ai bien sûr accepté —bien que n’ayant jamais été payé pour quoi que ce soit— et il y a donc dans le making of des images des deux sources. Pas grand-chose ceci dit par rapport à ce que j’ai en boite (plus de 50 heures) et surtout ça n’a pas grand-chose à voir avec l’histoire que j’aurais pu raconter. Mais bon, c’est comme ça…
U. : En 2004 vous créez la plus longue nuit de concert à l’Olympia, la Crossroad Night, plus de 8 heures de concert, d’où vient cette folie des grandeurs musicale et que pouvez-vous nous dire sur cet événement ?
Christophe Goffette : Au départ de cette folle aventure, il y a un peu toujours la même idée : puisque quelque chose n’existe pas, faisons-le exister !… Avec « Crossroads », nous défendions beaucoup d’artistes qui ne tournaient jamais ou quasiment jamais en Europe. À côté de ça, le prix des places de concerts commençaient à augmenter de façon délirante, en France, où, je le répète, nous sommes beaucoup plus chers —à spectacle égal— que nos voisins Belges, Italiens, Espagnols et même Allemands… J’ai donc eu l’idée de faire venir le plus de musiciens possibles, un 18 juin, pour faire la blague et d’appeler ça « le nouvel appel du 18 juin », sachant qu’une des idées était que tous ces musiciens venaient jouer gratuitement, que donc on aurait un prix de billet pas trop exorbitant et bien sûr moi je prenais en charge les billets d’avion, l’hôtel, la bouffe et toute la production de la soirée. Le déclic, ça a été quand j’ai appelé l’Olympia deux mois et demi avant l’échéance !… Ils m’ont dit que bien sûr la salle n’était pas libre et aussi que j’étais quand même bien barge !… Mais j’avais insisté : je veux le 18 juin ! et je veux l’Olympia !… Et puis, ils m’ont rappelé le lendemain matin, la salle venait de se libérer, j’ai vu ça comme un signe et j’ai foncé !… Au total j’ai invité 69 musiciens du monde entier, qui sont venus des Etats-Unis, d’Australie, d’Angleterre, etc., pour un concert qui a duré de 20h à 5h30 du matin ! Et ils étaient même 70, puisque dans l’après-midi j’avais reçu un coup de téléphone de Ken Stringfellow (Big Star, Posies, REM) qui me proposait d’accompagner Neal Casal, ce que j’ai accepté bien entendu… Au passage, j’ai quand même perdu 72.000 euros, que je n’avais bien sûr pas, et que j’ai mis plus de 4 ans à rembourser (rires) !… Mais bon, quand, à 6h du matin, tu as des mecs qui se jettent sur toi, en pleurant de joie et en te disant que c’est le concert de leur vie, ça les vaut amplement !… Depuis, il ne se passe quasiment pas une semaine sans que quelqu’un ne me parle de cette nuit de folie ! Et bien sûr, il y a l’arlésienne d’une suite, annoncée déjà depuis un moment, mais pas encore datée. J’avais pensé pendant un moment faireça au Grand Rex, mais le Grand Rex ne possède pas de loge, c’est donc compliqué côté logistique… Et j’ai aussi et surtout un projet encore plus dingue de « Crossroads Caravan Tour », deux mois sur la route avec les musiciens, comme un cirque, avec chapiteau et tout… On y travaille d’ailleurs en ce moment… Pour rester sur Crossroads, je prépare aussi un coffret 4 CD + livre de 100 pages…
U. : Rédacteur en chef, journaliste, tourneur, auteur, réalisateur, en regardant votre parcours le mot qui me vient c’est « indépendance », mais où s’arrêtera-t-il ?

U. : Un comité de soutien en votre faveur à été lancé suite à un procès que l’on vous fait abusivement pour injures publiques, pouvez-vous nous en parler ?
Christophe Goffette : Oui, je peux en parler, même si je ne peux pas tout dire. Un ancien collaborateur, qui faisait la comptabilité pour mes magazines, se serait reconnu dans un édito généraliste où je me moque des ‘fans de’ et autres groupies, en arguant que puisque je prends l’exemple d’un fan de Springsteen, ça ne peut être que lui. Le fond de ses attaques, c’est que pour me « venger » de lui, j’aurais écrit cet édito, mais sans le citer. Et évidemment, à l’origine il réclamait 50 000 euros et tout un tas de choses. Le procès dure quand même depuis 2009 !… Bref, revirement de situation en appel, avec la justice qui lui donne raison, au détriment des bases même de la liberté d’expression (et de la liberté de la presse, par la même occasion). C’est absurde et totalement kafkaïen et ma seule solution à ce stade est de me pouvoir en cassation, sauf que ça n’est pas suspensif, c’est-à-dire qu’il faut payer la condamnation d’abord. Ce pourquoi un comité de soutien s’est créé, et a lancé d’une part une pétition symbolique et d’autre part une cagnotte pour me sauver.
Les photos de Christophe Goffette sont © Eddy Brière.
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