Fanny de Chaillé et l’association Display présentent « Chut » au triangle de Rennes. Entre danse, performance et théâtre, « Chut » interroge la fragilité humaine et la fragilité de l’époque au travers de cascades de plus en plus absolues.
Un refrain, un motif, celui de la chute. Un terrain de jeu, l’illusion d’un relief escarpé. Et un homme, seul sur scène face à l’immensité, qui bascule en silence dans un univers burlesque à la Buster Keaton. Dans Chut, on tombe et on ne tombe pas, et c’est de cette exploration littérale des choses que surgissent l’émotion, le décalage et la poésie.
Pour cette pièce, Fanny de Chaillé s’est inspirée de la peinture de Caspar David Friedrich : Voyageur contemplant une mer de nuages. Un personnage solitaire, minuscule, face à l’infini, au vide et qui, dans la grande tradition romantique, peint autant l’état d’esprit intérieur du personnage que la nature. Dans sa nouvelle création, Fanny de Chaillé joue avec le relief, chorégraphie le vertige, réinvente l’équilibre et impose le silence.
D’où vient CHUT ?
Fanny de Chaillé : Il se trouve que j’ai été nommé en résidence à Chambéry pour trois ans et que, en y allant, j’ai retrouvé le rapport étrange que j’ai à la montagne, teinté d’angoisse claustrophobe, comme si le rapport d’échelle me déplaisait, moi toute petite devant ces masses immenses. La montagne me donne une sensation de vertige, de déséquilibre. Or, à Chambéry, il y a une salle immense qui m’a donné l’idée de jouer sur ce rapport d’échelles. Je me suis dit que ce serait intéressant d’écrire un solo pour un espace démesuré. J’aime bien l’idée d’une scène immense pour un seul homme qui me permette de reconstruire, au moins mentalement, l’immensité de la montagne.
Lorsque les Romantiques ont découvert la montagne, c’est un peu à cela qu’elle leur a servi, à opposer leur moi incertain à cette immensité.
Est-ce que la montagne vous sert aussi de lieu de subjectivation ?
Complètement. La montagne est un des seuls endroits où j’ai l’impression que le silence, la solitude sont possibles, et donc l’introspection. D’ailleurs, l’image à la base du spectacle est la toile de Caspar David Friedrich, Voyageur au-dessus de la mer de nuages. Un homme de dos, sur un sommet, face au vide – on peut facilement envisager la suite, plutôt tragique. Comme j’avais envie de travailler la chute, le déséquilibre, je suis partie de cette image. Il y a quelque chose de très romantique dans CHUT. On a longtemps écarté les
romantiques au titre qu’ils seraient un peu surannés. Mais se dire romantique aujourd’hui c’est possible. Ce sont des postures assez fortes qu’il faut tenir, une forme d’engagement. C’est pour cela que j’avais pensé au début que le spectacle baignerait dans une musique très romantique, mais là-dessus je suis encore en recherche.
Travailler la chute aujourd’hui est-ce une façon d’interroger la fragilité humaine, la fragilité de l’époque ?
Cela interroge sans doute tout à la fois la fragilité humaine et celle de l’époque. Mais c’est important de dire qu’on est au théâtre. Cette chute est forcément biaisée. On ne tombe jamais vraiment, on joue à tomber et à se faire mal. Et pourtant, au fond, je pense que ça ne change rien. La chute fonctionne quand même. Le spectateur – moi la première – prend plaisir à regarder un corps qui s’effondre, qui va à l’encontre de tout ce qu’il se doit d’être en public, qui ne parvient plus à tenir, à tenir debout.
Comment allez-vous travailler ces chutes ?
Il y aura du remake et de l’invention. Je pourrais me servir de scènes de Pierre Richard ou de Buster Keaton ou chorégraphier mes propres cascades. Il faut préciser que, pour écrire ces chutes, je me servirai beaucoup de la scénographie et des lumières. Nadia Lauro a dessiné une moquette qui, grâce à des motifs anamorphiques, donnera du point de vue des gradins le sentiment d’une scène en relief. Nous travaillerons aussi la lumière pour accentuer cet effet de relief. Les gens auront l’impression que Grégoire Monsaingeon est sur un sol inégal. Cette scénographie permettra aussi de travailler le motif de l’illusion théâtrale.
De spectacle en spectacle, cette question de l’illusion théâtrale semble vous hanter. Savez-vous pourquoi ?
Oui, je ne perds jamais de vue que je suis dans une boîte noire et que les gens assistent à un spectacle. Parce que c’est exactement ce que nous faisons dans la vie : nous endossons des rôles différents que nous jouons dans nos rapports sociaux. L’effacer me semblerait un leurre. Je crois que si j’insiste tant sur l’illusion théâtrale, c’est au nom d’une fidélité absolue au réel, d’un goût pour la littéralité des choses. Je ne veux pas raconter (ou me raconter) des histoires, mais montrer les choses telles qu’elles sont ou, du moins, telles que je les vois.
Y aura-t-il une dramaturgie dans ce spectacle ?
J’aimerais vraiment qu’il n’y ait aucun mot – d’où le double sens du titre. De la musique oui. J’aimerais basculer, au fil du spectacle, dans quelque chose de plus en plus burlesque, des cascades de plus en plus absolues. On part de Caspar David Friedrich et ça se transforme en un univers infiniment burlesque parce que le burlesque m’émeut. Peut-être est-ce lié à la désadaptation des gens qui font ces gestes gauches, maladroits. Ils sont décalés, mais ils sont comme ça et au sein de leur déséquilibre, ils réussissent à inventer un équilibre. Le décalage, ce n’est pas grave, on n’est pas toujours obligé d’être comme tout le monde. Les grands burlesques sont de grands solitaires – pas d’amis, pas de famille, pas d’amoureux. C’est aussi pour cela que c’est un solo. C’est difficile d’être burlesque à plusieurs et difficile d’être romantique à plusieurs.
Bizarrement, dans cette pièce sans paroles – une première pour vous – vous travaillez avec un acteur, Grégoire Monsaingeon, et pas un danseur. Pourquoi ?
Il a une forme de gaucherie beaucoup plus éloquente que les danseurs. Les danseurs savent tomber, ils savent se déséquilibrer. Avec lui, j’ai l’impression de retrouver quelque chose de beaucoup plus proche de la rue, du hasard. Et la gaucherie ajoute évidemment à l’émotion des chutes.
Entretien avec Fanny de Chaillé réalisé par Stéphane Bouquet en février 2014
“Chut” de Fanny de Chaillé sera présenté au Triangle à Rennes le jeudi 27 avril à 20H, deux ateliers sont proposés la veille et le jour-même. La représentation dure 50 minutes.
Ateliers autour de Chut :
MER. 26 AVR. 19h00
Atelier “Chut” : Cet atelier est ouvert à tous, il est le prolongement du travail que Fanny de Chaillé effectue pour la scène. Travailler la voix comme le prolongement du geste. Se servir du texte, qu’il soit ou non de théâtre, comme d’une partition pour la voix. Inventer des systèmes qui permettent de se détourner de la psychologie et trouver dans la forme une autre façon de faire du sens.
JEU. 27 AVR.
Culture Chorégraphique 19h00
Le SAS « Chut » Ce dernier SAS ouvrira une petite porte sur le courant du romantisme dans l’art, questionnera le lien de certains danseurs à la nature et se risquera à la chute (exercice incontournable en danse !).
TARIFS
16€ plein
12€ réduit
6€ -12 ans
4€ SORTIR !
2€ SORTIR ! enfant
PASS Triangle
12€ / 9€ / 5€
Sur un mode inventif, ludique et participatif, Nathalie Salmon, danseuse et pédagogue, vous guide sur les chemins de la danse, à travers la saison. Elle s’appuiera sur des supports visuels et des invitations à expérimenter quelques principes de mouvements et d’espace en lien avec le spectacle programmé ce soir-là. Soyez curieux !
Fanny de Chaillé
Note sur la scénographie
L’installation visuelle de CHUT conçue par Nadia Lauro est une fiction anamorphique. C’est un tapis qui, en dépit des apparences, est un dispositif optique régi par les lois de « l’art de la perspective secrète ». C’est un tapis qui génère une ambiguïté perceptive entre l’illusion visuelle d’un paysage en reliefs et la réalité bi-dimensionnelle sur laquelle évolue le performeur.
Un projet de Fanny de Chaillé
Interprété par Grégoire Monsaingeon
Installation visuelle Nadia Lauro
Composition son Manuel Coursin
avec la participation de Grégoire Monsaingeon, Pierre Lachaud et Geneviève Brune
Lumières Mael Iger
Production et diffusion Isabelle Ellul
Un homme seul face à un espace démesuré. L’immensité de la montagne… Jouer avec le relief et chorégraphier le vertige, le déséquilibre. Inspiré des images romantiques et des grandes figures du burlesque, CHUT interroge la fragilité humaine, la fragilité de l’époque au travers de cascades de plus en plus absolues.
Crédit photo : Marc Domage
Production Association Display
Coproduction Espace Malraux, Scène nationale de Chambéry et de la Savoie, le CND, un centre d’art pour la danse, les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, le Centre Chorégraphique National de
Tours, direction Thomas Lebrun (dans le cadre de l’accueil studio) // avec l’aide d’ARCADI Île-de-France / Dispositifs
d’accompagnements // avec le soutien de l’association Beaumarchais-SACD, bourse d’écriture et aide à la production.
Fanny de Chaillé est artiste associée à l’Espace Malraux, Scène nationale de Chambéry et de la Savoie. L’Association Display est soutenue par le Ministère de la Culture et de la Communication, DRAC Île-de-France au titre de l’aide à la Compagnie.
Association display
211 rue Saint-Maur 75010 Paris
contact Isabelle Ellul // +33 6 10 18 58 37 // +33 5 56 81 66 81
45 rue Saint-Rémi 33000 Bordeaux
associationdisplay[@]gmail.com
Parcours de Fanny de Chaillé :
De 1996 à 2001, après des études universitaires d’Esthétique à la Sorbonne, Fanny de Chaillé travaille avec Daniel Larrieu au Centre chorégraphique national de Tours, d’abord assistante à la mise en scène pour les pièces On était si tranquille, Feutre (dont elle compose la musique avec Rubin Steiner) et +Qu’hier, puis en tant qu’interprète pour Cenizas. Fanny de Chaillé collabore en parallèle aux travaux de Matthieu Doze (réalisation des films du solo sous eXposé) et à ceux de Rachid Ouramdane (elle est interprète sur Face cachée et À l’œil nu et réalisatrice sonore pour Au bord des métamorphoses et Les Morts pudiques). Avec Gwenaël Morin, elle joue dans le film Anéantis Movie et dans les pièces Guillaume Tell, Philoctète et Lorenzaccio. Depuis 1995, elle crée ses propres pièces, installations et performances : Karaokurt (1996), karaoké réalisé à partir de l’œuvre de Kurt Schwitters, l’Ursonate ; La Pierre de causette (1997), installation-performance ; Le Robert (2000), performance pour un danseur et un dictionnaire ; Le Voyage d’hiver (2001), lecture performance à partir d’un texte éponyme de Georges Perec ; Wake Up (2003), concert pour 55 réveils préparés ; mais aussi Underwear, pour une politique du défilé
(2003), Ta ta ta (2005), AMÉRIQUE (2006), Gonzo Conférence et À nous deux (2007), pièces chorégraphiques. Fanny de Chaillé collabore par ailleurs en tant qu’assistante avec Emmanuelle Huynh, pour Cribles et Shinbaï, le vol de l’âme (2009), et avec Alain Buffard, pour Tout va bien (2010) et Baron Samedi (2012). Elle a fondé avec Grégoire Monsaingeon le groupe Les Velourses, duo musical répondant à des commandes ; ils conçoivent ensemble Mmeellooddyy Nneellssoonn dans la série intitulée “albums”
du Théâtre de la Cité Internationale à Paris où elle est artiste associée pendant trois ans. Elle présente en 2010, lors d’un “Week-end à la Cité”, La Bibliothèque menée avec 23 résidents de la Cité universitaire internationale, projet qu’elle continue régulièrement à mettre en œuvre en France
et à l’étranger. En 2011, elle y crée Je suis un metteur en scène japonais, et Passage à l’acte cosigné avec le plasticien Philippe Ramette. Elle met en scène un texte de Pierre Alferi, COLOC dans le cadre de l’Objet des Mots/ActOral 2012. En 2013, elle est invitée du Nouveau Festival du Centre Pompidou et propose avec la scénographe Nadia Lauro, La Clairière. En 2014, elle crée Répète – un duo avec Pierre Alferi dans le cadre de Concordanse – et LE GROUPE d’après la Lettre de Lord Chandos de Hugo Von Hofmannsthal.
Elle est actuellement artiste associée à l’Espace Malraux, scène nationale de Chambéry et de la Savoie