Endossant plusieurs rôles, Edward Norton signe à la réalisation son second long-métrage dans le New York des années 50. Norton devient Lionel, détective atteint du syndrome de la Tourette. Casting solide, immersion totale et critique politique, Brooklyn Affairs est un polar réussi.
1954. Lionel Essrog (Edward Norton) est un détective atteint du syndrome de la Tourette. Le jour où il est témoin du meurtre de son mentor et ami Franck Minna (Bruce Willis), Lionel décide de trouver le coupable, quitte à se frotter à la mafia politique locale d’un New York en pleine expansion.
Passé dans l’ombre du maintenant très culte The Irishman de Martin Scorsese, Brooklyn Affairs a l’étoffe d’un polar réussi. Edward Norton en est à fois l’acteur principal, le réalisateur, le scénariste et un des membre de la production. Pour l’histoire, ce dernier s’est inspiré du roman Motherless Brooklyn signé Jonathan Lethem. Depuis sa sortie, le livre a fait cogiter notre interprète de Tyler Durden pendant 20 ans. Le réalisateur décide tout de même d’y ajouter des petits changements, transcrivant l’histoire dans les années 50, alors que le livre se passe en 1999. Edward Norton joue avec les codes du polar américain à la Scorsese, à coups de vieilles voitures américaines, de whisky, de ruelles sombres et de pièces enfumées. Alors, certes, il n’y a ni Al Pacino, ni Robert de Niro, ni Joe Pesci au casting, mais un très attachant Edward Norton, aux côtés de Willem Dafoe, de Bruce Willis et d’Alec Balwin, dont on ne se lasse pas.
La musique du film, orchestrée par le compositeur Daniel Pemberton, le trompettiste Wynton Marsalis ainsi que Thom Yorke (leader du groupe Radiohead), est une franche réussite. Brooklyn Affairs est enrichi de superbes concerts de jazz, mis en scène dans un petit bar du quartier d’Harlem.
Une longue séquence musicale fait d’ailleurs honneur au jazz. Si la musique a été nominée aux Golden Globes 2020, c’est Dick Pope qui est aux commandes de la photographie (on peut lui associer le grandiose Mr Turner de Mike Leigh, entre autres). L’association lumière, musique et cadrages fonctionne à merveille, berçant le spectateur dans un New York qui n’existe plus qu’au cinéma. Norton se fait plaisir, et ça se voit.
Au-delà des simples codes d’un cinéma de genre assumé, le parti pris d’une époque révolue ne semble pas anodin. Dans les années 50, New York est le théâtre de nombreux plans d’urbanisation et d’expansion. Norton prône un message de fond. Entre les lignes du polar : l’omniprésence d’une mafia politique. Brooklyn Affairs pointe du doigt le « détruire pour mieux construire » au détriment des plus démunis. Le personnage de Moses Randolph (Alec Baldwin) est un ostentatoire clin d’oeil à l’urbaniste américain Robert Moses, jadis chargé de la rénovation de New York entre les années 30 et 70.
Jamais élu, Moses (le vrai) a été à l’origine de nombreuses organisations publiques, lui ouvrant un solide fond monétaire, engendrant pouvoir et autonomie d’activité, à l’abri de la critique publique. Une politique de gestion du territoire encore ancré dans nos sociétés. Utiliser la fiction comme caisse de résonance pour critiquer la société c’est vu et revu dans le 7e art, mais ça fonctionne toujours aussi bien, et Norton l’a bien compris. La construction sociale américaine d’il y a 70 ans n’est pas si loin que ça, finalement.
De subtiles critiques de la société que le réalisateur enveloppe dans un voile — presque obligatoire pour l’époque — de ségrégation. À trop vouloir en dire, Norton a tendance à perdre le spectateur dans un scénario aux fils conducteurs entremêlés. Mais comme le personnage de Lionel Essrog répète qu’il est perdu, on se laisse porter avec lui dans la confusion. L’originalité de Brooklyn Affairs, c’est la pathologie du protagoniste. Le syndrome Gilles de la Tourette rend attachant Lionel, lui faisant dire des absurdités sans pour autant créer de la gêne. L’interprétation d’Edward Norton est réussie et d’autant plus remarquable qu’il endosse une multitude de rôles (acting, scénario, etc.) et que Brooklyn Affairs n’est que son second long métrage en tant que réalisateur.
Brooklyn Affairs est une immersion dans un polar aux sonorités jazz réussies. Des décors (pensés par Beth Mickle) aux costumes (conçus par Amy Roth), Norton nous offre un beau voyage dans le temps, sans perdre de vue une réalité politique complexe : celle de l’impunité des dirigeants.
Brooklyn affairs de Edward Norton, sortie le 4 décembre 2019. 2h 25min. Policier.
ACTEURS : Edward Norton, Bruce Willis, Gugu Mbatha-Raw, Alec Baldwin, Willem Dafoe, Bobby Cannavale, Cherry Jones, Michael K.Williams
ÉQUIPE TECHNIQUE:
Réalisation et scénario: Edward Norton ( scénario : d’après le roman Les Orphelins de Brooklyn de Jonathan Lethem)
Image : Dick Pope
Montage : Joe Klotz
Production : Michael Bederman, Bill Migliore, Daniel Nadler, Edward Norton, Gigi Pritzker, Rachel Shane et Robert F. Smith
Musique: Daniel Pemberton, Wynton Marsalis, Thom Yorke