En salle le 21 novembre 2018, le nouveau film de Mikhaël HERS (Memory Lane, Ce sentiment de l’été,…) met notamment en scène Vincent LACOSTE et Stacy MARTIN. Remarqué à Venise pour avoir été le premier film a faire intervenir les attentats de Paris dans son intrigue, AMANDA a également d’autres cordes à son arc, dont le réalisateur s’est entretenu avec nous…
Paris, de nos jours. David, 24 ans, vit au présent. Il jongle entre différents petits boulots et recule, pour un temps encore, l’heure des choix plus engageants. Le cours tranquille des choses vole en éclats quand sa sœur aînée meurt brutalement. Il se retrouve alors en charge de sa nièce de 7 ans, Amanda.
D’une rive à l’autre
L’histoire de David (24 ans, Vincent Lacoste) et de sa nièce Amanda (7 ans, Isaure Multrier) est d’abord celle de la traversée d’un deuil. Leur vie respective est un long fleuve tranquille, jusqu’à la tragédie qui emporte la mère de la jeune enfant. Étant le seul parent qu’il lui reste, David accepte sa garde. Non sans difficulté, car à 24 ans, lui qui était le « gentil tonton » n’a rien d’un père de famille, mais doit soudainement le devenir.
Comme dans son précédent long-métrage [« Ce sentiment de l’été », 2015] le réalisateur parisien Mikhaël Hers choisit de parler de la reconstruction faisant suite à la perte d’un proche. Il nous fait spectateurs d’un monde sentimental et social qui implose, au travers de personnages ordinaires et attachants. Réaliste dans le traitement et frontal dans l’exposition des émotions, le film est pourtant d’une étonnante légèreté, presque lumineuse, ainsi que d’une grande pudeur dans la mise à l’image des sentiments douloureux qui l’habitent.
La traversée du film et celle du deuil se font sans bruit, sans rebond dramatique qui viendrait spectaculairement éluder la tragédie. Cette tragédie, David et Amanda doivent l’affronter directement, impuissants qu’ils sont face au marasme de la Grande Histoire. Leur but est de tenir bon, reconstruire sur les ruines du passé, en attendant patiemment que le temps viennent cicatriser les blessures (comme celle de Léna, ou d’Axel) et que la tempête laisse place à un nouveau soleil. De là le film tire sa sensibilité, en nous présentant un malheur qui ne dépend pas de la volonté des hommes, hommes pour qui la seule échappatoire au chaos est l’espoir, la persévérance sur le chemin de la vie.
Amoureux de Paname
Lorsque le deuil est en jeu, au cinéma, l’hiver et la pluie sont rarement très loin… Mais une fois n’est pas coutume pour Mikhaël Hers, le décor d’Amanda est un Paris estival, avec le vent chaud qui caresse les arbres des boulevards et le soleil fixé à son zénith. Sa lumière jaune inonde l’architecture parisienne et une aura verte émane des parcs publics, poumon de la ville et lieu de ressource pour les personnages. Cette tendresse du décor, ce Paris idéalisé, poétisé, accentue la distance qui se creuse entre David (endeuillé) et le reste du monde, qui n’arrête pas sa marche tranquille. Dans son désespoir, David est coupé de cette joie de vivre, qui l’entoure pourtant. La quête du film consiste en la reconquête de cette communion avec l’été parisien.Amanda traite évidemment de liens familiaux, mais aussi amicaux et amoureux. La présence ou l’absence de l’autre (une mère, une sœur, une compagne) est l’un des principaux moteurs du scénario. C’est dans l’affection reçue ou donnée à l’autre que les personnages trouvent la force de se (re-)construire. Par exemple, la petite Amanda est le meilleur prétexte qu’a David pour avancer dans la vie après le décès de sa sœur. De la même manière, l’absence de la mère (celle de David, puis celle d’Amanda) est un des nœuds de réflexion du film. Des liens se tissent entre les personnages qui traversent la souffrance ensemble (Léna et David, Axel et Raja), d’autant plus forts et durables que l’épreuve est rude. Les tragédies cicatrisent et finalement ne demeurent que leur œuvre : un monde neuf, repeuplé, où les absences ont fait place à de nouvelles présences. Comme pour David et Amanda, pour qui tout aura changer.
Attentats
Si la tendance de l’oeuvre de Mikhaël Hers est déjà au naturalisme (représentation d’un ordinaire banal, dialogues du quotidien,…), avec Amanda le cinéaste pousse jusqu’au réalisme historique. C’est une première en France : l’inclusion des attentats de Paris dans la trame narrative [pas de spoil, cette scène arrive tôt dans le film]. Lors d’une scène d’une grande justesse -sans doute la plus marquante du film- des hommes masqués et armés déciment les promeneurs d’un parc public de la capitale. Si ces attentats ne sont pas la réplique exacte de faits réels, ils font évidemment référence aux événements survenus à Paris en 2015. La tragédie survient dans un parc, lieu de paix par excellence dans l’œuvre du cinéaste, qui explose donc en son propre cœur.
La présence de la mère d’Amanda dans ce parc au moment des attentats est un grand hasard, tout comme Sasha décédait par jeu du sort dans « Ce sentiment de l’été » (Mikhaël Hers, 2015). Au travers de son œuvre, le cinéaste nous parle donc également de la fragilité inhérente à la vie, qui peut finir à tout instant, et esthétise la bataille perdue d’avance que l’Homme mène contre le Destin, ainsi que son inaltérable espoir qui lui fait se relever toujours.
Amanda n’est sans doute pas le film français de l’année, mais sa tendresse et son audace en font une oeuvre d’intérêt, pertinente et sensible. Vincent Lacoste, que l’on a souvent vu dans un registre comique semble avoir très bien senti sa reconversion, et la jeune Isaure Multrier lui renvoie savamment la balle.
Alors qu’une avant-première avait lieu au Cinéma l’Arvor de Rennes, nous avons rencontré le réalisateur d’Amanda, Mikhaël Hers, qui nous a offert quelques éclairages sur son film…
Unidivers : Vous travaillez le thème du deuil pour la troisième fois en trois films. Que représente le deuil dans votre oeuvre ? Quelle différence entre l’histoire d’Amanda et les deux précédentes ?
M. Hers : J’imagine que je dois avoir des choses à régler avec ça, même si c’est une question que l’on porte tous depuis l’enfance. Dès que je me mets à écrire, ça parle beaucoup de la question des lieux, de l’absence, de la disparition. La différence majeure dans Amanda, c’est la frontalité du traitement. Disons que celui-là est plus assumé dans son côté mélodramatique.
Unidivers : Pourquoi inclure les attentats de Paris au sein de l’intrigue ?
M. Hers : Mon but était de m’emparer du contexte contemporain par le prisme d’une tragédie intime. Mais que ce contexte apparaisse de manière allusive, par des petites touches, sans jamais phagocyter le film. Qu’on ne se dise pas que c’est un film à sujet ou un film « dossier ». C’était le défi que de faire un film à échelle familiale appartenant malgré tout à un contexte. Ce n’est pas du tout un film sur le fanatisme religieux, bien que le fanatisme religieux en soit une composante, très périphérique.
Unidivers : Est-ce que la scène de l’attentat était nécessaire à votre film ? La mère d’Amanda aurait-elle pu mourir différemment ?
M. Hers : Elle aurait pu oui, mais ça n’aurait pas été le même film. J’avais envie que ça témoigne quand même de quelque chose du présent. Donc si elle avait été fauchée par un bus, ça n’aurait pas été le même film. Il y aurait eu plein d’éléments en commun bien sûr mais malgré tout, dans ce que je voulais dessiner en creux, ça n’aurait pas été la même chose.
Unidivers : Est-ce qu’on vous a reproché ce choix, de représenter cette tragédie ?
M. Hers : Non, ça se passe très bien à ce niveau-là. À aucun moment jusqu’ici la question n’a éveillé d’agressivité, ni dans les critiques ni dans les débats avec le public. Ce n’est pas à moi de dire ça mais je pense que les gens sont raccords avec la manière dont on l’a abordé. Le choix du lieu, le parti pris que ce ne soit pas un attentat réel, mais un attentat fictif, etc… Il faut dire qu’on est aussi plutôt exposé aux retours positifs, donc il y a peut-être des gens pour qui ça tique. En tout cas je n’y ai pas été confronté pour le moment.
Unidivers : Vous avez fait tourner plusieurs actrices que l’on n’avait pas vu à l’écran depuis longtemps (Greta Scacchi, Marianne Basler, Elli Medeiros,…). Pourquoi ce choix ?
M. Hers : Je ne suis pas tout jeune, mais je reste un jeune cinéaste, dans le sens où je n’ai pas fait beaucoup de films. Et il y a toujours quelque chose de gênant dans le fait de recevoir en casting des gens qui ont cent fois plus de métier que vous. Alors, depuis mes débuts, je choisis directement des acteurs dont j’aime la filmographie, dont j’aime le jeu et cela m’évite de leur faire passer un casting. Je sais par avance qu’ils vont être bien. Greta Scacchi, Marianne Basler, ce sont des figures du cinéma de mon adolescence, j’avais déjà une affection pour elles.
Unidivers : En tout cas on voit que vous adorez Paris.
M. Hers : J’espère (rires).
Unidivers : Vous pourriez tourner en campagne ?
M. Hers : Peut-être que je pourrais, mais c’est vrai que la ville c’est pour moi là où j’ai grandi, là où j’ai vécu, et comme jusqu’à présent j’ai fait plutôt des films à partir des choses que je connais, je me retrouve immanquablement à filmer les villes. J’aimerais filmer à la campagne oui, mais c’est vrai que je connais moins… donc j’ai l’impression que je serais moins légitime et surtout que j’aurais moins de prise sur les choses.
Unidivers : On a cette impression d’un Paris vidé de sa population, de son agitation, est-ce intentionnel ?
M. Hers : Pas intentionnel, non. Je pense que ce sont des images qui se contaminent les unes les autres, parce que pour ma part, quand je peux tourner sans figurant, je le fais. J’immerge directement mes personnages dans les lieux réels, qui continuent à vivre, dans un mode proche du documentaire. On l’a fait à Saint-Pancras (Londres) comme à la Gare de Lyon (Paris). Donc il n’y a aucune volonté de ma part de vider les lieux ou de les rendre plus évanescents, au contraire. Mais comme dans le film il y a beaucoup d’espaces verts et des lieux un peu déserts, peut-être que dans le regard du spectateur les choses s’uniformisent et donnent une impression de quiétude. Qui plus est on a tourné en été, avec la lumière qui va avec et un côté moins trépidant dans Paris à cette période.
Unidivers : Il y a toute une réflexion sur le temps qui passe. Beaucoup de choses se jouent hors-champ…
M. Hers : Il y a le film que l’on voit et le film que l’on peut s’imaginer, qui se loge dans les ellipses, les interstices. Ces « deux films » progressent ensemble. Quand j’écris, il y a certaines scènes qui, je sais, doivent apparaître visuellement dans le film. Par exemple, il était pour moi inconcevable de ne pas inclure la scène de l’attentat ou bien le moment où David annonce à Amanda qu’elle a perdu sa mère. Ça aurait été de l’évitement, une fausse pudeur. Mais il y a d’autres scènes qui n’appartenaient pas du tout à mon film, même si elles appartiennent à l’histoire, par exemple les funérailles de la mère. Un film c’est toujours des choix. Malgré tout, j’espère que le spectateur peut s’alimenter de ces scènes invisibles et se raconter lui-même les pans du film qu’il a envie de se raconter.
Unidivers : Avez vous laissé vos deux acteurs principaux gérer leur relation ou bien les avez vous guidés ?
M. Hers : Un peu des deux. Vincent est très jeune et n’a pas d’enfant dans son entourage, donc il ne savait pas vraiment comment se comporter avec une enfant. Il avait une gêne, une maladresse en lui, qui correspondait assez bien au trajet de son personnage. Et au fur et à mesure que le tournage progressait, la complicité entre Vincent et Isaure aussi grandissait. Donc d’une certaine manière le trajet des acteurs rejoignait celui des personnages. Mais c’est un beau hasard, on n’a pas choisi Vincent pour ça.
Unidivers : Est-ce que c’est compliqué de faire pleurer une enfant ?
M. Hers : Il faut la pincer très fort (rires). C’est une relation de confiance en fait. Isaure avait lu le scénario avant et elle en comprenait tous les enjeux. Elle appréhendait beaucoup ces séquences émotionnellement chargées et je pense que quand le tournage arrivait, elle évacuait ça en pleurant. Pour le personnage c’était de la tristesse, pour elle c’était aussi de la décompensation. En revanche, par exemple, la dernière séquence à Wimbledon, c’est aussi la dernière séquence que l’on a tournée. Donc elle a pu se servir à la fois de la grande joie du travail accompli et de la tristesse de savoir qu’elle allait revenir à sa vie normale, juste après cette scène.
Unidivers : Merci M. Hers.
AMANDA, de Mikhaël Hers. Sortie le 21 novembre 2018.
Avec Vincent Lacoste, Isaure Multrier, Stacy Martin, Ophélia Kolb, etc…
Production – Nord-Ouest Films