Two Lovers, de James Gray, avec Joaquin Phoenix, Vinessa Shaw, Gwyneth Paltrow, Isabella Rossellini, Elias Koteas. Date de sortie : 2008. Disponible en dvd et blu-ray chez Wild Side
Two Lovers est un film plein de détails. Tellement plein de détails, d’ailleurs, qu’à la manière d’un film de Jacques Tati, on perd beaucoup à le voir sur un petit écran. Le corps imposant de Joaquin Phoenix – ex-gladiateur – se trouve projeté dans une maison de poupées à Brooklyn où la poussière n’est pas de sable mais d’usure, et où le rêve heureux est atteint moins par la dépense de sueur que par l’excès de précautions. Aussi voit-on surtout, sur le petit écran, un gros corps brinquebaler dans un monde étriqué, et manque-t-on sûrement d’apprécier la façon dont ce dernier ne cesse de jouer l’entrave, le croche-patte ou l’épine dans le pied. Le film
En fait, Two Lovers est un film qui porte en lui plusieurs lectures possibles. On peut le trouver triste, on peut en rire ; on peut le trouver très écrit ou au contraire allusif, chaud ou froid ; on peut le comparer aussi bien à un opéra qu’à une musique de chambre ; on peut être sidéré par sa grandiloquence et touché par sa délicatesse ; on peut penser que c’est la version sérieuse de La vérité si je mens, ou la version bouffonne de La maman et la putain, ou encore une variation masculine, prolétaire, juive et new-yorkaise d’Anna Karénine ou de La princesse de Clèves. Il faut, pour saisir la richesse du film, distinguer ce qu’il fabrique de ce qu’il crée. Qu’est-ce que James Gray fabrique : de l’opératique (les lignes de force du scénario très oedipien sont bien visibles et écrasantes à souhait) et du minuscule (précisions qui ne cessent de détourner notre regard des lignes de force du scénario, telle cette affiche de 2001 Odyssée de l’Espace dans la chambre de Leonard). Qu’est-ce que le film crée : une distance entre ces deux ordres de grandeur, un écart absolu dans lequel le héros évolue entre l’incommensurable (le destin, la passion, la mort) et l’étriqué (la famille, les médicaments, les fêtes de fin d’année). C’est cette distance qui est à proprement parler cinématographique, parce qu’elle échappe aux intentions et à la minutie de l’auteur. Parce que l’auteur se trouve contraint à enregistrer cette distance – et le désespoir qui y règne, et les soubresauts qui y naissent – au point de réaliser non pas un portrait de famille, ni même une tragédie classique, mais un pur film de paysage. Paysage fantomatique, hanté, champ de détresse où l’être oscille entre la résignation et la grâce, ne trouvant ni l’un ni l’autre.
[1] Leonard est aussi le prénom du personnage bipolaire du dernier roman de Jeffrey Eugenides, Le roman du mariage, paru aux éditions de L’Olivier – référence volontaire de la part de Jeffrey Eugenides ?
