En ce 8 mars 2024, journée internationale des droits des femmes, la rédaction célèbre différentes figures féminines, d’ici et d’ailleurs, qui ont marqué l’histoire, mais dont leur récit reste parfois méconnu. Disparue prématurément en 1968 à l’âge de 28 ans, Clotilde Vautier a été une des figures de la vie culturelle rennaise des années 60. Unidivers revient sur cette peintre de talent qui a su s’inscrire dans l’histoire de l’art local.
Les trois toiles de la peintre française Clotilde Vautier, récente donation de la famille de l’artiste, patientent dans la salle d’expositions temporaires au musée des Beaux-Arts de Rennes jusqu’à la réouverture des lieux. Paysage, portrait et nature morte retracent son art pictural, mais « au delà de son rôle de peintre, elle représente la figure du combat féministe à Rennes », souligne Jean-Roch Bouiller, directeur du Musée des Beaux-Arts de Rennes.
Normande de naissance (1939, Cherbourg), Clotilde Vautier devient bretonne d’adoption dès son intégration à l’École des Beaux-Arts de Rennes en 1958, après un premier arrêt à l’École des Beaux-Arts du Mans. Elle rencontre sur les bancs d’école de la capitale bretonne les frère espagnols Mariano Otero, artiste à succès récemment décédé, et Antonio Otero, son futur mari. À l’image de l’œuvre de Clotilde Vautier, celle de Mariano (1942 – 2019) était habitée par la femme, des portraits et nus hors pair où la sensualité et la féminité émergeaient dans une touche picturale remplie de sobriété.
En janvier 1962, ils fondent « l’Atelier des Trois » et exposent dans plusieurs galeries de Bretagne. Diplômés de l’École des Beaux-Arts la même année, la série de lavis et d’aquarelles « Avant la comédie à la CDO » qui accompagne son mémoire de fin d’études sur « La Comédie de l’Ouest de Rennes » révèlent un trait aussi énergique que précis, caractéristique de son travail au dessin. Parallèlement, deux petites filles font leur apparition dans la vie du couple Otero-Vautier : la future comédienne Isabel Otero (août 1962) et la future cinéaste documentariste Mariana Otero (décembre 1963).
« Elle était la plus douée de notre génération […] Si elle avait vécu, Clotilde aurait été une des figures les plus importantes de la seconde moitié du XXe siècle », Antonio Otero.
La femme peinte en toute simplicité…
Dès les premiers coups de crayon, la femme tient une grande place dans son travail. Dès 1960, les nus et portraits féminins côtoient ses premiers paysages (Le Quatorze juillet, 1957) et les portraits d’hommes (Tête de garçon, 1959 ; Premier portrait d’Antonio, 1959). La peinture à l’huile, les monotypes, le lavis et la gouache explorent la féminité dans toute sa splendeur pour des représentations vivantes. Aux modèles professionnels, elle préfère croquer ses amies et connaissances. De sa peinture semble ressortir une certaine intimité. Il est aisé de distinguer la relation de confiance qu’elle semble entretenir avec le modèle : la profondeur du regard et le naturel des poses. « Elle était à l’écoute de ce que l’on allait faire apparaître », souligne Marie-José, le modèle de La Grande Liseuse, lors de l’exposition à la MIR – Maison Internationale de Rennes. Une certaine pudeur et une sincérité ressortent de son art. Son rapide coup de crayon pose sur papier l’humanité du modèle.
Comme le souligne Jean-Roch Bouiller, son œuvre témoigne d’un engouement pour une forme de figuration port-cubiste à l’École des Beaux-Arts de Rennes à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les formes sont simplifiées, mais les visages et corps de Clotilde Vautier se dessinent avec précision.
En plus d’être sa ville d’adoption, Rennes voit l’œuvre de Clotilde Vautier s’épanouir dès 1964. Malgré le peu de moyens matériels, son travail explose de créativité. Durant cette période, la maison Otero-Vautier est ouverte à tous : on y parle peinture, littérature, philosophie, cinéma, politique, etc. Féministe sans le savoir peut-être, l’artiste parle comme elle dessine et peint, avec ses tripes si l’on peut dire.
Plusieurs prix lui sont attribués dans les concours de peinture auxquels elle participe : Grand Prix du Nu au Salon International de Deauville en 1966 ; Grand Prix du Portrait au Salon International de Doué-la-Fontaine en 1967 ; etc. Elle remporte également le 2e Prix de la Casa Vélazquez (Milan) en juin de la même année et reçoit un retour élogieux du jury, laissant présager un futur artistique des plus ensoleillés. Les formes s’arrondissent encore plus dans ses peintures. Les courbes du corps féminin deviennent plus amples et douces.
Fauchée en plein vol
Cependant, alors qu’elle préparait le concours de la Casa Vélazquez avec sa série « Les Femmes à la toilette », Clotilde Vautier succombe à une septicémie en mars 1968. La raison n’est autre qu’un avortement clandestin qu’elle a auto-pratiquée, car illégal à l’époque*. Et trop peu de moyens pour faire un appel à une « faiseuse d’anges ». La série restera inachevée… elle n’avait que 28 ans et laisse derrière elle 90 peintures et 150 dessins. Une œuvre importante malgré la courte durée d’une carrière qui s’annonçait prometteuse si le contexte sanitaire et moral de l’époque ne l’avaient pas emporté.
Au moment de sa disparition, le sujet est tabou. Des milliers de femmes meurent des suites d’un avortement illégal, tandis que d’autres encourent une peine de prison pour l’avoir fait. À l’orée de mai 68, la loi du 31 juillet 1920 est toujours d’actualité. La contraception est proscrite et l’avortement un crime, la femme ne dispose d’aucun droit sur son corps. Dans ce contexte, Antonio Otero décide de ne pas en parler à ses filles Isabel et Mariana, respectivement âgées de cinq et quatre ans. Comment expliquer la situation à des enfants ? Prétextant qu’elle est partie travailler à Paris, elles apprennent finalement le décès de leur mère par leur grand-mère un an et demi après le drame. La véritable raison reste néanmoins cachée. Tout comme son œuvre.
Les tableaux sont enfermés dans un placard et les photos rangées dans un tiroir avec interdiction de les ouvrir. La vérité n’est révélée qu’une trentaine d’années plus tard. « Ce secret que mon père avait porté seul pendant 25 ans l’avait empêché de nous raconter sa vie et de nous montrer son œuvre », écrit la documentariste Mariana Otero qui réalise le documentaire Histoire d’un secret en 2003. Ce film donnera une nouvelle visibilité à l’œuvre de sa mère.
Depuis maintenant une vingtaine d’année, Antonio Otero cherche à faire reconnaître l’œuvre de sa première femme. En France et en Espagne, des expositions de Clotilde Vautier, l’artiste partie trop tôt, habillent les murs des galeries et musées.
Rennes s’attache également à conserver la mémoire de son nom. Une rue porte son nom ainsi que le collège de Maurepas où l’artiste avait son atelier. Et en 2018, l’exposition Celle qui voulait tout à la MIR – Maison Internationale de Rennes – était consacrée à ses dernières œuvres (1967-1968). Déjà en possession de quatre dessins préparatoires de la série Les Tricoteuses, la collection du musée des Beaux-Arts de Rennes s’est enrichie de trois nouveaux tableaux, offerts par la famille de Clotilde Vautier.
Comme le souligne sa fille Mariana Otero dans le dossier de presse d’Histoire d’un secret, « ce sont de merveilleux tableaux qui représentent la femme dans une plénitude et avec un bonheur, une liberté qui contraste malheureusement avec les raisons du décès. Ces corps ce sont aussi d’une certaine manière toutes ces femmes dont parle le film ». On ne pourrait mieux résumer le travail de Clotilde Vautier. Plus qu’une femme artiste qui a su s’imposer dans l’histoire de l’art local à une période où les femmes n’y avaient qu’une petite place, elle restera un symbole dans l’histoire de la femme à Rennes. Celui d’une femme talentueuse qui voulait simplement garder le contrôle sur son corps et sa vie…
* Légalisation de l’avortement : Après des années de combats et une succession d’étapes – légalisation de la contraception en 1967 ; le Manifeste des 343 en 1971 (parmi lesquelles Catherine Deneuve, Marguerite Duras, Jeanne Moreau et Agnès Varda) ; le procès de Bobigny en 1972 et le Manifeste des 331 en 1973, la loi du 17 janvier 1975, dite loi Veil, relative à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), dépénalise l’avortement en France. Préparée par Simone Veil, alors ministre de la Santé sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, elle est promulguée le 17 janvier 1975 pour 5 ans à titre expérimental avant d’être reconduite sans limite de temps par une loi du 31 décembre 1979.