2021 marque trois décennies de création collective du 9e Concept. Le collectif d’artistes, mené par Ned, Stéphane Carricondo et Jerk45, déjoue les codes muséaux et des galeries en essaimant ses projets et créations dans l’espace urbain. Artistes et professionnels du monde l’art reviennent sur cette épopée artistique dans un ouvrage paru aux éditions In Fine : 9e Concept, 30 ans de dialogue artistique ou la philosophie du partage.
« Dans l’humilité individuelle se crée l’harmonie collective », 9e Concept, 30 ans de dialogue artistique.
Depuis trois décennies, le collectif d’artistes du 9e Concept déjoue les codes muséaux et des galeries en essaimant ses projets et créations dans l’espace urbain, avec en ligne de mire la démocratisation de l’art. Comment le collectif est-il né ? Qui en sont les fondateurs ? De quelle manière ce groupement d’artistes a-t-il développé un véritable laboratoire artistique, reflet de notre monde contemporain ? Dans quelle mesure sont-ils parvenus à rendre leur art accessible à tous ? C’est ce que nous propose de découvrir les Éditions In Fine, avec la publication en juin 2020, de 9e Concept, 30 ans de dialogue artistique.
Né de la rencontre de Stéphane Nedellec dit « Ned » et Stéphane Carricondo, amis depuis le collège, avec Jerk45, Jérôme de son vrai nom, à l’École de communication visuelle de Paris, 9e Concept « se crée dans les caves de l’école en 1990 », accompagné d’influences variées tel que la bande dessinée, la culture hip hop ou encore la culture punk.
Si votre esprit s’évade vers un monde dystopique, certainement éloigné de la planète Terre, à l’évocation de ce nom, n’ayez crainte, vous ne regardez, ou ne lisez, pas trop de science-fiction. Référence à l’univers futuriste de la série de bande dessinée « The Incal » de Moebius et Jodorowsky, le nom du collectif vient également du titre d’une BD, restée inachevée, réalisée par Stéphane Nedellec, cofondateur de 9e Concept, âgé de 15 ans à l’époque, où « un héros allait sur neuf planètes pour découvrir un chemin initiatique ».
Les références au chiffre 9 ne s’arrêtent pas là. Elles sont multiples et les fondateurs chérissent cette dynamique, l’enracinent dans leur collectif. Prenons les neuf muses de la mythologie grecque, filles de Zeus et de Mnémosyne qui représentent les sciences et les arts ; ou le neuvième art, la bande dessinée, pour n’en citer que quelques-unes. Quant à la symbolique du chiffre 9… évoquant la puissance divine, il représente, en autres, l’immortalité, l’ouverture d’esprit, la connaissance de l’autre, la spiritualité et l’altruisme. Ces caractéristiques ne sont-elles pas en adéquation avec le collectif ?
Les trois adolescents sont rapidement remarqués par l’artiste pluridisciplinaire Mike Sylla, en 1991. Cette figure de l’activisme culturel des années 80 leur propose de peindre sur des vêtements pour sa nouvelle marque, Baïfall Dream. Il est certain que le styliste a eu du nez, le succès ne s’est pas fait attendre. Plus de six cent pièces seront fabriquées.
Depuis, 9e Concept se fait le miroir des pratiques artistiques urbaines actuelles. Dessin, peinture, tatouage, photographie, et même musique, c’est dans le développement de la singularité artistique de chacun, le mélange de leur univers respectif et la production collective que se forge l’identité du collectif, et sa force. En 30 ans, le groupe, sous la houlette des trois co-fondateurs, a su se nourrir des différences artistiques des membres et diffuse une unité plastique à chaque projet. Ont-ils un secret inavouable ? Il y peu le graffeur lorientais Kaz soulignait dans un entretien donné à Unidivers : « Pour moi, une des définitions du street-art c’est le partage », sans oublier la transmission. Ces mots résonnent avec les valeurs du collectif d’artistes du 9e Concept. Tout comme l’épanouissement individuel dans une démarche groupée.
« D’expositions personnelles en commandes assumées comme commerciales », avec notamment la marque Desperado, « et des projets généreux résolument destinés à favoriser l’accessibilité de l’art à tous, le collectif puise son énergie dans la multiplicité des projets et des périmètres ». Le collectif développe l’hybridation sous toutes ses formes et multiplie les projets novateurs qui mélangent les genres, en incluant artistes et créateurs « à œuvrer en son nom tout en promouvant l’œuvre et la carrière de chacun ».
Citons « les Francscolleurs », qui a réunit pas moins de 80 artistes et activistes autour d’une même contrainte : créer à partir d’une forme, la goutte. Réalisé entre 2015 et 2017, le projet urbain de stickers et d’affiches est né en France avant s’épanouir dans le monde entier, comme en Inde, avec « Art for Tibet ». « Les Francscolleurs sont à la fois un collectif, un ensemble d’action dans l’espace urbain, mais avant tout une œuvre qui ne se comprend que si l’on envisage l’art urbain comme une forme d’expérience artistique évolutive et non figée », souligne la prose du graffeur rennais Tarek Ben Yakhlef dans le livre.
À l’instar de la période 1989-1992, où le métro parisien était régulièrement peint par de jeunes graffeurs, l’événement a marqué le street-art et l’histoire de l’art. S’en est suivi l’art urbain en pleine mutation et démocratisation, celui que l’on connaît depuis les années 2000.
Mais sans public, que sont les artistes ? Depuis 30 ans, le collectif du 9e Concept fait force de partage avec tous les publics pour un art accessible à tous. En 2006, au Centre Pompidou, le projet « Face à face » a proposé aux visiteurs de dessiner le portrait d’un tiers à l’aide d’une feuille transparente scotchée sur une vitre. En 2016, dans le cadre de la rétrospective au Flow, première structure à Lille dédiée aux cultures urbaines, le groupement d’artistes est revenu sur 25 ans de création collective et de concepts. Les membres ont transformé une des salles en atelier et, à tour de rôle, ils proposèrent des performances live de peinture, de collage ou de volume. Le public était invité à « voir la performance évoluer et à participer dans le but de désacraliser « les tableaux uniques » accrochés sur le mur ».
9e Concept, 30 ans de dialogue artistique est résolument ce que l’on appelle un beau livre, quelque soit la définition que l’on puisse donner aujourd’hui à cet intitulé. Que l’on soit connaisseurs ou néophytes, l’ouvrage propose plus de 300 pages d’émerveillement afin de partir à la (re)découverte d’un monde artistique, qui s’est d’abord épanoui sur les murs de l’espace urbain avant d’investir ceux des musées, entre autres. Un art urbain singulier rempli de valeurs et de talents. « Nous ne sommes pas qu’une simple agence de conception graphique, nous prônons une aventure artistique et collective », souligne d’ailleurs Ned dans le livre.
Après leur monographie 20 ans de création collective, aux éditions Herscher, les Éditions d’Art In Fine publie la nouvelle bible artistique du 9e Concept. Et la rédaction Unidivers accepte volontiers de se plier à leur religion.