Le Musée de Bretagne des Champs libres à Rennes convie les amoureux de la Bretagne et de l’histoire régionale à un voyage dans le temps étonnant et émouvant au travers de sa collection photographique. La collecte, le tri, l’archivage, la numérisation, la protection de cet immense héritage ethnographique représentent un travail de longue haleine qui mérite d’être salué et encouragé.
Le Musée de Bretagne situé à Rennes gère des collections très variées et très riches sur l’histoire de la Bretagne, mais nous allons nous focaliser sur sa collection de photos, accessible à tous ceux qui ont un accès internet et donc consultable partout dans le monde. Évaluée à 400 000 négatifs sur verre et films souples, à plus de 13 000 tirages et 80 000 cartes postales, cette collection est par ailleurs la plus importante du musée : c’est à l’occasion d’une exposition relativement récente qui s’intitulait Reflets de Bretagne – 160 ans de photographies inédites (29 juin 2012 — 6 janvier 2013) que, pour la première fois et pour notre plus grand plaisir, une partie de ces fonds a été présentée au public et qu’un ouvrage a été publié sous la direction de la conservatrice Laurence Prod’homme.
C’est ainsi que près de 13 000 notices et 15 000 images, des années 1840 jusqu’à nos jours sont désormais consultables en ligne et l’émotion qu’elles nous procurent est indéniable : j’ai moi-même pu retrouver une photo liée à des souvenirs d’enfance (voir photo ci-contre : on voit le maire de Rennes de l’époque, Monsieur Edmond Hervé, le maire d’Erlangen (la ville jumelée avec Rennes), Yves Morice (mon oncle) et en retrait celui qui sera des années plus tard mon professeur à l’université, Monsieur Jean-Louis Bandet)… Et vous, reconnaîtrez-vous quelqu’un ou un lieu ? Aurez-vous les mêmes larmes d’émotion que certains visiteurs lors de l’exposition ? Peut-être aurez-vous cette chance, même si le nombre de clichés à découvrir est très important et que la recherche est parfois peu aisée (mais elle est vouée à s’améliorer dans les années à venir). Le diaporama ci-dessous, vous donnera un (tout petit) aperçu de la beauté des clichés et de l’intérêt à la fois historique et ethnographique qu’ils représentent. Le choix bien sûr a été affreusement difficile, à vous désormais de faire les vôtres grâce aux mots-clés. Le teaser de l’exposition Quand l’habit fait le moine (2014) complète cet aperçu. À l’occasion des expositions in situ sont publiés de jolis petits livres-photo commentés et illustrés.
Mais d’où viennent toutes ces photos ?
Dans la première partie du 19e siècle, les conservateurs ne s’intéressent pas particulièrement aux photographies que l’on nomme alors daguerréotypes, du nom de leur inventeur Louis Jacques Mandé Daguerre (1787-1851) qui avait poursuivi les travaux de son associé Nicéphore Niepce (1765-1833), lui-même ayant mis au point l’héliographie : la première image fixée datant de 1826 ou 1827.
En 1851, ce n’est donc qu’un seul daguerréotype qui figure au premier registre d’inventaire : il s’agit d’un détail du retable de l’ancienne cathédrale de Rennes et ce n’est qu’en 1874, soit plus de vingt ans plus tard que le premier portrait photographique fait son entrée à ce fameux registre sous forme de donation (offerte par les enfants du conservateur) : il s’agit du portrait de Jules Aussant, conservateur des musées de Rennes, photographié par le Rennais Charles Mévius en 1870 (Charles Mévius exerça à Rennes au Champ de Mars de 1859 à 1889)
Ensuite diverses acquisitions et des dons complètent une collection naissante, sans susciter de réel enthousiasme. Les premières archives photographiques représentent des paysages urbains et ruraux, liés à des événements exceptionnels, des bâtiments, des travaux, des monuments remarquables : ont-elles leur place aux archives ou dans un musée ?
Dans les années 20, la photographie est avant tout un outil de travail pour reproduire des collections du musée (peintures, sculptures, etc.) et sert aux premiers documentaires écrits et aux inventaires. Dans les années 30, on élargit la thématique des photographies à la vie locale ou régionale, bien utiles pour illustrer les articles de presse. Et puis dans les 40 années qui suivront, la photographie qui ne passionnait déjà guère nos conservateurs semble ne plus les intéresser du tout et il n’y a plus d’acquisition. La photographie ne semble pas digne d’intérêt, en tout cas pas suffisamment pour figurer dans un musée. Si les clichés sont conservés, ils ne sont pour autant pas exposés au grand public.
Jean-Yves Veillard : un conservateur au nez fin
L’arrivée de Jean-Yves Veillard, conservateur de 1967 à 2000, historien et chercheur, change enfin la donne. Eh oui, c’est lui qui prend enfin conscience de l’intérêt de la photographie, intérêt à la fois sociologique, ethnographique et bien sûr esthétique. Dès le début des années 70, il se met en quête des clichés disséminés dans toute la Bretagne, collectant ainsi dans les précieux trésors chez des photographes encore en activité ou même chez leurs descendants. Pendant longtemps, les appareils photo étaient chers, de même que les tirages, et la manipulation des outils photographiques n’était pas toujours aisée pour des profanes alors pour immortaliser les moments importants de la vie on faisait tout naturellement appel au photographe du village ou de sa ville : naissances, baptêmes, mariages, fêtes religieuses, départs ou retours de la guerre. Des portraits qui longtemps trouveront une place de choix dans les foyers puis qui seront remisés dans des tiroirs ou pire… Pourtant ces joyaux représentent un héritage exceptionnel puisqu’à travers eux c’est l’histoire de la région qui se dessine sous nos yeux. Notre vaillant conservateur aura donc sauvé des milliers de clichés qui viendront enrichir le fonds photographique du musée.
Quelques photographes locaux :
Le premier fonds collecté est celui du Morbihannais Henry Laurent-Nel (1880-1960) : Henry Laurent est né et mort à Port-Louis le 6 avril 1880. Dès 1905, il se passionne pour la photographie et s’installe à Lorient où il va réaliser plus de 4000 photographies signées « Collection H. Laurent, Port-Louis ». En 1907, il se marie avec Jeanne Nel à Rennes où il va résider à partir de 1908 et jusqu’en 1945. De 1914 à 1920, il produit sous la signature de « Éditions Laurent-Nel — Rennes », ou « Collection Laurent-Nel » et après cette date, les clichés sont publiés sous la marque Loïc de l’éditeur P. Mesny, à Rennes. Mesny est éditeur à Rennes, 22 Rue du Mail. L’avantage des cartes postales est naturellement qu’elles sont légendées et souvent datées.
Alexandre Lamiré : photographe et surtout éditeur de cartes postales. En 1925, il rachètera le fonds de commerce d’Edmond Mary-Rousselière, éditeur rennais. Pour l’anecdote et d’après l’excellent site de Sophie Chmura, (historienne de l’art et docteur en histoire culturelle et patrimoniale) :
Il passe des annonces dans le journal Ouest éclair pour écouler 500 000 cartes postales vues du département d’Ille-et-Vilaine, pour la plupart encore au nom de son prédécesseur, et en 1927, il essaye de nouveau de vendre 600 000 cartes vues du département à 11 francs le kilo.
Anne Catherine (1874-1958) : cette admirable femme originaire de Guer (Gwern-Porc’hoed) dans le Morbihan s’installa à Redon vers 1894 avec son mari, ville dans laquelle ils reprirent un studio de photographie qu’ils appelèrent : Photographie du Progrès. Les Catherine – Robert, Robert étant le nom de famille de madame et Catherine le nom de monsieur. À partir de 1909, date de son veuvage, madame Anne Catherine-Robert mena de front (c’est le cas de le dire puisqu’elle fit des reportages de guerre, embarquant avec elle son matériel dans sa voiture) sa vie professionnelle et sa vie de maman de 5 enfants. En 1978, dans une maison où résida le couple photographe, on retrouve pas moins de 14 000 photos sur plaques de verre, précieusement conservées au Musée de Bretagne. En 1991, le conseil municipal de la ville de Rennes veut rendre hommage à cette grande dame, c’est ainsi que l’on trouve le mail Anne-Catherine dans le quartier Cleunay-Arsenal Redon.
Raphaël Binet (1880-1961) : Breton d’adoption puisque né à Mamers (72), Raphaël Binet, ancien élève des Beaux-arts de Rouen, résidera à Saint-Brieuc de 1914 à 1935 puis à Rennes jusqu’à son décès. Ce photographe visionnaire ne s’est pas contenté de faire de la photo en studio, il a parcouru la Bretagne pour saisir des instants spontanés, des visages, des attitudes, des traditions. En 1934, il fait paraître aux éditions Ouest-Éclair un album de 36 photographies sous le titre « Autour des Pardons » dont la page de titre mentionnait : « première série d’héliogravures d’art extraites de la Collection Bretonne. Présentation François Jaffrennou (Jaffrennou, alias Taldir, est l’auteur-traducteur du Bro gozh ma zadoù [Vieux pays de mes pères] qui deviendra l’hymne de la Bretagne), les légendes et descriptions sont de Léon Le Berre (journaliste et homme de lettres finistérien).
Amédée Fleury (1878-1961) : Amédée Fleury était artisan-photographe à Luitré de 1896 à 1958. Le fonds Amédée Fleury est constitué de près de 6 000 négatifs et est entré dans les collections en 1992. Il montre la vie quotidienne des habitants de bourgs et villages du nord-est de l’Ille-et-Vilaine sur plus d’un demi-siècle ainsi que les conséquences de la Première Guerre mondiale. Sa Laveuse illustre la première de couverture du livre “Reflets de Bretagne”
Charles Barmay (1909-1993) : Ce Rennais entrera tôt en apprentissage à l’imprimerie Oberthür pour y apprendre le métier de dessinateur et suivra des cours du soir à l’École des Beaux-Arts. En 1935, le quotidien Ouest-Éclair l’embauche comme retoucheur, puis en tant que photograveur. Il y restera 36 ans. En 1958, il sera nommé directeur des services artistiques du journal, devenu Ouest-France. Il est reconnu de son vivant en tant que peintre et dessinateur talentueux, mais sa passion principale reste la photographie. Avec son Rolleiflex, il arpente les rues et nous offrira de beaux instantanés de la vie rennaise.
Charles et Paul Géniaux : Frères dans la vie et frères en photographie, Charles (1870-1931) et Paul (1873-1929) Géniaux, Rennais d’origine, se lancent dans l’aventure photographique dans le courant des années 1893-1894. Paul Géniaux poursuivra seul sa carrière de photographe tandis que son frère se consacrera à la littérature. Les photographies, publiées en revues, offrent un panorama assez varié du monde du travail en Bretagne avant 1900 : agriculture, pêche, petits métiers, mais aussi scènes de fêtes, activités de détente et processions religieuses sur l’ensemble du territoire breton. Les jeunes et moins jeunes handballeurs rennais vont aujourd’hui s’entraîner à « Géniaux » dans le quartier Nord-Ouest… (même si toutefois seul le nom de Charles est mentionné sur la plaque)
Georges Nitsch (1866-1941) : Architecte de profession, il est très impliqué dans la vie culturelle rennaise, tout en assurant la présidence de la Société photographique de Rennes (fondée en 1890) à partir de 1927 et jusqu’en 1936. La collection Nitsch du musée de Bretagne, reçue en don en 1976, est riche de près de 3 000 images (négatifs & tirages). Des thématiques classiques pour l’époque sont abordées : paysages ruraux, scènes de travail, bords de mer, paysages urbains… sans jamais négliger la place des femmes et des hommes qui vivent dans ces lieux, et qu’il photographie toujours avec finesse et humanisme.
Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages illustrés sur les édifices rennais. Il reçut un prix de l’Académie française pour son ouvrage décrivant Le Palais de justice de Rennes en 1933.
On trouve également des œuvres de Jules Duclos (1820-1899, Lorient), Alfred Bernier (1822-1900, Brest) et d’autres qui ont photographié la Bretagne comme Charles Furne, Gustave Le Gray, Médéric Mieusement…
Comment et où sont conservés tous ces trésors ?
Sous la direction de Madame Prod’homme, conservatrice au musée, une équipe technique au taquet prend soin de tous ces clichés, tirages, plaques de verre, cartes postales et affiches qui sont conservés dans les sous-sols du musée, à l’abri de la lumière et de l’humidité. Ils sont bien sûr archivés en fonction de leur nature, mais une chose est certaine, le plastique est l’ennemi du conservateur : aucun plastique, à moins qu’il ne soit prévu à cet effet, ne doit être utilisé pour l’archivage ! Si vous pensiez, comme moi, faire les choses bien en plastifiant vos documents et autres photos et bien arrêtez immédiatement si vous souhaitez en faire profiter vos descendants.
Pouvez-vous aider l’équipe technique à identifier des photos ?
Certaines photos ne sont ni datées ni localisées. Le musée de Bretagne fait donc appel aux internautes pour identifier ces clichés. Cela se passe ici
Voilà donc un aperçu de ce que vous pourrez trouver dans cette merveilleuse collection qui s’enrichit au fil du temps grâce aux acquisitions et aux donations et naturellement les photographes plus contemporains tout aussi talentueux que leurs prédécesseurs ne sont pas oubliés, mais il est évident qu’il faudrait plus d’un article pour en parler en détail. Je tiens en tout cas à remercier les responsables du Musée de Bretagne de m’avoir ouvert les Portes du Temps et la conservatrice, madame Prod’homme pour cette visite extraordinaire et toutes les informations sur nos trésors patrimoniaux, c’est à mon tour de vous souhaiter une excellente visite. Bon voyage.
Collection photographique du musée de Bretagne, Rennes
Photo de Une : Saint-Guénolé, conserverie Roulland, Négatif sur film, première moitié du XXe siècle.
Il est possible de commander des images numériques des clichés que vous avez consultés sur la base de données en ligne. Pour cela, il faut impérativement donner les numéros d’inventaire qui se trouvent sur la fiche. Des frais techniques ainsi qu’une redevance d’utilisation seront à acquitter sur la base des tarifs 2014 et des conditions générales, vous pouvez passer commande ici.
EXPO RENNES, CHARLES ET PAUL GÉNIAUX LA PHOTOGRAPHIE UN DESTIN JUSQU’À FIN AOUT