Inutile de présenter Quentin Mouron, il le fait tout seul sans la nécessité d’une entremise. Jeune homme sage mais pas vraiment raisonnable, faussement désabusé sans être vraiment enthousiaste, il y a dans chacun de ses romans un personnage proche du sien et de son envie papillonnante de se bruler les ailes, à condition de pouvoir s’éloigner de l’ampoule quand il l’aura choisi. Surdoué de la littérature romande, il ne se force pas à répondre aux questions lorsque les arguments lui manquent. Dans une époque où « ne pas savoir » est un flagrant délit de faiblesse, Quentin Mouron se contente de dire la vérité. La sienne. Et désormais la nôtre.
Jérôme Enez-Vriad : Une ambiance californienne, un univers québécois ou une atmosphère genevoise, chacun de vos romans évolue dans un décor construit comme un personnage à part entière. Est-ce une facilité d’auteur ou s’agit-il d’un travail spécifique ?
Quentin Mouron : Ce n’est pas un hasard. Le décor est essentiel car il est la cohérence visuelle des personnages, des sentiments et des actions qui composent l’histoire. Dans une œuvre de fiction, tout peut arriver. Ce qui confère à l’action sa crédibilité, sa cohérence, c’est la manière dont elle s’inscrit dans l’horizon choisi par le romancier.
Parmi ces décors, certains de vos textes ne semblent pas transposables dans le temps. Y a-t-il volonté de les marquer dans une époque précise ?
Effectivement. L’écriture de Notre-Dame-de-la-Merci était assise sur la volonté de décrire une situation intemporelle. En revanche, La Combustion humaine est clairement estampillée « 2013 », et le livre sur lequel je travaille actuellement est, lui aussi, ancré dans une époque précise. Il est vrai que je goûte peu le roman historique ou celui d’anticipation. Peut-être est-ce une explication.
On évoque beaucoup votre style et votre emphase provocatrice ; plus rarement la manière dont sont construites vos histoires, alors que leur force relève d’une édification ascendante, comme si vous écriviez sous speed.
J’ai souvent l’impression d’écrire sous speed, en effet ! Ou d’être possédé. Ce sont des fulgurances qui relèvent d’un choix esthétique sans aucun rapport avec mon état physique. J’aime cette progression tragique qui, par degrés successifs, mène vers quelque chose de puissant. D’essentiel. De violent, même.
Une édification plus proche de l’érection que de l’assemblage, donc ?
J’aime bien cette formulation.
Au point d’effusion des égouts, La combustion humaine… Vos titres sont attractifs, justes, précis, travaillés comme une prolongation du texte. Comment les choisissez-vous ?
L’exercice du titre est l’un des plus périlleux, puisqu’il s’agit de synthétiser l’œuvre en quelques mots. Dans le cas de La combustion humaine, par exemple, plusieurs lectures existent, dont la souffrance du protagoniste qui endure avec difficulté son quotidien, et se consume.
Cette souffrance évolue dans le milieu de l’édition décrit comme un marché vénal, sclérosé de relations « incestueuses », gangréné par les jalousies et peu soucieux de faire honneur à la culture. Ne craignez-vous pas de vous y perdre ?
Je tenais à écrire ce livre avec l’objectivité sereine d’un jeune auteur encore capable d’aborder le milieu littéraire sans aigreur…
Avant qu’il ne vous abime ?
En quelque sorte. C’est parce que tout m’a réussi pour les deux premiers romans que j’ai pu en écrire un troisième comme celui-là. Il ne s’agit pas de régler mes comptes, bien au contraire, juste de souligner les travers inhérents au milieu culturel romand. Pour l’instant, la seule chose qu’il m’en coûte, est d’avoir perdu l’aide financière de l’état qui goûte fort peu ce genre de plaisanterie, d’autant moins que son appareil culturel est, comme je le décris, gangrené par la jalousie et fondé sur un « copinage » excellemment résumé par votre adjectif : incestueux.
Parlons culture saine, alors… Un film à recommander ?
La piel que habito de Pedro Almodovar, vu dernièrement sur les conseils éclairés d’une amie.
Dernier disque acheté.
The Marshall Mathers, dernier album d’Eminem, que je suis surpris de trouver excellent !
Un livre à conseiller après avoir lu le vôtre ?
Je me suis récemment replongé dans L’art du roman, de Kundera. Je le conseille à tous ceux qui écrivent, ou veulent écrire.
Vous êtes canado-suisse. Comment vivez-vous cette francophonie bicéphale ?
Très bien, ma foi. (Sourire) Approfondir différentes manières de pratiquer une langue ne peut qu’en accroître la maîtrise générale.
Écrivez-vous comme un Québécois ou comme un Romand ?
Faute de connaître suffisamment la littérature québécoise, je n’ai, hélas ! pas d’élément de comparaison.
Vous connaissez, en revanche, assez bien la littérature romande. Quelle en est votre spécificité ?
Je peine à répondre à une telle question. Peut-on la laisser de côté ?
Bien entendu. Évoquons, si vous le souhaitez, l’humour présent dans vos livres. Par exemple, La combustion humaine est un texte très drôle. Certains passages semblent, d’ailleurs, avoir été écrits avec une condescendance toute française. Faut-il y voir un clin d’œil particulier ?
Non, pas du tout. J’ai, certes, pu être condescendant, mais il faut aussi voir quel en est l’objet ! Cela n’est pas un jeu gratuit…
D’autant moins qu’il vous coûte une subvention d’état !
(Sourire. Les yeux se lèvent avant d’allumer une cigarette en faisant attention à ne pas me souffler la fumée dans le visage – Malgré une énergie scabreuse, Quentin Mouron est un jeune homme courtois.)
Pouvez-vous introduire le passage que vous avez accepté de lire ?
C’est un moment culturel typique ! Mieux vaut n’en pas dire davantage afin de conserver la surprise. Il me semble bien résumer le livre..
Si vous aviez le dernier mot, Quentin Mouron.
Un mot sur vous, pour vous remercier de l’intérêt que vous prenez aux livres et aux auteurs.
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Les livres de Quentin Mouron sont publiés chez Olivier Morattel Editeur
La combustion humaine (2013), 113 pages – 16 €
Notre-dame-de-la-Merci (2012), 110 pages – 15 €
Au point d’effusion des égouts (2011), 138 pages – 17 €
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Entretien combustible avec Quentin Mouron