La compagnie de théâtre parisienne la Comédie des Ondes vous convie à NOBELLES, dernière création de la troupe et rendez-vous manqué des oubliées du prix Nobel. Au plateau, une cérémonie fictive réhabilite douze femmes scientifiques nominées dans trois catégories. L’autrice et comédienne Anne Rougée a créé la compagnie en 2011 dans le but de raconter l’histoire des sciences au public le plus large, particulièrement la place des femmes dans ce domaine. Rencontre avec la fondatrice.
Un phénomène de revalorisation de la place des femmes se constate dans tous les domaines ces dernières années, mais les stéréotypes demeurent néanmoins prégnants. Les sciences ne font pas exception à cette invisibilisation. Domaine prédestiné à une élite pour certains, trop sérieux et ennuyeux pour d’autres, cette discipline est ces dernières années délaissée par la jeunesse. Fondée en 2011 par Anne Rougée, scientifique de formation, la Comédie des Ondes compte parmi les compagnies de théâtre qui mettent la médiation culturelle et scientifique au cœur de leur processus créatif. Le but : raconter l’histoire des sciences, particulièrement la place des femmes dans ce secteur.
« On sent une envie de plus en plus forte d’aller à la rencontre des femmes, mais j’ai encore du boulot », introduit avec humour Anne Rougée, fondatrice de Comédie des Ondes. Issue d’une famille de scientifiques, l’autrice, comédienne et médiatrice scientifique a suivi une voie toute tracée dès l’enfance avant de bifurquer et de s’épanouir dans une activité qui la fait vibrer depuis l’adolescence : le théâtre. Après plusieurs années dans une entreprise d’imagerie médicale, l’ancienne ingénieure de recherche décide de reprendre ses études pour un DEA en diffusion des sciences et des techniques à l’Université Paris-Sud et l’ENS de Cachan (2001). Sous la direction de Daniel Raichvarg, pionnier du théâtre de sciences, Anne emboîte le pas de son directeur de recherche et suit la même voie.
Selon le professeur des universités, « Science rime avec sérieux, sérieux rime avec pédagogie. Mais avec spectacle ? Avec amusement, divertissement, émotion, passion, rires et larmes, plaisir et inquiétude ? » Ces constat et interrogation l’inspireront à développer une démarche propre dans laquelle elle croise les sciences et l’art dramatique. Il y eut d’abord la création de la compagnie Les Passeurs d’Ondes en 2005 puis la Comédie des Ondes en 2011, dédiée à la médiation scientifique par le spectacle vivant auprès du public le plus large. Quatorze personnes professionnelles composent la troupe (artistes, techniciens et techniciennes), mais aucune n’est salariée permanente, toutes étant intermittentes du spectacle.
Avec provocation et humour, la première pièce de la compagnie, Les Femmes de Génie sont rares ?, évoque l’histoire de trois femmes scientifiques, en commençant par Marie Curie, physicienne et chimiste connue pour ses travaux sur le radium.
« Je m’intéresse à notre rapport à la science et aux émotions qu’elle procure. »
Ce n’est pas tant la vulgarisation qui intéresse Anne Rougée que la médiation culturelle et scientifique. « Je me suis intéressée à l’histoire des sciences pendant mon DEA et aux questions de sciences et société, notamment la place des femmes dans les sciences. » Dans une mise en scène souvent loufoque, comique, burlesque, voire caricaturale, la compagnie raconte l’histoire des sciences en faisant appel à des scientifiques afin d’inscrire leur travail dans une vérité et une cohérence scientifiques. Pour Les Clowns parlent du Nez, une enquête policière qui aborde l’olfaction, l’équipe a été accueillie dans un laboratoire de recherches. « On avait tout à disposition, on pouvait aller rencontrer les chercheurs et chercheuses quand on le souhaitait au fur et à mesure de l’avancement de la pièce. On était vraiment dans leur environnement », se souvient-elle avant de confier : « Lire des bouquins est indispensable, mais j’aime le contact humain », et il n’y a pas meilleure inspiration que les personnes qui ont ces activités au quotidien et enseignent leur savoir. « Pour La Née Lumière [2015], on avait rencontré et filmé des scientifiques, certains passages avaient été joués sur scène en reprenant des expressions et la gestuelle. C’est hyper intéressant et beaucoup plus vivant quand on part de personnes réelles. »
En reprenant les codes de la cérémonie officielle, la dernière création NOBELLES (2021) est une pièce militante qui prolonge la réflexion de la compagnie autour de la place des femmes dans les sciences. Basée sur les recherches de Coraline Loiseau, journaliste scientifique en charge des recherches documentaires, le spectacle présente douze femmes de l’Antiquité à nos jours dans ce qui ressemble à une caricature de la cérémonie du prix Nobel. Il se découpe en trois parties : présentation des nominées, discours des invitées d’honneur et, bien sûr, la fameuse remise de prix. Toute de noir vêtue, la maîtresse de cérémonie ouvre le bal, entre ratés et répliques drolatiques, pour présenter les trois catégories : les “nobelles travesties”, les “nobelles entravées” et les “nobelles dérobées”. Accompagnés d’une musique en live et d’une voix off, différents tableaux vivants racontent ensuite la vie des nominées. « Le but était de présenter les femmes en passant par le corps, la gestuelle. »
Avec légèreté et dérision, le public est ainsi convié à un rendez-vous manqué avec des femmes scientifiques qui auraient mérité le prix Nobel. Parmi elles, Marthe Gauthier, décédée le 30 avril 2022. « Ce n’est qu’après son décès qu’on a parlé d’elle en sciences alors que sa découverte de la trisomie 21 date d’il y a 50 ans. » Elle compte parmi les victimes de ce qu’on appelle “l’effet Mathilda”. Ce terme désigne le déni, la spoliation ou la minimisation récurrente et systémique de la contribution des femmes scientifiques à la recherche, dont le travail est souvent attribué à leurs collègues masculins. Face à Jérôme Lejeune, chef de laboratoire, les compétences de Marthe Gauthier, qui l’ont amenée à faire la découverte de la trisomie 21, n’ont pas suffi… « Elle était l’outsider et une femme, on ne lui a pas laissé sa chance. C’est un peu la même ambiance qu’a vécue la physico-chimiste britannique Rosalind Franklin qui a formulé la structure hélicoïdale de l’ADN. » Toutes les deux ont accédé à des postes, mais elles ont fait les frais du système patriarcal. « On leur a mis des bâtons dans les roues parce qu’il ne fallait pas qu’elles réussissent. »
Le spectacle se termine sur une note positive avec la dernière personne évoquée, l’astrophysicienne Jocelyn Bell. Pendant ses travaux de thèse, l’étudiante découvre le premier pulsar, objet astronomique produisant un signal périodique allant de l’ordre de la milliseconde à quelques dizaines de secondes. Malgré le scepticisme de son directeur de thèse, Anthony Hewish, elle a persévéré dans ses expériences. C’est finalement son directeur de thèse qui reçoit le prix Nobel en 1974. « Elle a réagi de manière très positive. Elle trouvait normal que ce soit le directeur de thèse et non l’étudiante qui reçoive le prix, puis elle était très contente que pour la première fois un prix Nobel de physique récompense des travaux en astrophysique », nous apprend la comédienne. « Ce qu’elle dit dans la pièce, c’est aussi ce qu’elle dit dans la vie. Ce qui l’a pénalisée n’est pas tant de ne pas avoir reçu le prix Nobel, parce qu’elle a eu d’autres prix après, c’est plus sa vie de femme mariée et de mère d’un enfant. » Humble et au service de la discipline plus que de sa propre renommée, Jocelyn Bell reçoit le prix de physique fondamentale en 2018, mais elle lègue les 3 millions de dollars de récompense à l’Institut de physique de l’Université d’Oxford pour qu’une bourse soit créée afin d’aider les étudiants et étudiantes de catégories sous-représentées en physique.
Jouée plus de 40 fois en un an, NOBELLES est aussi une pièce de théâtre participative. « On a prévu des moments où les élèves peuvent intervenir, en ayant préparé en amont », précise-t-elle. En amont du spectacle, les équipes encadrantes reçoivent un kit de préparation afin de préparer leur participation à la représentation, les volontaires peuvent alors préparer des discours qu’ils ou elles liront sur scène. « Entendre les élèves s’exprimer sur le sujet nous apporte à chaque fois la fraîcheur, la nouveauté. On sent qu’il y a une prise de conscience, qu’ils se mobilisent vraiment. » Après le spectacle, Anne Rougée anime un temps d’échange avec le public sur les enjeux de l’égalité hommes-femmes et les stéréotypes sexistes dans les choix d’orientation.
Le théâtre de sciences à la sauce Comédie des Ondes se révèle une véritable porte d’entrée vers les sciences qui permettrait, peut-être, de diminuer le désintérêt constaté des jeunes, particulièrement les filles, pour les sciences. Car ces dernières sont loin d’être seulement ennuyantes et sérieuses. Anne Rougée le prouve dans chaque nouveau spectacle.
Aucune date n’est malheureusement prévue en Bretagne, mais la cérémonie des NOBELLES sera prochainement à L’Avant Scène de Laval (53) le 2 février 2023.