Lors d’une séance de spiritisme technoïde, l’esprit de Monique Wittig – romancière, théoricienne, militante féministe et lesbienne – est invoqué. Et c’est une foule d’esprits lesbiens qui viennent se raconter. La Cie La divine bouchère présentait son spectacle Monique es-tu là ? jeudi 10 avril au Tambour de l’Université de Rennes 2. Retour sur cette soirée qui célèbre l’amour lesbien.
Une fois la porte de la salle franchie, les spectateurs se laissent perdre dans un nuage de fumée. Sur scène, la Dj et beatmaker Maclarnaque est aux platines, au cœur d’un cercle de néons roses posés au sol. La comédienne Jessica Roumeur brûle un encens et éparpille son odeur dans l’espace, sur scène, autour d’elle et de sa partenaire musicienne puis dans le public, au rythme des percussions tribales. Ça y est, la cérémonie peut enfin commencer. La comédienne prend le micro et invoque un esprit : « Monique, es-tu là ? ». Il s’agit de Monique Wittig, militante, théoricienne et militante féministe et lesbienne des années 1970. Un esprit répond à l’appel et nous entrons en contact avec lui… ou plutôt, avec elles. Dans une sorte de transe spirituelle, ce n’est pas Monique, mais une vingtaine de voix qui prennent possession du corps de Jessica Roumeur, et nous font parvenir des récits de leur vie. « Je suis Isabelle… ; Je suis Mireille… ; Je suis Françoise… ». Ces femmes, de différentes époques, racontent un morceau de leur adolescence : leurs premiers émois amoureux en tant que lesbiennes et la difficulté de l’être sous le regard des autres, de ses amis, de sa famille ou de son village.
Fondée à Brest en 2015 par les comédiennes Jessica Roumeur et Louise Fordoulou, la compagnie théâtrale La divine bouchère est déjà à l’origine de différents projets poétiques et féministes : Concerto pour salopes en viol mineur en 2013, Lettre à Dr K. en 2018 et Monique es-tu là ? commencé en 2019. Présenté par le service culturel de l’Université Rennes 2 jeudi 10 avril, le spectacle s’accompagnait d’une soirée Dj set avec l’artiste Mégafoune.
À l’origine de Monique es-tu là ?, c’est le poème Le Corps lesbien publié en 1973 par Monique Wittig que souhaite travailler Jessica Roumeur en mêlant le texte à un concert jouissif et poétique pour célébrer l’amour lesbien. Les droits du texte ayant été refusés, c’est avec la rencontre de Maclarnaque que la comédienne brestoise imagine une nouvelle forme de création : « Je me suis d’abord demandé comment parler à Monique Wittig. Invoquer son esprit dans mon spectacle m’est alors venu à l’idée, comme lorsque l’on joue au wija adolescent.e ». Mais que lui dire ? Comment la faire parler ?
C’est autour d’autres voix que le spectacle se tourne et, après plusieurs recherches de témoignages et d’entretiens autour d’elles, Jessica et Maclarnaque recueillent vingt-deux récits de femmes lesbiennes. Sous la forme d’histoires datées, elles évoquent une partie de leur adolescence amoureuse, leurs joies et leurs souffrances à différentes époques. Une période difficile de la vie qui l’est d’autant plus quand la société hétéro-normée vous arrache cette jeunesse, celle des premiers flirts et des premiers amours. Puis, c’est le rejet des amis et de la famille qui est raconté, le déni de certains et le dégoût des autres. Mais loin du pathos, c’est dans la célébration de l’amour lesbien et la joie de rassembler ces voix que les deux artistes présentent leur création. C’est d’ailleurs pour cette raison que le spectacle finit habituellement par un Dj set, invitant le public à venir danser sur scène, donnant du cœur et de la force. « Moi qui n’ai pas eu de modèle positif de figure lesbienne durant ma jeunesse, je suis tellement envieuse quand je vois les adolescent.e.s d’aujourd’hui s’affirmer, vivre pleinement leur jeunesse et leur vie amoureuse. Faire entendre les voix de leurs mères et grand-mères c’est une façon de leur rendre hommage » raconte Jessica Roumeur. À la fois touchante, bouleversante et drôle, cette création fait resurgir des histoires pas si lointaines et rappellent malheureusement que le combat pour la libération lesbienne n’est pas encore terminée.
Jessica Roumeur et Maclarnaque présentent ici deux performances qui se synchronisent tout en faisant entendre la diversité de parcours lesbiens. Au rythme des percussions électroniques, la comédienne incarne chacune des femmes, en nuançant sa voix, son regard, son ton, sa posture, comme si un esprit prenait possession d’elle. Sur des sujets si sensibles que traitent ces faits réels, Jessica Roumeur porte une telle interprétation que l’on croirait voir différentes adolescentes sur scène. Dans une mise en scène qui évoque les célébrations païennes et les rites spirituels, la beatmaker Maclarnaque accompagne les paroles des femmes par une rythmique répétitive, obsédante et envoûtante. Durant une heure, les sons évoluent dans un univers hypnotique, envolent des échos à certains moments, puis se déchaînent lors d’une danse transcendante.
Si vous avez manquer Monique es-tu là ?, le spectacle se produira le 14 juin prochain au Centre Henri Queffélec à Gouesnou.