Atelier d’alchimie – Dissolution de la compagnie ZÉPHYR jeudi 17 et vendredi 18 octobre 2013 Collectif Danse Rennes Métropole Un dimanche de 4 jours au garage #9
«Au début de notre recherche, nous avons filmé des colorants se diluant dans de l’eau et en visionnant les images le mot « dissolution » ainsi que la notion de temps s’en sont dégagés. L’eau dilue le colorant jusqu’à sa complète disparition, on peut observer une multitude de phénomènes, étirement, déformation, dilatation, courants, mouvements et cela dans une temporalité singulièrement fluide et lente, autant de processus qui ont inspiré notre travail.
Que la télévision soit utilisée comme artefact magique, remplaçant avantageusement les antiques supports de méditation ou de magie opératoire comme les entrailles encore fumantes, les boules de cristal, les lignes de la main, et autres métaux en fusion, qui lorsqu’ils se solidifient dans l’eau forment d’étranges réseaux racinaires, voilà qui n’est pas révolutionnaire en soi. Les britanniques, toujours plus prompts que les français, trop cartésiens, à hybrider magie et technologie ont bien compris que l’on pouvait détourner les produits de la civilisation industrielle consumériste, comme cette boite à images, de leurs usages courants. Et, si au 16ème siècle, le fameux John Dee, parrainé par sa mécène, la reine Élisabeth, transformait le plomb en or, depuis les années 1970, des groupes de musiques électroniques comme Throbbing Gristle, Psychic TV ou Coil, associés à des cinéastes/vidéastes comme Derek Jarman n’ont pas hésité à bricoler radios, oscillateurs, tubes cathodiques, bandes magnétiques audio et vidéo, pour convoquer les forces occultes, les plus sombres comme les plus lumineuses[1].
Mais quels usages font Myriam Crampes et Sylvie Seidmann de cette machine-lumière, cet écran bombé, déjà « lo-fi » en 2013 ? Et bien, il semble qu’elles l’utilisent pour évoquer le génie élémentaire de l’eau, associé au principe féminin. Et pourquoi pas ? Les artistes précités de Coil avait bien sorti How to destroy angels (1984), disque destiné à accumuler l’énergie mâle[2]. Et les scandaleux performeurs français, les frères poètes d’Étant donnés ne se sont-ils pas confrontés aux symboles de l’éros masculin?[3]
Certes, Dissolution se concentre sur le féminin ; non pas dans un objectif revendicatif, ni dans un repli identitaire de « genre » excluant les spectateurs masculins, ni dans un jeu trouble de séduction, mais plutôt pour expérimenter avec le public un état de rêve lunaire et humide.
La scène de Dissolution a l’allure d’un atelier d’alchimie où toutes les sciences, rationnelles et irrationnelles, chimie, physique, biologie, astrologie, mesure du temps, etc. se conjuguent autour de ces étranges catalyseurs dirigés par télécommande. Ils obéissent à toutes les fantaisies des danseuses et servent, selon leurs désirs, de projecteurs de grains de lumière scintillants, de fenêtres ouvrant vers autres dimensions, de récipients pour dissoudre des couleurs, mais aussi plus concrètement, de socles, de tremplins ou contrepoids pour équilibrer de véritables toupies humaines !
Ainsi, dans Dissolution, il est question de géométrie et de pesanteur, de vitesse et d’immobilité, d’électricité et de lumière, de bruit et de musique, de paroles et de symboles, de cartographie et d’anatomie, de solide et de liquide, d’étoiles célestes et d’étoiles de mer, de miroirs et d’ombres, d’horizon et de verticalité, d’élasticité et de résistance, de vie organique et de matière inerte, de corps et d’esprit.
Une fois n’est pas coutume, si l’on peut tenter de décrire de façon très subjective l’ensemble des sensations mêlées provoquées par un spectacle, il est bien plus délicat de qualifier la danse elle-même. Une des voix enfermées dans un poste de TV parle de « saturation d’informations » et, à l’évidence, Dissolution n’a rien d’un concept minimal et monolithique ! Bien au contraire, riche d’éléments divers, le spectacle fusionne, en un tourbillon, nombres de sensations et émotions qui s’entrechoquent en de poétiques étincelles. Difficile alors de décrire la succession des scènes. Gageons que lorsque Dissolution sera présenté de nouveau, notre regard aguerri saura « enregistrer » plus fidèlement la chorégraphie aux liquides arabesques. Ce spectacle à venir sera sans doute un peu différent de celui proposé au dimanche de 4 jours. En effet, la chorégraphe Sylvie Seidmann blessée au pied peu de temps auparavant, n’apparaît que virtuellement sur un écran ! C’est Kathleen Reynolds qui la remplace avec brio, avec une énergie et un enthousiasme très communicatifs, s’alliant avec Myriam Crampes pour former un duo de danseuses des plus harmonieux. Sylvie Seidmann a ainsi pu assister à son propre spectacle depuis la scène pour la toute première fois. Et elle nous a confié que ce regard inédit sur son propre travail a stimulé de nouvelles idées.
À ceux qui ne souscriraient pas à notre interprétation quelque-peu ésotérique de Dissolution, qui la trouveraient fort excessive, nous objecterons que celui qui regarde fait circuler entre ses yeux et l’objet de son attention ces micro-particules, sans lesquelles les téléviseurs ne fonctionneraient pas, que sont les photons. Son œil absorbe, mais aussi miroite ces photons transformant ainsi la nature de ce qu’il regarde…
Conception et interprétation: Sylvie Seidmann et Myriam Crampes
Images et montage sonore: Myriam Crampes
Chorégraphie: Sylvie Seidmann
Scénographie: Vincent Gadras
Lumières: Valentine Robert
Compagnie Zéphyr
[1] Rappelons qu’ils furent influencés par leurs prédécesseurs de la génération « Beat », William S. Burroughs, Brion Gysin et Ian Sommerville qui mirent au point dans les années 60, la Dreamachine, dispositif hallucinatoire basé sur une correspondance rythmique entre des flashs lumineux et les ondes Alpha du cerveau. La Dreamachine est simplement constituée d’un cylindre de carton, ajouré d’une série de fenêtres laissant filtrer la lumière d’une ampoule, posé sur un tourne-disque tournant à 78 tours.
[2] Voir l’interview de John Balance réalisée par notre confrère Thierry Jolif.
[3] Dissolution et coagulation selon Étants donnés :
La poésie qui était jusqu’ alors invisible, comme l’ eau dans l’ eau, a dû se coaguler“pour pouvoir réagir comme corps résistant à la volonté de reconquête du poète, c’est à dire à ce que l’on nomme “l’inspiration poétique“. Cette coagulation a correspondu à l’opacification du sens réel et êtrique des mots, celui-ci se cachant dorénavant dans leur coeur.” http://www.etant-donnes.com/wonderland/