Du 16 au 19 mai 2018, Comptoir du doc dévoile « Des Histoires » durant les Rencontres documentaires. Prenant ses quartiers à Rennes entre Maurepas et La Bellangerais, le projet mêle projections, ateliers de sensibilisation et rencontres au cours de quatre journées dédiées au film documentaire. Entretien avec Laëtitia Foligné, programmatrice de l’évènement.
Unidivers : Quelle est la genèse de l’association Comptoir du doc et de celle des Rencontres documentaires ?
Laëtitia Foligné : L’association fête ses 20 ans dans un mois. Elle est née au bar Scaramouche, à l’initiative d’une bande de réalisateurs passionnés de cinéma documentaire. À l’époque, ces films n’étaient pas diffusés au cinéma, les réalisateurs voyaient leur travail passer à la télévision en regrettant le manque de contact direct avec leur public. Est né alors le désir de créer une rencontre entre ces différents acteurs, à travers diverses programmations. Le festival des histoires, créé il y a 13 ans, se déroule depuis 5 ans à Maurepas / La Bellangerais et clôt la saison.
L’idée est d’être présent au-delà du centre-ville, où nous commençons à être reconnus, en partageant notre amour pour le documentaire avec de nouveaux publics moins favorisés, à travers une implantation durable dans les quartiers. Cela fait ainsi cinq ans que nous sommes présents à Maurepas et à la Bellangerais, où nous agissons en partenariat avec les associations locales. Nous voulons nous assurer que les habitants de Maurepas se sentent légitimes en venant assister à des manifestations culturelles dans le centre-ville.
Vous souhaitez que votre programmation touche le plus grand nombre. Comment les histoires d’un jeune sourd, d’un jeune Chinois ou d’un jeune Italien font-elles écho à celles des habitants des quartiers de Maurepas et de la Bellangerais ?
Laëtitia Foligné : C’est justement toute la beauté de ce type de cinéma. En parlant d’une histoire particulière, les films que nous proposons ont un propos beaucoup plus universel. Ils parviennent à toucher le spectateur très personnellement.
Fuocoammare réussit parfaitement cela. Cette œuvre racontant le quotidien d’habitants de Lampedusa en pleine crise migratoire est l’un des plus grands films documentaires des dix dernières années selon moi. D’un côté, on observe les îliens, ce petit gamin en train de jouer, un médecin, un pêcheur, des personnes qui nourrissent toutes un fort lien à la mer, de l’autre on assiste à la descente aux enfers des migrants. En étant témoin de ces destins croisés, le spectateur ne peut que se poser la question de sa propre indifférence face à ces questions.
Derniers jours à Shibati résonne aussi tout particulièrement à Maurepas. Après le visionnage, les habitants du quartier ont à l’unisson déclaré « Ils sont comme nous ». Une proximité se crée entre ces Rennais et ces Chinois vivant avec trois francs six sous, heureux malgré tout, qu’on oblige à quitter le centre-ville pour aller habiter des immeubles modernes qui ne leur ressemblent pas. Nos documentaires sont beaucoup plus universels que des reportages d’information. Ils n’apprennent pas nécessairement quelque chose de concret, mais présentent avant tout un regard sur le monde. Il ne s’agit pas de journalisme, mais de cinéma avant tout. Ils racontent des histoires, avec des personnages issus du réel.
La représentation du monde à travers les yeux d’enfants, caractéristique commune aux trois films présentés, est-elle un choix ?
Laëtitia Foligné : C’est un hasard à vrai dire. Chaque année, je propose dix films au groupe de programmation. Ma sélection dépend des sentiments qui me traversent, suit des chemins inconscients puis est soumise au plébiscite des habitants composant le groupe de programmation. Les films que j’avais choisis n’accordaient pas tous une place importante à l’enfance, mais il se trouve que la sélection finale a mis en avant ces jeunes personnes. Je pense qu’il y a un côté naïf, léger, une part de rêve qui ressort de ces films, un sentiment de voir le monde avec incompréhension et impuissance. On ressent aussi de la malice, de l’amour, une sincérité qui est belle et fait du bien.
Pouvez-vous nous éclairer sur la place donnée aux jeunes dans l’organisation du festival ?
Laëtitia Foligné : Nous sommes cette année aidés par 11 jeunes âgés de 17 à 29 ans. À la suite d’un stage de formation en avril, nous leur offrons la possibilité d’être responsables d’une séance, que ce soit en prenant en charge la billetterie, la présentation, ou la projection. Cela leur permet de découvrir les films, mais surtout d’apprendre à en parler, à se forger une opinion, à dialoguer. Je souhaite leur montrer que mon regard de réalisatrice ne vaut pas plus que le leur. Nous sommes tous spectateurs au final.
Comment avez-vous fait s’impliquer les habitants et donné une dimension locale au projet ?
Laëtitia Foligné : Le groupe de programmation a été délocalisé dans les quartiers, en partenariat avec 20 associations, en créant à partir de ce qui existait déjà. Après une projection, les habitants étaient informés de l’existence du projet puis, de fil en aiguille, se joignaient à l’aventure. Jacque Domeau qui avait monté le cabinet photographique au Gast a également eu un rôle clé au début du projet. Nous avons exposé 20 de ses portraits de Rennais à la Parcheminerie puis avons impliqué les habitants photographiés, qui ont participé à l’installation. Les jeunes ont ensuite fait des portraits vidéos d’habitants lors d’événements forts du quartier. Lier visionnage de films et pratique est ainsi une réelle source d’échange. Ces événements sont indéniablement fédérateurs et nous permettent de toucher un plus vaste public, en l’incluant dans l’organisation et la prise de décision.
Après la pratique du sténopé l’an dernier, vous initiez cette année le public à la création sonore. Pourquoi le thème « À vol d’oiseau » pour la balade sonore de clôture ?
Laëtitia Foligné : Nous nous sommes aperçus que les quartiers de Maurepas et de la Bellangerais, bien que proches à vol d’oiseau, présentaient des sortes de frontières invisibles non franchies par leurs habitants respectifs. Nous avons souhaité faire se rencontrer ces quartiers.
Ce choix de thème vient également d’un constat, celui que bien trop souvent Maurepas est évoqué à travers le bruit, les tours, la délinquance. Nous désirons cette année prendre de la hauteur et en donner une image plus légère. Pendant un mois, les habitants du quartier ont donc été initiés à la prise de son lors de courts stages d’un après-midi, donnant naissance à cette promenade sonore que tout un chacun pourra découvrir samedi 19 mai. Elle sera suivie d’un pot de clôture, d’une scène ouverte et d’une projection en plein air à l’espace du Clair Détour.
Est-ce que le son a une importance particulière dans les documentaires présentés ?
Laëtitia Foligné : Le son présente une importance clé dans le format de documentaires que l’on défend. Allant de pair avec notre envie de ne pas donner à voir de films formatés, nous souhaitons mettre en avant des réalisateurs cherchant une cohérence entre fond et forme, qui vont au-delà de la réflexion pure. Le son fait partie de cette démarche. Dans Listen to the silence, véritable plongée dans le monde d’enfants sourds muets, la réalisatrice nous met en difficulté. À travers l’usage du son, elle nous place tour à tour dans la peau de celui qui entend dans un monde qui ne parle pas puis de celui qui n’entend pas dans un monde qui parle.
Depuis 2016, vous avez posé vos valises au théâtre de la Parcheminerie, que vous quitterez en décembre prochain (voir notre article). Quel est l’avenir de votre association et de votre festival au regard de ce changement de locaux ?
Laëtitia Foligné : Avant de prendre nos quartiers à la Parcheminerie il y a trois ans, nous organisions toutes les projections dans les quartiers. La prochaine édition sera donc une sorte de retour aux sources. Le groupe de programmation se réunit dans les quartiers et l’événement vit vraiment en leur sein, il n’est donc pas menacé. Nous regretterons cependant la localisation centrale de nos locaux actuels. Les jeunes participant à l’organisation deviennent adhérents gratuitement, pouvant alors accéder à la vidéothèque de la Parcheminerie au même titre que les adhérents « traditionnels » de l’association. Cela permet un véritable mélange de populations et des rencontres improbables. Il serait dommage de renoncer à cela, mais nous trouverons des solutions.
Les documentaires ont désormais leur place dans de nombreux festivals. De plus en plus d’importantes boîtes de production, notamment Netflix, sont prêtes à les financer et les diffuser…
Laëtitia Foligné : Les films présentés par ces grandes boîtes de productions ne sont pas des documentaires, du moins ils ne correspondent pas à la vision que j’en ai. Des films comme Demain, bien qu’étant plein de fraîcheur et source d’espoir, sont finalement assez vides en termes de création artistique et cinématographique. À titre personnel, il me faut une dimension artistique, un réalisateur qui montre qu’il a réellement réfléchi sur la manière de raconter l’histoire. Au risque de passer pour élitiste, il semble y avoir une sorte de mode du cinéma documentaire, le rendant formaté pour atteindre les cinémas en simplifiant le propos.
Comment expliquez-vous le regain de popularité du film documentaire que l’on semble noter depuis quelques années ? Un besoin de réel, de retour au réel, du spectateur peut-être ?
Laëtitia Foligné : Il est à mon sens lié à la multiplication des écrans, des canaux, qui rend la diffusion plus simple. Je pense également que nous avons aujourd’hui dépassé cette image du documentaire rébarbatif. Les films que nous défendons mettent le spectateur dans un état de réflexion, il est actif. Une envie de retour au réel ? Je ne sais pas. Personnellement, j’ai énormément de mal avec le cinéma de fiction du fait qu’il utilise des acteurs.
Quelle est donc la valeur ajoutée du documentaire par rapport à la fiction ?
Laëtitia Foligné : Le personnage lui-même, le fait qu’il soit réel, dépasse la fiction. Dans le documentaire, on est témoin d’une véritable rencontre entre le réalisateur et les personnages. On ne fait pas un film sur quelqu’un, mais avec quelqu’un, le personnage se livre.
Doit-on parler de personnage ou de personne ?
Laëtitia Foligné : On construit un personnage à partir d’une personne réelle. Le personnage nait de la relation subjective entre la personne filmée et le réalisateur. Certains aspects du sujet sont évoqués en en omettant d’autres. L’absence de mère dans Fuocammare n’est jamais expliquée ou justifiée par exemple. Cela peut occasionner de la frustration chez le spectateur, mais cela l’amène à chercher les réponses ailleurs.
Il s’agit plus d’une opposition au terme « acteur » qui implique un rôle joué. Dans le cinéma de fiction, le jeu d’acteur me met personnellement à distance de l’histoire racontée. Le fait même de savoir que les personnes à l’écran sont des acteurs ne provoque pas les mêmes choses dans mon esprit.