Le Comptoir du Doc lance sa 16e édition du festival Image de Justice à Rennes. Du 4 au 8 février 2020, venez découvrir des pépites du cinéma documentaire au travers d’une compétition de 13 films. Laissez-vous embarquer dans de riches découvertes au détour de rencontres, masterclass, et bien d’autres choses encore. Rencontre avec Marianne Bressy, directrice artistique du festival.
Unidivers — Comment la justice est-elle représentée dans nos sociétés ?
Marianne Bressy — Dans les médias le plus souvent, les images de justice se limitent aux grands procès, aux affaires criminelles, éventuellement à certaines enquêtes si elles peuvent exciter la curiosité du public. De temps en temps la prison, véritable tabou visuel, ressurgit dans les informations via ses émeutes, ses rares évasions ou les grèves de ses personnels.
La représentation de la justice est à ce point restreinte qu’il serait facile de penser qu’elle n’est qu’une application de la loi et ainsi la réduire aux seuls exercices du contrôle, du jugement et de la punition. S’il est vrai que l’ensemble de ses institutions fait respecter l’autorité de l’État en sanctionnant tout manquement à ses codes ; les règles qui régissent notre vie sont avant tout le fruit d’une volonté humaine, d’un choix politique.
Unidivers — Qui décide de la justice ?
Marianne Bressy — Nous avons délégué à nos élus le soin de débattre des valeurs morales qui serviront de base à la législation qu’ils édicteront pour tous. Et parce qu’ils décident de la forme et du sens que la justice doit prendre, d’autres êtres vivants se trouvent avoir des droits et des devoirs précisément définis. Pourtant nous ne savons pas grand chose des limites légales qui encadrent nos vies. Nous abandonnons cela aux experts pensant en partie que cette question n’est pas à notre portée, ayant peur par ailleurs de toute confrontation avec le pouvoir judiciaire.
Unidivers — La justice est-elle accessible ?
Marianne Bressy — La justice nous échappe parce que nous avons oublié que cette notion est d’abord une question éminemment éthique, philosophique, politique et qu’elle nous appartient. Si elle n’a rien de naturel, d’instinctif ou d’évident, elle n’est pas non plus l’émanation d’une autorité divine immatérielle et pure. Ses lois obliquent nos vies. Ses codes encadrent notre rapport au monde. Ce sont ses normes qui définissent ce que je mange, ce dans quoi je bois, dors ou m’assois, quels signes religieux je peux arborer en public ou de quels pays je peux franchir la frontière. Cette justice qui éclabousse si fort notre quotidien, dans le moindre détail, devrait impliquer une attention vigilante et exigeante des citoyens dont elle façonne l’existence.
Unidivers — Comment le cinéma documentaire développe cette notion ?
Marianne Bressy — À l’autre bout de la loi, ailleurs que dans les tribunaux, les commissariats ou les prisons, notre réel s’organise. C’est là, à l’opposé de l’intérêt des médias pour l’immédiat et le sensationnel, que le cinéma documentaire travaille à révéler les creux dans lesquels elle résonne. Dans ces hors champ de justice le cinéaste regarde patiemment et nous montre d’autres formes. Le cinéma avant tout symbolique, métaphorique, prend en charge ici les interstices, la lisière, les limites de la thématique pour mieux la définir afin de nous confronter à elle. Cette ligne de démarcation qui permettrait de voir, de sentir, de comprendre enfin cet objet obscur et effrayant, la voici qui s’ébauche dans une programmation très volontairement « borderline » justice.
Unidivers — Comment Images de Justice éclaire la justice dans sa complexité ?
Marianne Bressy — Cette année la question politique sera justement au coeur de plusieurs films de la compétition. Nous verrons comment la justice devient coup d’état au Brésil, comment l’alternative politique est impossible en Espagne, comment un projet de loi devient un référendum populaire en Uruguay, comment le djihad se transmet de père en fils ou comment une Palestinienne tente de défendre son peuple.
Ainsi le festival Images de Justice ne doit pas montrer que des documentaires sur la police, la prison ou les tribunaux, mais plus largement des sujets liés à l’immigration, l’écologie, ou la surveillance qui sont tout aussi encadrés par des codes juridiques : le festival se doit d’être le lieu de toutes ces interrogations.
Unidivers — Un petit aperçu de la programmation pour cette nouvelle édition ?
Marianne Bressy — Pour cette 16e édition, le festival propose une compétition internationale de 13 films, des projections suivies de rencontres avec des réalisateurs, des intervenants en cinéma et des professionnels de la justice, une exposition, une table ronde, une pièce de théâtre, un prix du jury composé de professionnels du cinéma et de la justice, et un prix du public. Images de Justice est un rendez-vous cinématographique incontournable qui permet un débat citoyen sur la notion de justice, il sera également sur Tënk, la plateforme de documentaires d’auteur, du 10 janvier au 5 mars, pour une programmation spéciale « Borderline Justice ».
En écho, Comptoir du Doc réaffirme encore son engagement associatif en mettant particulièrement à l’honneur ses adhérents. Pour cette 16e édition ce sont les sept membres du groupe de programmation du festival qui ont réalisé la bande-annonce de l’événement, mais aussi écrit les résumés critiques des films programmés.
Images de Justice, festival mis en place par l’association Comptoir du Doc. Du 4 au 8 février 2020 à Rennes.
Le site web de Comptoir du Doc
128 avenue du Sergent Maginot
35 000 Rennes
02 23 42 44 37
comptoir[@]comptoirdudoc.org
04.02.2020 | 19:00 Parlement de Bretagne
Pour lancer la 16e édition du festival Images de Justice, nous vous invitons au vernissage de l’exposition La Stratégie du Pourtour ! La soirée continuera à 20h30 avec la projection du film M de Yolande Zauberman, en sa présence.
La Stratégie du Pourtour (exposition du 4 février au 1er mars 2020 – Salle des Pas Perdus)
Une exposition d’Estelle Ribeyre, Cécile Rescan, Emilie Morin, qui présente des recherches visuelles et sensibles autour du vécu des comparutions immédiates. Avec comme point d’ancrage l’affaire Bagelstein (Rennes, 2016) et la reprise du journal d’Amaël Tertrais, écrit à la prison de Vezin-le-Coquet, de mai à août 2016.
Cet assemblage de fragments gravés, photographies, textes, documentaires sonores, témoin d’une mise en tension entre le droit commun et la justice d’exception, gravite autour de la reprise du texte de Michel Foucault, « La Stratégie du Pourtour« . Cet écrit, datant de 1979, fait référence à la première loi anti-casseurs, promulguée le 8 juin 1970, suite aux événements de mai 1968.
Vous pouvez participer au financement de l’exposition La stratégie du Pourtour et acquérir des tirages argentiques en faisant un don ici.