« Lors de sa scolarité, 1 élève sur 10 subit du harcèlement à l’école et 2 sur 10 du cyberharcèlement. Les deux ne sont pas forcément dissociables. Cela fait 3 élèves par classe pour le harcèlement à l’école et 6 pour le cyberharcèlement dans une classe de 30 élèves » explique Gaëlle Reynaud, volontaire en service civique à Unis-Cité Rennes. C’est ce thème que Gaëlle Reynaud et Aurélie Mariau-Rollin, accompagnées de la compagnie Leutexie, ont choisi de présenter sous la forme d’une conférence gesticulée au ton parfois léger, parfois plus grave, le samedi 9 juin 2018 au bar La Bascule, à Rennes.
Pouvez-vous nous présenter les personnes à l’initiative de cette conférence gesticulée ?
Gaëlle Reynaud : Aurélie et moi participons au programme « Rêve & Réalise » de l’association Unis-Cité qui permet de monter son propre projet de service civique. Dans ce programme, il y a des projets sur le harcèlement de rue, des thématiques environnementales… Nous avons proposé le sujet du harcèlement scolaire au jury et il a été retenu. Nous faisons la conférence gesticulée avec deux comédiennes de la compagnie Leutexie. C’est une jeune compagnie amateur qui est en train de passer professionnelle. Les deux comédiennes nous ont accompagnés sur l’écriture et la mise en scène de l’animation. Nous jouons toutes les quatre dans la conférence gesticulée.
Comment a émergé l’idée d’une conférence gesticulée sur ce thème ?
Gaëlle Reynaud : La conférence gesticulée est une manière de traiter un sujet de société sous forme de spectacle en se basant sur des faits, des données, des chiffres et des expériences vécues par les personnes. C’est en allant voir une conférence gesticulée organisée par 3 Petits Poings sur le système scolaire et sa remise en question que nous avons eu l’idée de ce format. À l’origine, nous voulions proposer des ateliers d’expression à des jeunes collégiens victimes de harcèlement en partenariat avec une association. Nous n’avons finalement pas pu les mettre en place pour diverses raisons d’organisation. Nous cherchions un projet pour la fin de ce service civique. Nous avons trouvé le format de la conférence gesticulée différent de ce qui se fait d’habitude : des vidéos ou animations en milieu scolaire. Nous voulions rendre la conférence vivante et impliquer le public dans l’échange. Nous avons mis en scène le quotidien d’un jeune harcelé. Le débat qui prend suite nous permet de proposer des pistes de solutions et réflexions que nous avons rassemblées depuis le début du service civique.
Le gouvernement agit depuis 2010 pour lutter contre le harcèlement scolaire. Est-ce une question récente ?
Gaëlle Reynaud : C’est une question qui a toujours été. Nous avons pu parler avec nos parents ou des personnes des générations précédentes et ils nous disent que c’était déjà une question qui était là. Nous n’en parlions juste pas du tout. C’était presque un peu normal. Actuellement, le harcèlement prend des formes diverses et est accentué avec les réseaux sociaux. Avant, si un enfant se faisait harceler à l’école, il rentrait chez lui et était « plus ou moins tranquille ». Maintenant, cela se poursuit à la maison avec des groupes Facebook, des photos, des textos… Les harcelés ne sont en sécurité nulle part.
Le sujet est également plus médiatisé aujourd’hui, car il y a des associations qui commencent à agir comme notre association partenaire principale : Marcel Ment. Sur cette lancée là, nous avions aussi envie d’en parler et de vraiment dire ce qui se passe, car finalement nous n’étions, au départ, pas spécialement informées sur le sujet. Nous avions une idée, mais ne savions pas que cela pouvait aller à de tels degrés au point d’avoir des enfants qui se déscolarisent, qui finissent anorexiques ou qui se suicident.
Il y a des initiatives gouvernementales, mais de ce que nous voyons, nous n’avons pas l’impression que les initiatives qui sont mises en place fonctionnent. Nous ne généralisons pas. Évidemment, cela va dépendre de l’accompagnement sur lequel les jeunes vont tomber et de nombreux facteurs. Ce qui ressort c’est que l’écoute n’est pas forcément au rendez-vous. Il y a des campagnes de sensibilisation, mais au niveau des établissements scolaires et des formations du personnel éducatif, nous avons le sentiment qu’il y a un manque.
Le système scolaire tel qu’il est fait aujourd’hui ne pousse pas forcément les personnes, les enseignants ou les jeunes entre eux à faire preuve d’empathie et d’être à l’écoute les uns des autres. Nous sommes plus dans la restitution de savoirs et pas forcément la transmission de notions de vivre-ensemble. Il faudrait pousser à la coopération plutôt qu’à la compétition. Il faut apprendre à se connaître, à connaitre l’autre et à se rendre compte que lorsque nous faisons quelque chose à l’autre, il y a des conséquences positives ou négatives. Quand nous créons un groupe Facebook, que 200 personnes mettent des messages pour dire « t’es moche, tu pues, t’es gros, tu ne sers à rien, va te suicider, va te prendre », ce ne sont pas juste des blagues. Il y a un effet de groupe qui fait que les jeunes ne réfléchissent pas à ce qu’ils font.
Il y a aussi des jeunes qui se mettent à harceler, car ils ont un mal-être eux-mêmes et cela on en parle pas forcément. On a tendance à beaucoup se tourner vers les victimes, ce qui est normal, car ce sont les premières personnes à prendre en charge, mais il faut aussi prendre les problèmes à la source. Le harcelé doit apprendre à devenir autonome, prendre conscience qu’il peut gérer la situation lui-même et y mettre fin de par sa posture. Les harceleurs doivent aussi être pris en charge, car il peut avoir un mal-être derrière, avoir besoin de trouver une place dans un groupe ou chercher une sensation de pouvoir.
Quelles sont les principales difficultés rencontrées par un enfant ou adolescent harcelé et pourquoi est-ce si difficile de contrer l’existence de telles situations ?
Gaëlle Reynaud : C’est très varié. Cela peut être des insultes, bousculades, vols, commentaires sur sa manière de s’habiller, son physique, sa couleur de cheveux, de peau, son orientation sexuelle. Cela peut-être une personne qui se moque et les autres qui rient autour. Les témoins qui regardent et ne font rien par peur ou parce qu’ils ne se rendent pas compte des impacts de ce qu’ils voient contribuent clairement au harcèlement. Un harceleur qui n’a pas de soutiens et de témoins arrête plus vite que s’il est renforcé par le fait que les autres suivent son action. Sur les réseaux sociaux, cela peut prendre la forme d’insultes, la création d’un groupe Facebook contre un élève ou ignorer un élève dans un groupe de travail, ne pas répondre à ses commentaires ou se moquer de lui. C’est cette accumulation d’actions répétées qui constituent le harcèlement scolaire. Le harcèlement sur les réseaux sociaux est la forme la plus difficile à combattre. S’il n’y a pas un modérateur adulte dessus, personne ne sait ce qui s’y passe.
Les personnes ne se rendent pas forcément compte de la réalité du fait ; et les enseignants, surveillants et les familles n’y sont pas forcément formés. Pour les encadrants, ce n’est pas toujours facile de savoir s’ils ont affaire à du vrai harcèlement ou à de simples disputes entre collégiens. La nuance n’est pas toujours facile à faire. Ce qui nous a interpellés dans les échanges que nous avons eus avec des collégiens ou que nous avons pu entendre dans les reportages, ce sont les demandes d’aides qui n’aboutissent pas. La démarche de parler n’est pas facile. Si l’adolescent se retrouve face à un mur qui lui dit : « il y a toujours un bouc émissaire dans une classe, il faut prendre sur toi, te défendre, arrêter d’attirer l’attention sur toi. Ce que tu vis arrive à tout le monde » et qui banalise les faits, les choses vont continuer. Parfois, les enseignants savent ce qui se passe, mais leur direction leur dit de ne pas faire de vague, car c’est mauvais pour la réputation de l’établissement de se dire qu’il y a eu du harcèlement.
Les adultes ont parfois des réponses qui aggravent le harcèlement. Par exemple, un jeune a été harcelé, car il avait vu un couteau dans le sac d’un de ses camarades et est allé le signaler au professeur qui, tout de suite, a convoqué le jeune. Il savait donc très bien qui avait signalé ce fait et, de là, la situation de harcèlement a commencé. Il n’y a pas de mode d’emploi parfait de la bonne réaction à avoir en cas de harcèlement. Les erreurs sont possibles, mais il faut éviter de réagir à chaud et prendre le temps de comprendre ce qu’il se passe. Remonter à la source des faits et réfléchir aux actions que nous allons faire.
Alerter les parents est également important. L’enfant peut avoir peur de leur en parler, être gêné. La situation familiale fait qu’il peut y avoir des soucis dans la famille. L’enfant se dit : « je ne vais pas rajouter ça, il y a des choses plus graves que moi » alors que c’est sérieux. Chaque situation est à prendre en compte, mais il vaut mieux en parler aux parents. Il est important qu’ils puissent faire quelque chose plutôt que de rentrer un jour et qu’il soit trop tard…
Quels sont les signaux auxquels un parent doit être vraiment attentif ?
Gaëlle Reynaud : Face à un enfant qui n’a pas l’air bien, qui devient agressif ou arrête de communiquer, la famille peut penser que ce sont des signes d’adolescence alors qu’il y a derrière un mal-être qui est dû au harcèlement. Le fait de se lever le matin en ayant mal au ventre, des problèmes de santé, des éruptions cutanées, de l’eczéma, de l’anorexie qui s’installe est des changements auxquels il faut être vigilants. Il faut éviter de réagir à chaud comme nous le montrons dans notre spectacle. Les parents veulent évidemment bien faire et défendre leur enfant. Ils vont, par exemple, aller voir les parents du harceleur ou le harceleur lui-même à chaud, avec des émotions en ayant envie que ça s’arrête. Les parents en face ne vont pas forcément comprendre ce qui se passe ou admettre que leur enfant ait pu faire cela. Si les parents du harcelé vont voir le harceleur, le message sous-jacent est : « tu n’es pas capable de te défendre toi-même ». Le harceleur se sent encore plus puissant et le harcèlement peut redoubler et voir l’autre davantage comme une victime.
Nous présenterons les solutions de façon détaillée le jour de la conférence gesticulée. Il est aussi possible porter plainte lorsqu’on se rend compte que la situation n’évolue pas, que l’établissement n’entend pas ou que le jeune et sa famille n’entendent pas ce qui leur ai dit. C’est à prendre avec précaution, car si les harceleurs sont au courant, cela peut dégénérer et les choses peuvent soit se calmer, soit s’aggraver.
Quels sont les acteurs qui luttent contre le harcèlement scolaire aujourd’hui ?
Il y a des associations, mais leur action est différente suivant les régions. À notre connaissance, dans l’Ille-et-Vilaine, il n’y a que Marcel Ment qui agit pour cette cause. Il y a des programmes au niveau des collèges qui prennent conscience du phénomène et mettent en place de la prévention et de la sensibilisation comme le « Respect Zone » : des ambassadeurs sont choisis par le collège pour être porte-parole sur cette question et faire de la sensibilisation, de la prévention. Certains élèves qui ont harcelé, après avoir pris conscience que leur comportement n’était pas du tout adapté, viennent sensibiliser à leur tour les autres élèves. Ils aident les autres élèves à comprendre ce qui se passe et donnent des clés pour que cela ne se reproduise pas. C’est une façon de les sanctionner de façon constructive. Ce dispositif est notamment mis en place en Belgique et arrive petit à petit en France.
Nationalement, il y a un « référent harcèlement » au niveau de chaque académie. Il existe aussi un concours « Non au harcèlement ». Les jeunes, par classe, vont proposer des affiches et courts-métrages pour parler de ce sujet. Nous ne savons pas ce qui est mis en place autour de cela : est-ce qu’il y a un travail réalisé autour de ces supports ? Nous espérons que oui.