Le titre d’une chanson de Michel Sardou pour dire le mitan d’une vie entre habitudes et envie de tout recommencer. Nicolas Mathieu dans ce magnifique roman Connemara poursuit son observation de notre société. Pas seulement des délaissés, mais aussi de ceux qui ont réussi à prendre l’ascenseur social.
Elle s’appelle Hélène. La quarantaine arrive et avec l’âge, le temps des tourments. Un mari encore séduisant, deux enfants, un métier bien rémunéré, une belle maison. Mais le monde chancelle. Un mal-être s’installe dans un emploi du temps surchargé. La réussite sociale semble actée. Et pourtant.
Il s’appelle Christophe. Il est à peine plus âgé. Il est en instance de séparation et risque de perdre la garde alternée de son enfant suite au déménagement de son ex. Il n’a pas trop mal réussi en devenant représentant en nourriture pour chien. Il fut surtout une gloire locale du club de Hockey sur glace. Deux potes, son père avec qui il vit. Une petite existence normale. Et pourtant.
On devine la suite : Hélène et Christophe, vingt ans après le lycée, vont se revoir, se retrouver comme au temps de l’adolescence. Et peut être plus. L’histoire est banale, prévisible, attendue. Une romance sociale. Et pourtant.
Pourtant le talent de Nicolas Mathieu change tout. Avec Leurs enfants après eux, Prix Goncourt 2018, le Vosgien racontait le roman de l’adolescence, d’une jeunesse en difficulté d’une vallée perdue dans l’Est de la France. Cette fois-ci c’est la vie d’adultes du côté de Nancy qu’il décrit avec une précision de sociologue, mais une attention de romancier. Il a les mots pour dire le quotidien, avec un réalisme et un naturel exemplaires. Il nous emmène avec lui dans l’arrière-salle d’un café d’Épinal, racontant les clients, leurs propos, leurs silhouettes. On est dans la cuisine des parents d’Hélène, adolescente, entre une mère éprise de ménage et un père occupant ses loisirs à bricoler ici ou là pour arrondir les fins de mois. Comme une caméra cachée, Nicolas Mathieu nous dit la vie quotidienne avec la justesse du vécu.
Annie Ernaux, de manière autobiographique raconte sa classe sociale d’origine, Olivier Adam dit de manière romancée sa vie d’avant à la lisière des grands ensembles. Nicolas Mathieu nous parle avec Hélène d’une transfuge de classe qui s’est appropriée les codes de la moyenne bourgeoisie. Si Hélène et Christophe sont issus du même milieu, ils ne sont plus du même monde. Nous sommes dès lors loin de la romance sociale, mais dans une banale réalité qui dit beaucoup. Qui dit tout.
Aucune caricature pour dire des comportements qui marquent les différences de classe : « chacun ses goûts », « il faut de tout pour faire un monde », autant d’expressions toutes faites comme pour justifier, s’excuser de ne pas être à la hauteur de la famille d’une copine par exemple, dont le père est « cadre ». Ce ne sont pas forcément la voiture, les meubles, les loisirs qui font la différence, mais d’abord, les mots, le langage. C’est par la langue que tout se différencie :
« Pourtant on s‘aime dans cette maison, mais de cette manière maladroite et contrariée où le manque de mots se compense par la profusion des dépenses ».
C’est par les mots, les attitudes que l’on se compare, car finalement ce sont ces apparences qui distinguent les gagnants et les perdants plus qu’une différence de mode de vie réel. La quarantaine arrivée, les difficultés d’exister, d’aimer sont identiques que l’on boive de la bière dans un petit troquet ou du champagne dans un open space.
On se demande si Nicolas Mathieu n’a pas été adolescente, jeune fille, dans une vie antérieure. Les pages consacrées à la jeunesse d’Hélène et de Charlotte, sa meilleure copine, sont parmi les plus belles du roman. Le mal-être, la construction nouvelle d’un corps et d’une âme vers l’âge adulte ont rarement été aussi bien décrites. Nicolas Mathieu est le meilleur conteur de l’adolescence. Mais aussi de la quarantaine.
Connemara commence avec cette phrase : « La colère venait dès le réveil ». Une colère qui dit tout de trajectoires de vie qui s’essoufflent à la recherche de plus de bonheur, de moins de malheur. D’un sens à donner à une deuxième et dernière partie de l’existence.
Pour connaître l’état d’une Nation à un moment donné on peut lire un livre sociologique et statistique comme La France sous nos yeux. On peut aussi lire le dernier roman de Nicolas Mathieu, remarquable texte qui nous dit une fois encore la vie « normale » de citoyens « normaux », ancrés dans notre siècle. Et terriblement attachants.
Connemara de Nicolas Mathieu. Éditions Actes Sud. 400 pages. Parution février 2022. 22€.
Rencontres :
Mardi 8 février 2022 – Librairie Le Divan à Paris.
Mercredi 9 février 2022 – Librairie Mollat à Bordeaux.
Jeudi 10 février 2022 – Librairie Les Rebelles Ordinaires à Paris.
Vendredi 11 février 2022 – Maison de la Poésie à Paris.
Mercredi 23 février 2022 – Librairie Labyrinthes à Rambouillet.
Jeudi 24 février 2022 – Librairie Durance à Nantes.
Du jeudi 24 au dimanche 28 février 2022 – Festival Effractions de la BPI Salon à Paris.
Mercredi 2 mars 2022 – Librairie Ombres Blanches à Toulouse.
Jeudi 3 mars 2022 – Librairie Tonnet à Pau.
Vendredi 04 mars 2022 – Librairie L’Arbre à lettres, Paris.
Mercredi 9 mars 2022 – Librairie Les Arpenteurs Rencontre à Paris.
Jeudi 10 mars 2022 – Librairie Vivement dimanche à Lyon.
Vendredi 11 mars 2022 – Librairie Les Danaïdes à Aix-les-Bains.
Fête du livre de Bron – du 08 au 13 mars 2022 : retrouvez Nicolas Mathieu, Corinne Royer, Thierry Froger Nicolas Mathieu.
Vendredi 18 mars 2022 – Librairie Au Moulin des Lettres à Épinal.
Mardi 22 mars 2022 – Librairie Folies d’Encre à Montreuil.
Mercredi 23 mars 2022 – Librairie Dialogues à Brest.
Jeudi 24 mars 2022 – Librairie Le Failler à Rennes.
Vendredi 25 mars 2022 – Librairie Mots et Images, Guingamp.
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