Les archives du Conseil de l’Ordre des Médecins d’Ille-et-Vilaine sont constituées principalement des recherches d’un médecin rennais (Georges Fougères) qui avait aidé des juifs pendant l’Occupation. Le présent travail se propose d’analyser en parallèle les directives et circulaires du Conseil Supérieur de l’Ordre des Médecins (CSO) adressé aux différents conseils départementaux (CD) et l’activité du Conseil départemental d’Ille-et-Vilaine au travers des procès-verbaux. Entre l’institution franchement aux ordres de l’« État français » et les conseils départementaux pour certains au moins, il y eut un fossé que des hommes de bonne volonté ont su ne pas franchir.
(Par discrétion certains noms ont été abrégés, inversement lorsque le comportement moral était unanimement reconnu les noms ont été cités ad integrum, mais aussi à l’inverse lorsqu’il y avait une prise de position engagée incitant au recensement des médecins israélites français ou étrangers ou sur la question du Service du Travail Obligatoire – STO).
Genèse du Conseil l’Ordre des Médecins
Nous nous reporterons et citerons largement le travail, parfois amendé, du docteur Pouillard sur l’histoire du Conseil de l’Ordre (1).
La nécessité pour le corps médical de se doter d’une structure professionnelle de régulation se fait jour au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Le 7 mars 1928, le député socialiste du Nord, Ernest Couteaux dépose une « proposition de loi visant à l’institution d’un Ordre des Médecins ». Pendant plus de 10 ans se suivront discussions et renvois successifs d’une chambre à l’autre. Le gouvernement de Vichy, s’arroge le 7 octobre 1940 le droit de la création de l’Ordre des Médecins qui comprenait un Conseil Supérieur de l’Ordre des médecins et des Conseils départementaux dont les membres étaient, non pas élus, mais nommés par le ministre.
En octobre 1940, le Dr Huard, secrétaire d’État à la famille et à la santé de 1940 à 1942, convoque René Leriche, chirurgien de renommée internationale. Le Pr Leriche décline, mais Huard insiste. Dans ses mémoires très édulcorées (Souvenirs de ma vie morte), Leriche raconte : « je ne pouvais plus me dérober… »Cette période est marquée à l’égard des médecins israélites par des mesures d’exclusion dictées par le Commissariat général aux questions juives imposant au Conseil Supérieur de l’Ordre des Médecins la charge d’appliquer les décrets discriminatoires (11 août 1941). Xavier Vallat qui dirige ce service écrira en décembre 1941 « nous notons que l’Ordre des médecins ne met aucun empressement à faire appliquer cette loi » concernant nos confrères « interdits d’exercer une profession libérale ». Au moins jusqu’en 1943, le secrétariat du CSO rappellera aux CD la nécessité d’adresser les listes de médecins israélites et étrangers. Il faut constater à l’évidence que le Conseil de l’Ordre, pris dans l’étau de Vichy, n’a jamais protesté contre les lois d’exclusion des médecins de confession israélite (2-4). La résistance à l’occupant se manifesta lorsque les autorités d’occupation demandant à s’en tenir à des visites de pure forme pour les examens d’embauche au S.T.O. (Service du Travail Obligatoire), Leriche, répondit : « au contraire, ces examens doivent être sérieux, complets et ne s’inspirant que de notre conscience », ce qui ralentissait considérablement les éventuels départs en Allemagne. Leriche démissionnera le 28 décembre 1942, le Pr Louis Portes lui succédera à la tête de l’Ordre, avec moins d’empressement à « servir ».
La nomination des membres des CD fut remplacée en 1942 par « l’élection » des conseillers par l’ensemble des médecins de chaque département. Le 18 octobre 1943, une ordonnance du Comité de libération nationale à Alger annule les dispositions de « l’autorité de fait » de Vichy, contraires à la législation républicaine, tout en maintenant le principe d’un Ordre des médecins.
À l’été 1944, un avis du commandement des troupes d’occupation allemande stipule que « tout blessé par arme à feu devait être signalé et que quiconque ne fera pas cette déclaration s’exposera aux peines les plus sévères, le cas échéant à la peine de mort ». Le Pr Portes, répondait par la motion suivante, rédigée avec le docteur B. Lafay :
« Le Président du Conseil de l’Ordre des Médecins se permet personnellement de rappeler àses confrères qu’appelés auprès de malades ou de blessés : ils n’ont d’autre mission à remplir que leur donner leurs soins, le respect du secret professionnel étant la condition nécessaire de la confiance que les malades portent à leur médecin, il n’est aucune considération administrative qui puisse nous en dégager. »
Cette déclaration fut adressée aussitôt à tous les médecins français, démarche exemplaire dont on doit mesurer la gravité, le risque et le courage. Le Conseil Supérieur de l’Ordre des Médecins produira sa dernière circulaire le 2 juin 1944 en instaurant une carte d’identité professionnelle et sera dissout le 27 août 1944.
Comparaison entre les archives du Conseil Supérieur de l’Ordre (CSO) et celles du conseil départemental (CD) d’Ille-et-Vilaine.
Année 1941– CSO
La première séance du Conseil Supérieur se tiendra le 28 novembre 1940 sous la présidence du Dr Serge Huard, Secrétaire général à la Famille et à la Santé.
Le CSO envoie des directives aux CD sous forme de circulaires. Les représentants départementaux sont nommés. Les médecins doivent promettre par serment de respecter le Code de déontologie. Le CD aura à vérifier les diplômes. Les syndicats médicaux sont dissous.
Les activités médicales reconnues sont : les médecins généralistes, les chirurgiens, les ORL, les ophtalmologistes, les radiologues, les dermatologues, les biologistes, les stomatologues, les gynécologues, les psychiatres (circulaire numéro 1 du 9 janvier).
Le CSO souhaitant limiter les installations surnuméraires procède à une estimation du nombre de médecins nécessaires : le Département des Alpes Maritimes aurait une capacité de 700 médecins et celui des Hautes Alpes de 65… (Circulaire numéro 7 du 25 mai). L’un des objectifs est la limitation des cabinets multiples (circulaire numéro 1 du 9 janvier).
La retraite à 65 ans et l’invalidité professionnelle sont abordées (Circulaire numéro 7 du 25 mai). Certaines directives sont liées à la situation créée par la guerre : accords de prise en charge des soins aux familles des ouvriers français travaillant en Allemagne avec le KVD (Kassenaertzliche Vereinigung Deutschland) ; une attribution de 50kg de charbon par mois pour le cabinet est obtenue, mais la demande d’une carte T de rationnement est refusée (Circulaire numéro 9 du 8 août).
Le gouvernement de Vichy se préoccupe de la baisse de la natalité et de la répression des avortements. La Circulaire numéro 8 du 30 juin 1941 aborde à la demande des autorités ecclésiastiques (sic) la révision du code de déontologie relative à l’avortement thérapeutique « lorsque (celui-ci) paraît seul susceptible de sauver la vie de la mère et que celle-ci le demande si le médecin estime que sa conscience ne lui permet pas de le conseiller ou d’y prendre part, il doit cesser ses soins ou en donner le motif ».
En fait, l’une des premières tâches du CSO est l’application des mesures d’exclusiondes médecins étrangers. La loi du 16 août 1940 stipule que « nul ne peut exercer la profession de médecin, chirurgien-dentiste ou de pharmacien en France ou dans les Colonies s’il ne possède la nationalité française à titre originaire comme étant né de père français ». Doivent donc être exclus les médecins de nationalité étrangère, mais aussi ceux qui sont devenus français par naturalisation, même s’ils ont effectué leur service militaire et ont été mobilisés en septembre 1939. Le CD doit adresser un questionnaire à chaque médecin en lui demandant de préciser ses origines ainsi que sa nationalité, mais aussi celle de ses parents !
La circulaire numéro 1 du 9 janvier 1941 se veut rassurante « Les médecins israélites (français) rentrent dans la règle commune et la loi ne prévoit pas actuellement de limiter leur exercice ». Dans les faits, il ne faudra que 8 mois pour que les mesures d’exclusion concernent les médecins juifs qu’ils soient « étrangers » ou Français d’origine. Le 9 avril 1941, le Dr Theil membre du Cabinet du Secrétariat d’État à la Famille et à la Santé demande au Président du CO : « de recenser les médecins juifs en vue d’établir un numérus clausus d’exercice ». Cette demande est relayée aux Présidents et secrétaires des CD. Le Dr Deguy, secrétaire administratif du CSO demande de « recenser les médecins juifs exerçant dans le département… (mais aussi sur une autre liste). Les médecins juifs qui pourraient résider dans votre département sans y exercer » (circulaire numéro 5 du 16 avril 1941). Le décret du 11 août 1941 institue à leur égard un numerus clausus d’exercice de 2%.
Un numerus clausus applicable aux israélites à l’entrée des études médicales est envisagé (circulaire numéro 3 du 19 février 1941).
Mais l’interdiction des médecins étrangers a un retentissement dans certains départements. (Circulaire numéro 10 du 3 octobre 1941).
Conseil départemental :
Le Pr. Le Damany, enseignant à l’École de Médecine de Rennes est nommé à la tête du Conseil.
La première séance a lieu le 5 janvier et illustre les problématiques de la médecine française de l’époque à savoir les problèmes d’installation de cabinet à proximité de médecins précédemment remplacés (séance du 2 février), mais aussi de consultation foraine avec le refus de médecins d’autres départements parfois extérieurs à la Bretagne dans des cabinets secondaires (séance du 6 avril).
La question cruciale de cette séance, est celle de médecins étrangers naturalisés ou non, installés parfois depuis de nombreuses années et ayant même été mobilisés ou engagés volontaires dans l’armée française au début du conflit.
Le Dr St. , roumain exerçant depuis 1934, marié à une Française, père de 4 enfants, mobilisé dans une unité non combattante voit sa demande rejetée, car non français de même que le Dr Spit, Allemand par son père et qui lui aussi a servi dans une unité non combattante.
Le Dr V… d’origine suisse, naturalisé et ayant servi dans une unité combattante est autorisé ainsi que le Dr Abram… roumain, mais naturalisé en 1936 et ayant servi avec une citation militaire élogieuse.
La séance du 1er août 1941 se penche sur la demande d’installation de médecins déplacés de l’est de la France. D’abord le Dr Grüb… de Mulhouse… L’enquête réalisé par un membre du CD fait apparaître qu’il est extrêmement distingué… n’est pas juif… parents restés français lors de l’annexion: la réponse est positive. De même que pour le Dr Kru de la même région « il est né français, il n’est pas israélite donc remplit toutes les conditions (sic) ».
À la séance du 7 septembre, un médecin rentré de captivité « souhaite conserver sa remplaçante qui est très bien, Mlle Frad., elle est d’ascendance juive, son grand père est juif, son père est juif non pratiquant, sa mère non juive. Voici un certificat de Pinsk par lequel le rabbin certifie que sa mère n’a jamais été inscrite sur les registres de la ville. »
Le Dr X. qui aura quelques soucis à la Libération, ajoute « Nous avons le droit d’inscrire un juif. La question des juifs n’est pas posée pour les médecins praticiens ». En fait il se trompe, cette question est bien posée. Le décret instituant un numerus clausus date du 11 Août 1941 et sera publiée au Journal Officiel le 6 Septembre, mais il n’a pas été lu par ce médecin.
Il est signalé qu’un médecin de St Lunaire, ancien militaire a abandonné son cabinet et franchi la ligne (sic) pour rejoindre sa fille à Marseille. (séance du 6 avril 1941).
Année 1942 CSO
Le 30 janvier 1942, eut lieu à Paris la réunion des Présidents et délégués des CD de la zone occupée : le Pr Pierre Mauriac, doyen de la Faculté de médecine de Bordeaux souhaite « que l’élimination des métèques hors du corps médical soit poursuivie sans faiblesse »
Le CSO poursuit la politique mise en place par le décret du 11 août 1941 portant sur le numerus clausus d’exercice de 2% (circulaire numéro 13 du 30 janvier).
Le CSO va même au-delà : la Circulaire numéro du 4 mars signée du Dr Laurent secrétaire du CO demande instamment : le nombre et noms des médecins refusés à l’inscription au Tableau de l’Ordre.
Le commissariat aux questions juives précise en ce qui concerne les 2% de médecins juifs autorisés à exercer : la règle en cas de nombre fractionnaire est de ramener à l’unité inférieure par exemple si ce pourcentage est de 0,80 aucun médecin juif n’est autorisé ; s’il est de 1,8, un seul l’est (Circulaire numéro 15 du 22 mai).
Les aspects militaires de l’occupation transpirent peu dans les divers au moins à cette période de la guerre, l’occupation de la zone libre n’est même pas mentionnée cependant le 30 juillet 1942 fait référence à des bombardements côtiers et au retentissement sur la vie professionnelle des médecins.
La circulaire numéro 19 ter du 31 décembre, période charnière de la guerre confirme le basculement progressif de l’opinion en particulier à partir de juillet 1942 suite à l’arrestation et à la déportation des juifs en zone libre ce qui entraînera des prises de position courageuse du clergé français. Ce changement d’attitude se manifeste en ce qui concerne le corps médical avec la « multiplication des certificats concluant à l’exemption au STO ».
Le CSO se préoccupe aussi d’éviter la multiplication de petites unités médicale avec le souhait de la création de grands ensembles médicaux rassemblant plusieurs spécialités que l’on pourrait considérer comme l’embryon des CHU.
Les circulaires du 27 octobre et 10 décembre traitent des soucis d’exercice des praticiens du fait des rationnements.
Conseil départemental :
La séance du 22 mars se préoccupe de problèmes de transmission de clientèle en raison d’un différent sur la somme demandée par le cédant. Le 3 mai on aborde les indemnités de déplacement ainsi que les contrats liant cliniques et mutuelles.
À la séance du 5 août, il est fait état d’un médecin qui demande à partir en Allemagne soigner les prisonniers en remplacement d’un autre confrère, en fait il est sous le coup d’une plainte du Maire de sa commune et ce départ entraîne une suspension de toute action judiciaire… À la séance du 12 août, une ambulance à gazogène est mise à la disposition du corps médical par une entreprise de transport du département.
1943 CSO
L’année débute par la démission du Pr Leriche, remplacé par le Pr Portes, un obstétricien dont la position apparaît plus ferme: « Un certain nombre de conseils protestent contre des circulaires préfectorales incitant à des visites rapides des travailleurs requis pour la relève en Allemagne… l’Ordre soutient cette opinion » (Circulaire numéro 21du 6 avril 1943).
La circulaire numéro 22 du 4 juin annonce l’envoi d’étudiants en médecine de la classe 42 en Allemagne(STO) tandis que les autorités allemandes se plaignent de certificats de complaisance.
La circulaire numéro 8 du 26 octobre fait référence à des médecins incarcérés, rappelle l’inutilité d’une quelconque démarche et demande aux CD la liste et les adresses des médecins incarcérés tout en réitérant encore aux CD de fournir la liste des médecins israélites inscrits à l’Ordre…
La mention de la nécessité d’une carte professionnelle pour circuler et la limitation des indications de l’insuline en raison de difficultés d’approvisionnement sont rapportées (circulaire numéro23 du 1er Août)
Conseil départemental :
À la séance du 10 janvier 1943: un médecin de Fougères se plaint d’« être le seul réquisitionné pour examiner les ouvriers désignés pour l’Allemagne: cette corvée lui étant extrêmement pénible moralement ».
Trois médecins du département les Dr Gringoire, Chérel, Bonno ont non seulement refusé de participer aux examens, mais ont de plus écrit des lettres incendiaires contre le gouvernement….. Leur laissez-passer sera supprimé par le préfet (séance du 4 avril 1943).
On se trouve à une période charnière de l’histoire de Vichy à savoir le retour de Laval qui redonne une pseudo légitimité « républicaine » à l’administration de l’État Français avec un retour marquant de l’autorité des préfets.
Le 17 juin 1943, le Dr R… proteste » contre la façon dont sont faits les examens des gens astreints au STO: médecins trop peu nombreux pour des jeunes gens …trop nombreux, médecin prévenu au dernier moment, mairie non prévenue, jeunes gens non convoqués » .
Lors des élections du CD du 2 mai 1943, le Pr Marquis est élu à la place de Le Damany (5 voix contre 4).
Les réalités de la guerre se rapprochent de manière plus évidente : par exemple une lettre du Dr Thi… membre du CSO pour demander une allocation pour les médecins lorientais victimes indirects des bombardements intensifs de cette ville ( séance du 4 mars 1943). On note la Première mention de la défense passive : l’inspection de la Santé demande d’établir un service de garde le dimanche en prévision d’un bombardement éventuel. Il est fait référence à l’incarcération du Dr Dordain, celui-ci membre du réseau de renseignement du Colonel Rémy, sera incarcéré à la prison de Rennes ou il mourra soit du fait des tortures subies soit parsuicide ; deux de ses fils membres d’un réseau action seront arrêtés et mourront en déportation : des membres du CD prennent contact avec son épouse (Séance du 27 août 1943).
1944 CSO
Les progrès des opérations militaires alliés se font ressentir:
Le Secrétariat d’État à la famille et à la santé dans une lettre du 18 avril 1944 précise les « mesures prévues par le chef du gouvernement dans l’éventualité d’opérations militaires et particulièrement lors d’un débarquement… autorité du préfet en cas d’interruption des communications entre certains départements et le gouvernement… nécessiter de maintenir les services médicaux et sanitaires y compris dans la zone de feu ou dans un territoire occupé par un envahisseur. »
La circulaire numéro 18 du 12 juillet 1944 délègue des pouvoirs aux membres du CO dans leur région pour agir en cas d’évènements graves et demande une fois de plus de dresser la liste des médecins incarcérés.
La circulaire numéro 3 du 3 janvier 1944 fait état d’un projet d’une caisse autonome de prévoyance et d’entraides des médecins (retraite) qui deviendra après la Libération, la CARMF. La dernière circulaire 20 datée du 22 juillet 1944 annonce la création d’une carte professionnelle.
Conseil départemental :
La séance du 7 février 1944 fait état d’un projet de création d’un Centre de Transfusion sanguine à Rennes. Les dernières séances ont lieu les 13 avril, 6 mai 1944 et 19 mai 1944 sans une quelconque particularité.
1945 Conseil départemental :
Suite à l’ordonnance du 11 décembre 1944 du Gouvernement provisoire de la République qui dissout l’Ordre et décrète la création de Conseils départementaux et régionaux transitoires, la première séance a lieu 19 janvier 1945 : on y retrouve des médecins issus de l’ancien CD et le Dr Gringoire qui avait eu quelques soucis pour avoir refusé d’examiner les candidats au STO.
Le CD appelle à la mobilisation pour le retour des prisonniers Un tableau d’honneur est créé à la mémoire des médecins tués par les Allemands ou déportés.
Discussion
Il est clair qu’on ne peut nier la nécessité d’un Ordre préexistant au régime de Vichy puisque réclamé depuis des décennies par le Corps Médical: celui-ci a rempli pendant l’Occupation le rôle d’un Ordre, d’un syndicat et de certaines autres fonctions. Le CSO s’est préoccupé, en particulier de la carte sanitaire, mais aussi de prévoyance et de retraite. Le CSO a amorcé une réflexion sur une médecine décentralisée dans une France encore très rurale et évoqué l’intérêt de « centres de diagnostic » multidisciplinaires ce qui est assez proche des idées de Robert Debré, membre du Comité Médical de la Résistance quiconduiront dans l’après-guerre à de puissantes réformes modernisant la médecine française.
L’appareil national sans doute plus politique du CO a suivi les directives du gouvernement de l’« État Français » et réitéré les demandes de recensement des médecins juifs et étrangers sous la pression du Commissariat général aux questions juives dirigées d’abord par Xavier Vallat(4-6). Ce travail en particulier l’examen des circulaires nationales montre que le CD d’Ille-et-Vilaine comme d’autres (4) a traîné les pieds pour les mesures de recensement des médecins juifs ou interdits d’exercice, en témoignent les injonctions répétées à le faire ; ce qui est, toute proportion gardée donne un reflet de l’opinion française de l’époque en particulier à partir de 1942(4).
En ce qui concerne le CD d’Ille-et-Vilaine, il est difficile de se faire une idée claire de l’opinion de ses membres, on peut simplement juger qu’elle a suivi comme pour la majorité des Français, l’évolution que l’on connaît d’un abattement quasi complet à une résistance relative, avec l’habituelle frange des résistants ou des collaborateurs.
Quant au Dr Fougères, qui était l’objet de notre enquête initiale, nous avons pu apprendre qu’il avait fait sa thèse de Médecine à Montpellier, qu’il est décédé au début des années cinquante, épuisé par une importante activité. Une petite ruelle près de la Faculté de Médecine de Rennes rappelle le martyr du Dr Dordain et de ses fils.
Que peut-on souhaiter au terme de ce travail qui parfois provoque la nausée à la lecture de ces feuilles si ce n’est que cette histoire rejoigne l’enseignement de l’éthique médicale en particulier aux plus jeunes ?…
L’auteur remercie pour leur lecture attentive, critique et contributive, mais toujours amicale le Professeur Henri Nahum (Paris) et le Docteur Claude Lentschener (Paris).
Notes
1. Pouillard J. History of the National Council of the Order of Doctors (1845-1945) Hist Sci Med. 2005;39:213-23.
2. Evleth D. Corporate defense, xenophobia and anti-semitism in the medical environment. The Romanian privilege, 1930-1940. Hist Sci Med 2008; 42:81-6
3. Nahum H . La Médecine française et les Juifs 1930-1945Paris 2006 L’Harmatan
4. Evleth D. Vichy France and the continuity of medical nationalismHist Sci Med. 1995 ;8:95-116.
5..Pierre Azéma, Olivier Wieviorka, Vichy, 1940-1944, Perrin, 1997, Édition 2004, coll. Tempus, p. 75
6.. Paxton R« La collaboration d’État » dans La France des années noires, Tome 1, Éditions du Seuil, coll. « Points-Histoire », 2000, p. 371