Le Conservatoire de Rennes met Stéphane Mallarmé en musique

 « Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui », ces premiers mots d’un poème de Stéphane Mallarmé nous renvoient sans tarder à l’époque de la première et du bac de français. Naguère, l’idée de devoir présenter à l’oral un poème de Mallarmé engendrait une inquiétude certaine, car si le mot est ciselé, il faut un peu de vécu pour en percevoir la musique. Poète qualifié « d’hermétique », il n’autorise pas l’à-peu-près ou la médiocrité. Démonstration avec le Conservatoire de Rennes.

 

Des compositeurs amoureux de la poésie, et voilà que nait la mélodie française ! À l’occasion du colloque international sur Mallarmé proposé par l’Université Rennes 2 à la mi-mars, les élèves des classes de Chant, d’Accompagnement piano, de Musique de chambre et les Choeurs du Conservatoire de Rennes convient à découvrir ou à redécouvrir en musique de grands textes de la langue française en collaboration avec l’Opéra de Rennes et l’Université Rennes 2.

Des musiciens de plusieurs époques se sont intéressés à ces textes magnétiques ou la métrique classique n’a plus sa place : le signifiant apparait dans le rythme et la construction « sujet verbe complément » devient dénuée de sens. Ce sont Debussy, Ravel et Hindemith, plus proches dans le temps, qui orneront les premiers ces créations de magnifiques musiques. Les élèves du conservatoire à rayonnement régional de Rennes seront nos hôtes pour cette soirée inhabituelle. Impossible bien sûr de les citer tous, la liste en serait trop longue, mais certains ont retenu notre attention par la qualité de leur travail.

C’est avec le doux son de la flute traversière de Tiphaine Demonjour que s’ouvre le célébrissime « prélude à l’après-midi d’un faune ». Cette transcription de Sylvain Blassel de l’œuvre de Claude Debussy est exécutée avec une grande application par les jeunes musiciens. Le violoniste Emile Delange, se situant à mi-chemin entre le communiant et le 1er prix de français-latin, se fait remarquer par la grande rigueur de son travail. Cette impression se confirmera dans ses pertinentes interventions lors de l’exécution de l’Hérodiade d’Hindemith. Il est suivi dans le sérieux par Thibault Mauduit, irréprochable à son violoncelle, et qui possède une qualité souvent rare à cet âge : celle de suivre avec attention les indications du chef d’orchestre. Ce sont ensuite les sopranos Géraldine Cassey et Ingrid Perruche qui viendront illustrer « Apparition », texte de 1884, et « Trois poèmes de Mallarmé » (1913) accompagnées par Elisa Bellanger au piano.

Maurice Ravel sera mis à l’honneur au travers de « Sainte » (1896), bien chantée par Ingrid Perruche dont l’excellente diction rend compréhensibles les textes qu’elle récite. Elle déclamera avec autorité « Hérodiade » réalisant une performance qui laissera la nombreuse assistance impressionnée.

Sylvain Blassel
Sylvain Blassel

La suite du programme relève, sans qu’aucun doute soit permis, de la musique contemporaine. Celle que l’on a appelé musique sérielle, dont Gilbert Amy, présent dans la salle, est un créateur. La jeune clarinettiste Eugénie Dalibard montre une étonnante dextérité et prouve en accompagnant la mezzo Gwenolla Maheux, qu’elle est capable de tirer de son instrument, grâce à sa parfaite maitrise, des sons aussi déroutants qu’incongrus. Les deux œuvres, « D’un désastre obscur » puis « Après d’un désastre obscur », laissent le public un peu pantois. Le mélange curieux de notes très marquées émises par les différents instruments, ponctuées de cris, d’onomatopées et d’accords dissonants, n’est pas forcément aisé à comprendre. Cela sous-entend une démarche très personnelle, l’acceptation d’une esthétique où nos repères naturels cessent d’exister.

Pas moins troublantes, les sonorités proposées par Pierre Boulez invitent plus à la rêverie et laissent une impression agréable et propice à l’acceptation. Le choix des instruments y est pour beaucoup. Les cloches tubulaires, les gongs, les différentes percussions apportent une dimension onirique que ne démentent ni le piano, la harpe ou le célesta… Le célesta au fait, vous connaissez ?

Les explications nous seront apportées de bonne grâce par le sympathique Henri Lucchesi, rencontré après le concert. Le célesta est un instrument à percussion situé entre le piano et le glockenspiel dont les sonorités sont très souvent utilisées pour créer des ambiances féériques et aériennes. Habituellement pianiste, Henri Luchessi s’est prêté avec gentillesse et patience au jeu de l’interview. À la question un peu abrupte :  « Mais vous cette musique, qu’est-ce que vous en pensez ? » Il n’a pas éludé et a reconnu qu’elle pouvait être déstabilisante mais constituait un exercice intéressant dans la rigueur nécessaire d’un travail de groupe.

Et c’est sans doute l’impression générale laissée par cette inhabituelle soirée en compagnie du CRR de Rennes et de leur directeur musical Sylvain Blassel : une rigoureuse volonté de bien faire.

Claude DEBUSSY : Prélude à l’après-midi d’un faune (transcription : Sylvain Blassel), Apparition, 3 poèmes de Mallarmé
* Maurice RAVEL : Sainte
* Gilbert AMY : D’un désastre obscur, Après « d’un désastre obscur »
* Pierre BOULEZ : Improvisations I et II sur Mallarmé
* Paul HINDEMITH : Hérodiade

Géraldine CASEY, soprano
Gwénola MAHEUX, mezzo
Ingrid PERRUCHE, soprano
Elisa Bellanger, piano
Elèves intrumentistes du CRR de Rennes
Sylvain BLASSEL, direction

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Thierry Martin
thierry.martin [@] unidivers .fr

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