Venant tout droit des États-Unis où la fonction est déjà bien installée, la coordination d’intimité rejoint petit à petit les rangs des tournage en France. Après le mouvement #Metoo et tout ce qui en a découlé, de plus en plus de réalisateurs et de boîte de production font appel à des coordinateurs ou coordinatrices d’intimité. C’est le cas de Laure Roussel, spécialisée en sexothérapie, qui a échangé sur son expérience avec Unidivers.
Vivant entre Paris et Cancale, Laure Roussel est psychopraticienne de formation, mais fréquente les plateaux de tournage depuis ses 19 ans. Aujourd’hui âgée de 45 ans, elle poursuit ses thérapies en cabinet tout en intervenant sur des tournages en tant que coordinatrice d’intimité : « J’ai été pendant près de 15 ans assistante réalisatrice et quand je n’étais pas là-bas, j’exerçais des activités liées au cabaret ». Parallèlement, Laure faisait du cabaret et écrivait déjà autour de la sexualité et de l’identité. Bien qu’elle ait finalement décidé de quitter sa fonction d’assistante réalisation pour se consacrer à ses consultations, elle a gardé un pied dans le milieu en étant coach d’acteur : « J’ai travaillé sur des séries comme Parents d’emploi et Peps en tant que coach pour enfants », explique la coordinatrice. « Ça consiste à s’assurer de leur sécurité en plateau, leurs horaires, les faire travailler sur l’apprentissage du texte, le cheminement émotionnel, les intentions ». Dans le cadre de cette spécialisation, elle a notamment travaillé avec Louise Mauroy-Panzani qui incarne le rôle principal dans le long-métrage àma Gloria de Marie Amachoukeli.
Coordinatrice d’intimité, en quoi ça consiste ?
Le coordinateur ou la coordinatrice d’intimité joue un rôle de médiateur entre l’équipe de tournage, les acteurs et leurs proches afin de garantir le respect du consentement et du bien-être de chacun, en particulier lors de scènes sensibles. Comme le souligne Laure : « J’ai travaillé sur un film dans lequel il y a une courte séquence de viol avec des acteurs qui sont non comédiens à la base et j‘ai aussi accompagné la famille qui n’est pas forcément ouverte sur le sujet ». Elle doit également intervenir avec les proches parfois réticents, comme ce fut le cas avec une jeune fille dont le partenaire était jaloux : « J’ai posé des questions pour mieux comprendre la situation et jusqu’où on pouvait aller, en parlant tous ensemble ».
Comment cela se passe concrètement ? Après avoir récupéré le scénario, il y a une session de dépouillement qui se résume au décorticage de chaque élément lié à la sexualité, à la nudité et l’intimité : « Pour que ça se passe bien sur le plateau, il faut bien préparer en amont », précise Laure. « Ensuite, tu échanges avec le réalisateur, parce que dire seulement “ils se déshabillent et ils font l’amour”, ça ne veut rien dire ».
La coordinatrice est là pour comprendre ce qu’attend réellement le réalisateur, savoir comment il ou elle veut que la scène se déroule précisément : « Est-ce qu’il y a des gros plans ? Qu’est-ce que tu veux dire ? Qu’est-ce qui est utile ou ne l’est pas ? », toutes ces questions permettent de cerner au maximum la volonté du réalisateur ou de la réalisatrice. Après cet échange, le travail se fait avec les acteurs et actrices : « L’idée, c’est qu’on sépare le réalisateur du comédien pour que les langues soient complètement libres », ajoute Laure. Son rôle est également de s’assurer que l’équipe technique est d’accord d’assister à la scène. En général, les scènes d’intimité se font seulement avec les membres de l’équipe qui ont vraiment un rôle à jouer dans la séquence.
« L’idée, c’est qu’on sépare le réalisateur du comédien pour que les langues soient complètement libres. »
Une intermédiaire pour chacun et chacune
Chacun place ses limites à un niveau différent et c’est en cela que le travail de coordination est parfois nécessaire : « On cherche des chemins sur le corps de l’autre qui permettent que chacun se sente en sécurité. Le but du jeu, c’est de chorégraphier la séquence, de la découper, un peu comme si c’était une cascade ». En résumé, le coordinateur d’intimité est la personne de référence sur le plateau vers laquelle chaque membre de l’équipe peut se tourner en cas de malaise ou de problème lié au tournage. Souvent de manière inconsciente, de nombreux acteurs et actrices ont pu se sentir mal après une scène, car leurs limites n’avaient pas été suffisamment respectées. Suite au mouvement #MeToo et à l’affaire Harvey Weinstein, qui ont mis en lumière les abus dans l’industrie du cinéma, la coordination d’intimité s’est progressivement imposée comme une nécessité sur les plateaux, afin de garantir un environnement de travail plus sûr et respectueux pour tout le monde.
Laure précise : « On n’est pas là pour nuire à la réalisation. On est là pour que ce soit porté à un autre niveau en toute sécurité ». En 2024, la France comptait seulement quatre coordinatrices d’intimité, contre quatre-vingts aux États-Unis. La question de savoir si leur présence devrait être obligatoire sur les tournages reste complexe. Comme l’explique Laure : « Parfois, les scènes sont hyper suggérées et les acteurs spécifient qu’il n’y a aucune problématique pour eux. » Dans ce cas, elle estime qu’il n’est pas toujours nécessaire de faire appel à une coordinatrice d’intimité.
Un métier sans formation obligatoire ?
Pour l’instant, il n’y a aucune formation obligatoire en France pour accéder à ce métier : « Moi je n’ai pas fait de formation, mais par ma connaissance du plateau, de la direction de jeu et de la sexualité, ça s’est fait naturellement », ajoute Laure. « Ce qui pourrait poser question, ce serait quelques questions juridiques, car s’il y a beaucoup de scènes de nudité, très engagées, il serait intéressant de tout contractualiser ». Aux États-Unis, il existe la formation Intimacy Directors and Coordinators que la coordinatrice d’intimité Najoua Ferréol a par exemple suivi. En France, Ségolène Dupont, déléguée générale de la CPNEF de l’audiovisuel, a annoncé qu’une formation du même style devrait émerger.
Ses revenus de psychopraticienne lui permettent de choisir les tournages auxquels elle souhaite participer. Préférant voir les équipes en amont du tournage, elle se laisse ainsi la liberté de refuser ceux qui l’appellent à la dernière minute, « quand les conditions de tournage sont un peu tendues et qu’on ne sait pas si on pourra rencontrer les comédiens avant le matin même, donc en gros de manière un peu bâclée », explique-t-elle. « Peut-être que d’autres personnes ont une technique qui leur permet d’être performantes, mais ce n’est pas possible pour moi ». Elle a récemment travaillé sur le tournage du film Animale d’Emma Benestan, qui sortira en salle le 27 novembre 2024.