Repenser nos manières d’habiter la Terre de façon plus respectueuse et responsable, telle est la raison d’être de l’association Hameaux Légers. En mai 2021, le premier hameau léger de maisons réversibles sortait de terre à Saint-André-des-Eaux près de Dinan (Côtes-d’Armor). Non loin de là, l’écocentre de l’association nationale vient d’ouvrir ses portes. Unidivers a rencontré une des habitantes, Clémentine Louis, qui nous raconte son expérience. Reportage.
En France, de nombreuses personnes souhaitent vivre en accord avec leurs valeurs écologiques et sociales. Fondée en Ardèche en 2017, installée en Bretagne depuis 2019, l’association Hameaux Légers œuvre à l’accès pour tous et toutes à des habitats et des modes de vie durables et solidaires. Le premier écolieu accompagné par l’association a poussé en mai 2021 à Saint-André-des-Eaux. Il réunit treize adultes et un enfant autour d’une même raison d’être : « Cheminer ensemble en confiance pour incarner librement nos valeurs au sein d’un lieu de vie sobre et partagé ». Parmi les habitants et habitantes, Clémentine et son compagnon Thomas, et leur enfant en bas âge. La jeune femme raconte cette aventure humaine à Unidivers.
L’association Hameaux Légers est née du constat que notre façon d’habiter la planète est nuisible pour sa sauvegarde. Le secteur du logement est une des grandes causes du dérèglement climatique, la terre pâtit des lourdes transformations qu’entraînent les constructions, notamment l’utilisation du béton, mais le chauffage également. Partis explorer d’autres manières de vivre plus écologiques et solidaires, les fondateurs Sévak Kulinkian et Xavier Gisserot ont visité de nombreux écolieux, aussi appelés écovillages, et d’autres aménagements écologiques avant de penser un projet d’habitats en accord avec leurs valeurs écologiques et sociales. Il prendra le nom de Hameaux Légers. En partenariat avec la commune d’accueil, l’association accompagne dans l’a mise en place l’installation d’un lieu de vie participatif qui réunit un petit nombre d’habitats réversibles et accessibles aux foyers à ressources modestes.
Sans connaître les protagonistes de l’initiative, Clémentine et Thomas, anciennement Parisiens, ont fait le même cheminement intérieur. « On a fait un tour des écolieux et découvert énormément d’outils relationnels, de communication qui permettaient de vivre ensemble », se rappelle Clémentine. « C’était assez révolutionnaire pour nous de voir que c’était possible. » Pendant leur voyage en van à la découverte des possibles, ils croisent la route de l’association. Une rencontre qui change leur vie puisque le couple devient bénévole et, après la naissance de leur enfant, rejoint Hameaux légers en Bretagne afin d’expérimenter une autre forme de vivre ensemble. « L’initiative osait l’expérimentation et l’idée était intéressante. En habitant, on pose le socle de notre sécurité, on touche à des choses très ancrées en nous. »
En 2019, Hameaux Légers s’installe sur un terrain mis à disposition à Lancieux (Côtes d’Armor) pendant neuf mois, le temps de trouver un emplacement de lieu plus durable et de développer un écocentre. C’est finalement à Saint-André-des-Eaux, petite commune costarmoricaine de 387 habitants, que sera implanté le premier lieu de vie accompagné par le réseau Hameaux Légers. Pour cette première en France, treize adultes (salariés, bénévoles et anciens bénévoles de l’association) fondent l’association indépendante Hameau Léger du Placis fin 2020. « L’association Hameaux Légers sensibilise et accompagne les collectivités ainsi que les collectifs à l’installation en “hameau léger”. Le hameau Léger du Placis est un groupe de personnes organisées en association pour vivre en Hameau Léger et animer ce lieu de vie qui est privé, sans projet professionnel », éclaircit Clémentine. L’association nationale s’organise aujourd’hui autour de trois axes : sensibiliser et relier, transmettre et accompagner. En 2021, le siège social est déplacé en Bretagne.
Nous sommes en janvier 2023. Sur le terrain du Placis, au milieu de la nature laissée volontairement libre, cinq maisons réversibles sont pour l’instant habitées. Trois autres devraient arriver prochainement, dont deux en cours d’édification à ce jour. La construction de l’espace commun, la plus grande maison du site, a quant à elle débuté en septembre 2022. « On essaie de penser nos besoins essentiels dans les maisons individuelles et de retrouver plus de confort et d’espace dans les espaces communs. » Seront ainsi mis en commun une grande cuisine confortable, deux douches, un espace de vie multiactivité, une petite chambre d’ami et des terrasses autour. Le premier hameau léger, à l’instar des futurs, répond à une charte précise qui permet l’accompagnement d’Hameaux Légers.
Le hameau léger doit être un habitat participatif, c’est-à-dire que chacun est souverain et actif dans le montage du projet (droits de décision, etc.). « Avant la naissance de l’asso, les fondateurs ont fait le tour des écolieux. Ils ont constaté que les personnes à l’initiative avaient souvent une rente ou avaient beaucoup travaillé et mis de côté, et que ce genre de projets restait au final un peu élitiste », renseigne Clémentine. « Et ce n’étaient pas toujours des habitats légers, mais de grosses constructions. C’est pour ça qu’ils ont inscrit l’accessibilité dans la charte. » Ainsi, chaque personne doit avoir la possibilité de construire de petits habitats à la hauteur de ses moyens financiers. La maison peut prendre différentes formes en fonction de ses ressources, ce qui amène au prochain point de la charte.
Le terrain doit accueillir exclusivement des habitats réversibles, terme qui désigne des maisons aux fondations non pérennes (pierres sèches, vis de fondation, pneus, etc.). « La notion de réversibilité, c’est de ne pas rendre irréversible la transformation du terrain. Le principe est de laisser le terrain nu et dans son état d’origine », nous apprend Clémentine. Cela peut être un habitat mobile (roulotte, tiny house, caravane), transportable (mobil-home, conteneur aménagé), démontable car les fondations sont hors-sol (yourte, maison nomade, tipi, etc.) ou biodégradable (Kerterre, maison terre paille). Clémentine et Thomas ont opté pour une maison démontable, construite sur des fondations de pneus à partir de caissons manu-transportables imbriqués les uns sur les autres, avec une isolation en paille. « Les murs étaient montés en une semaine, on a habité dans la maison au bout de six mois. »
La réversibilité induit la notion de liberté. L’achat d’un terrain est un engagement à un moment donné, répondant à des besoins spécifiques. Mais ceux-ci peuvent évoluer dans le temps. Investir dans un habitat léger, c’est avoir la possibilité de vendre sa maison, d’en installer une nouvelle, ou avoir la liberté de partir avec sa maison pour x ou y raisons. « L’un des principes essentiels de Hameaux Légers, c’est la non-propriété du terrain pour éviter la spéculation immobilière et sortir de la notion d’être propriétaire d’une terre qui est à tous ». En partenariat avec les communes d’accueil, des terrains non utilisés, et propriétés de la commune, sont loués aux collectifs pour qu’ils puissent construire leur hameau léger. La location se fait sous forme de bail emphytéotique, une location à long terme, qui peut aller jusqu’à 99 ans. À Saint-André-des-Eaux, le bail est de 80 ans et le loyer du terrain de 5000€ par an, divisé par le nombre de foyers. « À partir du moment où l’association est dissoute, le bail est rompu. »
« Construire sa maison, c’est comme prendre soin d’un enfant, on vérifie comment elle va, s’il y a des fuites, etc. C’est comme si on se connaissait un peu et qu’on s’était apprivoisées. »
Pour l’organisation interne, le collectif du Placis a repris le système participatif mis en place par l’association nationale, autant dans la gestion du lieu que dans celle du collectif, avec un système de gouvernance partagée. Des réunions de triage sont organisées une fois par semaine. Pendant ce moment d’échange, espace de décision, sont abordés les problèmes relatifs à la gestion du lieu. « On est sur le credo “testez et ajustez” plutôt que “prévoir et contrôler”. On cherche à prendre la décision qui semble répondre à la problématique du moment en se disant qu’on pourra toujours l’adapter plus tard. »
Le désir d’évoluer ensemble dans le respect et l’écoute de tout le monde étant au cœur du projet, un temps de régulation du groupe appelé “cercle de paroles et d’écoute” est aussi organisé une fois par semaine. « Le vivre ensemble, c’est pouvoir retrouver la solidarité et se défaire de la peur de l’autre. » Ce temps laisse place à l’humain et à la vulnérabilité, permet le relâchement et l’empathie, et développe la compassion et la tolérance pour désamorcer des tensions et éviter les conflits. Des vérités qui semblent certes aller de soi, mais que notre société oblige à rappeler et à réapprendre. « C’est parce qu’on va être humainement en harmonie et avoir l’élan de faire les choses ensemble que le projet pourra avancer. C’est ma vision, mais je trouve que c’est assez vrai dans ce que je vis ici. »
Dans une société comme la nôtre, qui va à cent à l’heure, nous prenons de moins en moins de temps pour prendre soin de soi, des autres ou de notre environnement. Hameaux légers s’inscrit dans cette reconquête d’un temps qui nous appartient. « Pour moi, les projets d’habitat léger sont définis comme des moyens de changer le monde, mais ce sont des projets de transformation intérieure qui se font en collectif et qui permettent un cheminement individuel et collectif. »
« Ce type d’initiatives rapproche des savoir-faire essentiels desquels on s’est éloignés. C’est aussi se confronter à soi et à ses limites. »
Toutes les actions en lien avec le hameau léger du Placis sont un prolongement de ces valeurs. Dans les accords conclus avec la commune, le collectif s’est engagé à reprendre le café-concert L’Éprouvette. « La commune voulait que ça reste un lieu de partage, familial et convivial », précise Clémentine. « La proposition a énormément pesé dans la balance parce que notre idée était de s’inscrire dans une dynamique locale. » Rachetée par le collectif du Placis sous forme de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), l’Éprouvette est un espace de vie sociale composé d’une épicerie participative dans le but de « redonner le pouvoir d’agir aux gens ». « Les personnes qui ont un besoin peuvent venir et faire des propositions alimentaires, artistiques, culturelles. La gouvernance collégiale est prévue pour ça ». Grâce à des subventions publiques, le collectif a pu salarier deux personnes. La première est chargée de la programmation événementielle et du lien au territoire, la deuxième s’occupe du pôle parentalité afin d’offrir des espaces pour les parents et les enfants.
Nous sommes en janvier 2023. Indépendamment du lieu de vie, mais voisin, Hameaux Légers vient d’ouvrir un écocentre. À terme, quatre ou cinq habitats réversibles accompagnera la bâtisse principale et permettront de développer les activités pour que l’écocentre devienne un lieu d’accueil, de formation et de gîte.
Le Hameau Léger du Placis aura servi de défrichage pour la suite de l’aventure Hameaux légers. Il a permis d’expérimenter, d’adapter les besoins et d’améliorer l’accompagnement. L’association accompagnait initialement les collectifs, aujourd’hui ils accompagnent les collectivités dans les appels à projets pour installer des hameaux légers et, une fois que la commune accepte, elle ouvre ses portes et invite des collectifs à répondre à cet appel. L’association nationale fait ensuite le lien entre collectif et collectivité. « Aujourd’hui, tout est mis en place pour faciliter la mise en œuvre, le travail juridique, etc. » Elle a également créé le MOOC “S’installer en habitat réversible” (Massive Online Open Course – Cours en ligne ouvert et massif), un parcours d’apprentissage en ligne, gratuit et ouvert à toutes et tous.
L’année 2022 fut pour le moins fructueuse. À la fin de l’année, neuf projets d’hameaux légers étaient en cours d’accompagnement en Bretagne et ailleurs, et le nombre de salariés augmentait. Et le festival Les Palourdes, autour de l’habitat réversible et participatif, voyait sa première édition voir le jour en juillet. La jeune pousse qu’était Hameaux Légers à ses débuts a bien grandi et ses branches s’étendent désormais à l’échelle nationale.