La cour de récréation est un espace collectif qui est un bien commun. Tous les enfants devraient pouvoir s’y réjouir, s’y amuser, s’y délasser, s’y épanouir sans qu’aucune détermination physique ou mentale crée de l’iniquité d’occupation et de traitement. C’est pourtant en son sein que des rapports – parfois – inégaux entre différents types d’enfants – notamment garçons et filles – se mettent en place, médiatisés par certains stéréotypes qui conditionnent les perceptions et comportements de chacun. Pour répondre à une structuration comportementale peu équilibrée, voire déséquilibrée, des rapports filles-garçons, les services communaux et rectoraux adoptent des stratégies de réaménagement des cours d’école, de leur mobilier, espacés dédiés et usages. Dans cette optique, la ville de Rennes promeut la cour de récréation « non-genrée ». L’école de l’Ille, boulevard de Verdun, est la première a en bénéficié en cette rentrée 2020. Au-delà du bien-fondé de la promotion d’un usage réellement mixte, juste et équitable de l’espace récréatif, que recouvre ce syntagme de “non genré” issu des gender studies mais qui est, pour autant, rarement utilisé contrairement à “mixte, unisexe, non-binaire” ? Unidivers s’est entretenu avec Geneviève Letourneux pour tenter d’y voir plus clair.
Depuis le début de son mandat en 2014, Geneviève Letourneux poursuit l’objectif de rétablir une pleine égalité de tous les citoyens et citoyennes dans l’accès à l’espace public. Il s’agit de faire évoluer les comportements au profit d’une égalité réelle.
« Après avoir réactivé le comité consultatif, nous nous sommes posé trois questions prioritaires : les violences, l’éducation et l’espace public. »
Le problème : quelle place pour les femmes dans l’espace public ?
C’est un fait, beaucoup de femmes peinent à trouver leur place dans un espace public à plusieurs endroits dominé par les hommes. Ou, plutôt – car le sens de la mesure est particulièrement souhaitable en la matière – non par les hommes mais par certains hommes. Dans ces espaces territoriaux sous pression, ces femmes ne font que passer, souvent à des heures données et sur leur garde. Ainsi, la majorité des jeunes femmes sortent à des heures précises dans plusieurs quartiers de Rennes, notamment sur la Dalle Kennedy ou au Gros-Chêne (Maurepas), en prenant soin d’adopter des vêtements les moins susceptibles de les faire remarquer. Malgré cela, les remarques sexistes, dégradantes et autres harcèlements sont monnaie courante.
« Au sein de l’espace public, il y a des distorsions de pratiques liées à des écarts de légitimité et des formes d’agressions qui rappellent aux femmes qu’elles n’y ont pas leur place. À l’extérieur, les femmes sont des proies », commente Geneviève Letourneux.
Dans un espace républicain qui appartient et doit être partagé par tous les membres de la collectivité, une partie importante des femmes préfère devenir invisibles afin de se protéger de la survenue de violences physique ou verbale en utilisant des stratégies d’évitement. Le problème ne relève donc pas du droit mais du comportement. Femmes, hommes, handicapés, LGBT, asiatiques, africains, caucasiens, etc. – chaque citoyen bénéficie de droits égaux et d’un accès similaire aux ressources communes. Mais le comportement de certains (souvent de jeunes hommes) perturbe le bon usage pratique des espaces et de leurs traversées au profit de la création de secteurs sous tension, sous domination, voire de territoires où la République se retrouve comme gommée.
Stéréotypes, cultures et religions
Or, si l’on essaie de remonter la pelote de cette fracturation des espaces communs (réels ou symboliques) par des stéréotypes dominateurs, on trouve plusieurs origines. En premier chef, les traditions culturelles, sociétales, éducatives et religieuses nationales et locales. En matière de lutte contre la phallocratie et de la promotion du respect de chacun – quelles que soient ses déterminations physiques ou mentales), les pays du Nord de tradition protestante ont plusieurs longueurs d’avance sur les pays latins catholiques, slaves orthodoxes et aux musulmans, méditerranéens ou non.
Aucune loi ou campagne de communication n’est susceptible de transformer en un temps record ces larges héritages qui sédimentent des gammes de stéréotypes, car ces derniers sont en pratique vecteurs de structuration des identités. Certes, certains stéréotypes sont rétrogrades à l’image de ceux qui relèvent de la misogynie. Il convient donc à une société progressiste de gommer pas à pas ces derniers en jugulant leur transmission. La promotion d’une égalité réelle de la jouissance des droits civiques par chacun et pour tous invite à faire évoluer les comportements là où c’est possible, notamment dans l’espace public. Dans ce cadre, certains observateurs ont remarqué qu’un pan de la reproduction de certains stéréotypes machistes et de comportements dominateurs s’originent dans les cours d’école, en particulier dans la cour des écoles publiques. Aussi la place plus ou moins contrainte d’une large typologie de femmes (mais aussi d’une moindre mais non-négligeable typologie d’hommes) dans l’espace public trouverait-elle (une partie de) ses origines dans la cour d’école.
L’école matrice des inégalités
L’école est un lieu d’apprentissage et de sociabilité où les enfants construisent parmi leurs premiers échanges et rapports intersubjectifs. Un miroir collectif qui les renvoie à eux-mêmes : à travers les autres, ils se découvrent et construisent leur personnalité et leur identité. La cour constitue ainsi l’une des premières expériences de l’espace public, avec ses règles, ses expérience de libertés et ses contraintes. Or, des rapports de domination et d’humiliation – quelles qu’en soient les origines et les manifestations – sont susceptibles d’altérer le bon déroulement de cette découverte collective et produire un ensemble de ressentis négatifs défavorables à l’épanouissement personnel. Comme l’explique Geneviève Letourneux :
« C’est à travers l’autre qu’on existe et lorsque l’épanouissement est tronqué de frustration, l’autre devient une menace. […] Les stéréotypes touchent aussi les garçons, victimes de clichés masculins dont la virilité et la supposée performance. Enfermés dans des activités sportives et physiques, ceux qui pourraient ne pas s’intéresser au sport se retrouvent marginalisés du reste de leurs camarades, à cause de jeux qui ne correspondent pas à la pluralité de leurs aspirations. […] Cette discrimination au nom de critères sexués amène les enfants à se séparer naturellement dans leurs activités : des jeux immobiles et sans confrontations pour les filles, sportifs et bruyants pour les garçons. […] Ce décalage conforte les différences sociales entre les hommes et les femmes qui ne s’inscriront pas de la même manière dans un lieu ou une époque, là où entrent en jeu des rapports de domination et des stéréotypes entretenus depuis si longtemps qu’ils en deviennent naturels, légués de génération en génération […] Nous sommes tous traversés par ces représentations qui entretiennent l’inégalité entre les femmes et les hommes en chacun d’entre nous. […] Pour autant, il n’est pas possible d’effacer ces représentations du jour au lendemain. Et cela n’est pas souhaitable, car le développement des enfants en ferait les frais. Un enfant aura fondamentalement besoin de représentations pour se comprendre soi-même et comprendre les individus autour de lui, elles sont des outils d’apprentissage aussi importants que le langage. Nos représentations actuelles viennent de stéréotypes. Il ne faut pas en faire l’anéantissement, mais en construire de nouvelles. En mettant en œuvre des alternatives pour ne pas s’étonner de voir un enfant se diriger vers des jeux habituellement estampillés féminins ou masculins. D’où la promotion par la Ville de Rennes de cours non genrées. Ces cours visent à les libérer de normes qui pourraient conditionner leur comportement et leurs envies. […] Ce n’est pas une logique d’interdit, mais de liberté. C’est en s’affranchissant de stéréotypes inconscients qu’on sort d’un schéma binaire appauvrissant. »
Les cours non genrées
Dans cette optique, la Direction éducation enfance de la ville de Rennes aux côtés du service Programmation des investissements à la Direction des projets d’équipements publics de Rennes Métropole ont animé en 2018 des ateliers de concertation autour l’aménagement non-genrée des cours d’école. Plusieurs groupes scolaires dont l’école élémentaire Ille ont alors émis leur souhait d’aller vers ces nouveaux aménagements.
LA VILLE DE RENNES A INSCRIT DANS LE PROGRAMME DE SES 2 NOUVEAUX GROUPES SCOLAIRES PUBLICS EN PROJET (ÉCOLES MATERNELLES ET ÉLÉMENTAIRES DE BAUD CHARDONNET ET D’EUROPE ROCHESTER) LE SOUHAIT D’ALLER VERS DES AMÉNAGEMENTS DE COURS NON GENRÉS. LE CHOIX A ÉTÉ FAIT DE SORTIr LE PLATEAU SPORTIF DE LA COUR DE RÉCRÉATION POUR PRIVILÉGIER D’AUTRES ESPACES COMME DEs COINS POUR DES JEUX CALMES ET DES ESPACES RÉPONDANT AU BESOIN DE NATURE DES ENFANTS. LES ESPACES POUR COURIR OU SE DÉFOULER EXISTENT MAIS PRIVILÉGIENT DES JEUX MIXTES DE TYPE BADMINTON. (RAPPORT ANNUEL 2018-2019 “ÉGALITÉ FEMMES HOMMES” PRODUIT PAR RENNES VILLE, MÉTROPOLE ET CCAS.)
Les cours non genrées s’efforcent donc de proposer plus de choix à chaque enfant. « Il faut une large palette de propositions avec des pratiques d’observations et de repos, pas seulement de défoulement, pour leur permettre de se définir non plus par des stéréotypes de genre, mais par leurs envies. », ajoute Geneviève Letourneux. D’où une approche plus universelle : décentraliser les activités et inventer un espace où l’on navigue plutôt que l’on stagne. « Il faut penser la circulation de façon à ce qu’il n’y ait pas d’espace dédié à une seule catégorie de personne. En passant d’un espace à un autre, on sort de la centralité fatidique du jeu de ballon au milieu de la cour. » Plus avant, Geneviève Letourneux explique que réconcilier l’égalité dans l’espace public est « un projet pluridisciplinaire au long court. Cette préoccupation concerne énormément de métiers, aux architectes et aux paysagistes doivent désormais s’ajouter les sociologues et anthropologues » Réaménager l’espace de l’école n’est ainsi que la première étape d’un plan de reformulation de l’espace publique au sein de la métropole de Rennes.
Que veut dire « non genré ? »
Le champ lexical du non-genré s’inscrit dans les études autour du genre et des rapports entretenus entre les femmes et les hommes. Les études de genre viennent questionner la norme binaire qui détermine les différences sociales entre le masculin et le féminin. Malgré un terrain sociologique et une amplitude universitaire grandissants, elles restent encore peu connues du grand public. Pour autant il est patent que l’explosion des gender studies depuis 10 ans provoque un clivage chez les Français qui les connaissent ou en ont entendu parler.
Chez les pro, elles sont un outil utile dans la visée d’une déconstruction souhaitable des stéréotypes qui conditionnent les rapports entre femmes et hommes dans notre société (entre genres, mais aussi en fonction des orientations et identités sexuelles ou des données et héritages ethniques). Les anti y voient un nouveau cheval de Troie de l’ultralibéralisme anglo-saxon visant à gommer toutes déterminations naturelles et autres singularités personnelles afin de faire des individus des sujets-objets dénaturés traversés par des imaginaires, des esthétiques, des vies intérieures et sentimentales dictés par la société de consommation. Dans cette dernière veine, on trouve plusieurs personnes qui se déclarent croyantes, notamment musulmanes, mais aussi nombre de citoyens athés qui s’inquiètent des évolutions inconnues qu’entraînerait une dissociation entre déterminations biologiques et naturelles et constructions culturelles des identités.
En pratique, il n’existe à ce jour aucune définition fixée dans la langue française du terme non genré. Le terme anglais non-gendered définit ce qui ne concerne pas ou n’est pas spécifique aux personnes d’un sexe particulier (not relating or specific to people of one particular gender). Ainsi, un vêtement unisexe pourra être dit non genré dans la mesure où il ne s’adresse à aucun genre en particulier, donc, ipso facto, aux garçons comme aux filles, mais aussi à tout autre genre autre possible et imaginable. Mais l’application de cet adjectif devient de plus en plus difficile dès lors que l’on convoque des contenus plus complexes.
Non genrée, neutralité, non-binarité, mixité
Ainsi, un enseignement non genré signifierait qu’il ne s’adresse à aucun genre en particulier, voire plus : son contenu et son mode d’exposition devrait prendre soin de ne jamais évoquer des déterminations biologiques ou physiques au profit d’une non-binarité, d’une complète neutralité. Mais ce qui est neutre est susceptible tout autant de signifier pour toutes les singularités que pour aucune. Non genré peut ainsi signifier tout autant un objet ou un lieu qui est conçu à la base pour et en fonction d’aucun genre (unisexe) qu’au profit de tous les genres (mixte) et les usages induits par ces genres. C’est cette ambiguïté qui est ici à l’œuvre. Redoublée par une confusion entre la chose et son usage, le genre et le comportement.
Par exemple, un sport genré signifie qu’il s’adresse à un genre. L’exemple qui revient en continu est le foot qui s’adresserait aux garçons ; lesquels assoiraient grâce à cette activité musclée leur domination spatiale dans la cour d’école. Mais est-ce le foot qui est genré ou simplement l’usage exclusif et abusif qui en est fait dans la cour ? Doit-on interdire à un groupe de filles qui le souhaiteraient de jouer au foot dans la cour d’école au motif que c’est un sport genré machiste ? Bien sûr que non. La réalité relève d’un problème de comportement et d’éducation : certains de leurs camarades garçons (et non tous !) vont leur refuser l’accès au terrain de foot. Un comportement fort regrettable. C’est pourquoi l’école élémentaire Liberté de Rennes, située sur le boulevard du même nom, a dès février 2019 instauré une alternance de l’occupation du terrain de foot à raison d’un jour par les filles, un par les garçons, un par les deux (mixte) un jour par les grands (mixte), un jour par les petits (mixte) – ce qui selon les encadrants et les enfants que nous avons interrogés a satisfait tout le monde.
Ce qui est réellement ici en jeu est l’égalité d’usage et d’occupation mixte de la cour par et pour tous les enfants – filles, garçons, handicapés ou non, petits ou grands, quelque soit leur origine ethnique, culturelle ou religieuse. Doit-on oeuvrer à une école non-genrée ou à une école réellement mixte et égalitaire ? En bonne logique, une école non genrée définirait un établissement qui est conçu dans son agencement sans que les usagers destinataires ne soient pris en compte d’un point de vue du genre. Donc, avec des toilettes communes pour tous. Ce qui ne manquerait pas de poser problème…
Plutôt qu’espaces non-genrés, pourquoi ne pas parler d’aménagements non-stéréotypés ou égalitaires ou, encore, mixtes, égaux et respectueux des usages de chacun ? Qui plus est, utiliser le terme de “cour non-genrée” nous parait pour l’heure susceptible d’effrayer inutilement certains parents circonspects en souchant la promotion d’une égalité réelle dans les cours d’école dans un référent doctrinal dont ladite promotion n’a pourtant nul besoin (du moins, à ce stade). Unidivers s’est ouvert à Geneviève Letourneux de ce questionnement lexical. Après un long échange, l’élue nous a indiqué que l’expression de « cour d’école libérée des stéréotypes de genre” lui semblait préférable à celle de “non-genrée“. De fait.
Bien circonscrire le problème : stéréotypes et comportements, les deux faces d’une même pièce ?
De fait, certains garçons (et non tous, encore une fois !) occupent bien souvent la place centrale de la cour – avec un terrain de football matérialisé ou improvisé – en cantonnant aux bords extérieurs la plupart des filles et les autres garçons moins désireux de défoulement physique. Certains observateurs, notamment issus des gender studies, considèrent que cette occupation déséquilibrée produit chez l’enfant, dès l’âge de 6 ans, une identité sexuelle en compétition avec le sexe opposé. Certains vont même jusqu’à tirer une ligne droite entre le petit footballeur au pré carré de la cour d’école et le futur homme violent – ce qui nous semble un raccourci aussi simpliste que faux et pitoyable. De fait, si on va jusqu’au bout de la logique des rapports de force en faisant abstraction des points de vue partiaux, ce qui apparaît tient dans une variation d’oppositions entre forts et faibles, dominants et dominés, quelles que soient encore une fois leurs déterminations physiques. Sauf à vouloir tordre le réel, on constate que – en deçà et au delà des stéréotypes que chacun hélas ! porte sur les autres (en particulier certains garçons sur certaines filles), ce qui est à l’œuvre, ce sont des distorsions et déséquilibres comportementaux. Lesquelles freinent des occupations de la cour d’école mixtes, égales et respectueuses des usages de chacun – filles, garçons, handicapés ou non, petits ou grands, quelque soit leur origine ethnique, culturelle ou religieuse.
Ce qui n’est pas tolérable, c’est qu’un garçon empêche une petite fille de s’épanouir dans la cour en jouant à ce qu’elle veut, et pourquoi pas au foot (qui pourrait être tout aussi mixte que le badminton…). Ce qui est intolérable, c’est qu’un petit être qui aime jouer à la poupée ou aux cartes avec des filles se recroqueville en lui-même et dans un coin parce qu’un (ou plusieurs camarades) lui assène des injures blessantes qui maltraitent son identité. Et si le corps enseignant et encadrant peut et doit bien évidemment travailler à modifier les stéréotypes (souvent hérités de la sphère familiale) qui conditionnent le comportement de ce petit garçon malveillant, il est primordial d’encadrer l’ensemble des enfants afin qu’aucun n’impose une occupation inégalitaire de la cour. Dans ce cadre, de même qu’il appartient à l’État de faire respecter la Loi (à ce propos, les rues de Rennes sont de moins en moins sûres avec une atmosphère de violence en constante augmentation), c’est au personnel scolaire de veiller à ce que chaque citoyen enfant soit bien égal en droit et aussi en pratique dans le partage et l’utilisation des biens collectifs. Outre la panoplie qui va de l’accompagnement à la punition en passant par le conseil avisé, il est temps de concevoir des outils destinés à faciliter cet effet.
Les stéréotypes, tabula rasa ?
Les stéréotypes ici en question sont des expressions normatives de la domination masculine qui visent à la justifier et la maintenir. Est-ce souhaitable, désirable ? Chacun aura une réponse différente en fonction de sa sensibilité. Pour notre part, à l’instar des personnes que nous fréquentons, un idéal d’émancipation, un impératif de déconditionnement et un sentiment spontané de justice conduisent à croire que cette situation n’est pas enviable et que notre société se porterait bien mieux si cette domination masculine (entre autres) disparaissait au profit d’une gouvernance humaine équitablement partagée. Concevoir tous ensemble un ordre collectif sans domination – voilà un bel idéal dans une société (républicaine) qui n’en propose quasiment plus.
Pour autant, doit-on empêcher les garçons de laisser libre cours à une activité physique intense ? C’est un fait physiologique : une large majorité possède une production hormonale qui les disposent davantage que la plupart des filles à vouloir se “défouler”. Doit-on les conditionner à réprimer l’expression de leurs énergies afin de niveler leur activité sur celles que prisent la majorité des filles ? Symétriquement, doit-on interdire à une fille de jouer au foot, de pratiquer un sport violent et de s’éclater au karaté ? Tant que la pratique de tel ou tel garçon et de telle ou telle fille ne dérange personne, non ! Au nom de quelle hypothétique neutralité non-genrée faudrait-il frustrer ces êtres humains, les empêcher de goûter aux plaisirs d’un simple, naturel et délassant exercice du corps ?
Reste le désir sexuel qui devient pétulant à la puberté et qui va jusqu’à occuper une grande partie temporelle et quantitative de la vie psychique de nombre d’adolescents. Faut-il gaver de bromure ces jeunes hommes boutonneux à la turgescence leste ? Non. Alors comment enrayer la survenue de désordres comportementaux ? Faut-il demander aux jeunes filles de se couvrir, de se recouvrir de vêtements qui gomment leurs particularités physiques ? Non. Non, car la personne qui est transformée par un autre en objet de désir ne peut en aucun cas être tenue responsable de la passion de ce dernier (il y a là une ligne de fracture entre sociétés libérales occidentales et sociétés conservatrices tradionnalistes, en particulier musulmanes). Autrement dit, il est inadmissible que le violeur justifie son crime par le fait que la personne qu’il a violée l’aurait excité ; autrement dit, que la faute de l’emportement passionnel incomberait à la victime. Alors que faire pour réguler le trop-plein d’énergies de certains ados excités et futurs adultes ?
En parallèle du rappel constant – théorique et pratique – de l’égalité en droit et en fait de tous les citoyens, notre société doit apprendre aux garçons à canaliser leurs énergies. Plusieurs moyens s’offre à nous. Voici quelques pistes qui sont loin d’être exhaustives.
Dans un cadre comportemental, il convient au contraire d’encourager l’exercice physique chez les garçons. Dans un cadre esthétique et cosmétique, réinstaurer le port de l’uniforme à l’école (une tenue féminine, une tenue masculine, et la liberté laissée à chaque élève de choisir l’un ou/et l’autre). Dans un cadre relationnel, promouvoir des espaces et des jeux mixtes à l’école (mais dans le respect de la volonté de chaque enfant). Dans un cadre psycho-physique, des exercices de maîtrise de soi, de son corps et de son mental. Pourquoi pas à l’école des cours de yoga conçus en fonction des âges, des sensibilités et des niveaux des élèves ? Enfin, dans un cadre intellectuel, à quand des cours d’analyse déconstructive de schémas stéréotypés (liés aussi bien aux genres qu’aux autres déterminations physiologiques ou mentales) à l’oeuvre chez chacun et véhiculés tout particulièrement par les réseaux sociaux et le marketting publicitaire.
Autrement dit, si l’objectif est bien d’augmenter la coopération bienveillante dans les relations entre chacun (quelque soient ses déterminations physiologiques), on pourrait commencer par remettre au goût du jour trois saines activités qui sont en régression depuis trop d’années : le respect de l’autre au sein des règles collectives, l’esprit critique et le goût de l’universel.
Un article de Nicolas Roberti accompagné par Victoria Knowles