Le monde n’a pas connu une telle situation depuis la crise financière de 2008/2009 : un tiers de l’humanité est confinée, l’économie est quasi à l’arrêt. La crise économique semble inévitable, mais en attendant, la planète se repose. Quel est l’impact environnemental ? Que dit cette épidémie de l’environnement ?
À travers le monde, des pays entiers sont placés en confinement – l’Inde est parmi les derniers – afin de limiter la propagation de l’épidémie de COVID-19. Baisse des trafics aérien et routier, événements annulés, fermeture des usines, etc. l’économie mondiale tourne au ralenti, mais a contrario, un phénomène a été observé dans chaque pays : la pollution baisse et la planète inspire un savoureux bol d’air frais loin de la pollution habituelle (selon un rapport de l’Organisation météorologique mondiale, la température mondiale en 2019 a été 1,1°C supérieure aux moyennes de l’ère préindustrielle). Cependant, cette parenthèse agréable à constater n’est-elle pas seulement temporaire ?
Baisse spectaculaire de la pollution : un constat mondial
Alors que des pics de pollutions aux particules très fines* étaient enregistrés en France en début d’année et faisaient rougir les cartes du site Prèv’air – avec une pollution encore plus importante annoncée mardi 22 janvier pour samedi 25 dans tout le quart nord-est, l’hexagone, comme le reste du monde, respire avec moins de difficulté. Le ciel et les eaux s’éclaircissent et la nature semble reprendre ses droits : le port de Cagliari (Sardaigne) accueille un nouveau type de visiteurs : des dauphins ; les poissons se délectent dans les eaux de Venise devenus limpides ; les canards se promènent dans les rues de Paris.
L’image de la carte de l’Est de la Chine avant et pendant l’épidémie n’est plus un secret. Elle a fait le tour du monde. En comparant la période du 1er au 20 janvier 2020 à celle du 10 au 25 février 2020, la Nasa s’est penchée sur les niveaux de dioxyde d’azote, gaz polluant émis notamment par le trafic routier et l’activité industrielle, de l’Empire du Milieu. Une baisse spectaculaire des émissions de gaz a ainsi pu être observée. Ce phénomène, courant à la période du Nouvel An chinois qui entraîne chaque année un ralentissement de l’économie, s’est cependant prolongé au-delà des festivités – de 30 à 50%. Bien que le dioxyde d’azote (NO2) n’ait pas de conséquences directes sur l’effet de serre, il est responsable de nombreuses inflammations respiratoires, maladies cardiaques et pulmonaires.
Chaque année, la pollution atmosphérique entraîne le décès de plus d’un million de personnes en Chine, mais la réduction des gaz à effet de serre estimée à 25 % entre février et mars 2020 change la donne. Selon le membre de GIEC et chercheur en Science Politique François Gemenne, cette baisse « a paradoxalement épargné davantage de vies que l’épidémie du coronavirus en a coûté » (source). On estime le bilan à 3 500 morts en Chine contre 60 000 vies épargnées pour l’année 2020.
Alors que le confinement a fait baisser la pollution atmosphérique en Chine et en Italie, ce phénomène n’a pas encore été constaté en France. Dans un bilan sur l’impact des mesures du confinement du 24 mars 2020, Airparif (association de surveillance de la qualité de l’air) a néanmoins constaté une amélioration de la qualité de l’air « de l’ordre de 20 à 30% dans l’agglomération parisienne, consécutive à une baisse des émissions de plus de 60% pour les oxydes d’azote ». Cette baisse des polluants de l’air s’accompagne d’une baisse du dioxyde de carbone (CO2), gaz à effet de serre, mais l’impact était en revanche peu visible pour les particules (PM10 et PM2,5).
Deuxième cause de mortalité évitable en France après le tabac – 73 000 estimés selon des données de 2013, la pollution est un enjeu majeur de santé publique. Selon une étude de Santé Publique France de 2016, la pollution atmosphérique provoque 48 000 décès prématurés en France. Décès dus davantage à l’exposition continue à un air de qualité médiocre qu’aux pics de pollution.
Quelle situation en Bretagne ?
Même confinés, il arrive à quelques habitants du centre ville de Rennes de sentir l’odeur caractéristique du lisier et de la chimie agricole… Terre d’agriculture, les producteurs bretons sont en pleine période d’épandages, l’ammoniac dégagé se transforme chimiquement en gaz à effet de serre. La Bretagne enregistre d’ailleurs régulièrement un pic de pollution à cette saison. Ajoutons à cela la pollution dite résidentielle, le chauffage.
Comme partout ailleurs, le confinement a entraîné une chute du dioxyde d’azote en raison de la diminution du trafic routier. Les particules en suspension (PM10 et PM2,5), quant à elles, ne diminuent pas en raison des activités de la région. Les concentrations en particules fines PM10 mesurées sur le nord de la Bretagne – incluant les départements des Côtes-d’Armor, du Finistère et de l’IIle-et-Vilaine – dépassent d’ailleurs le seuil d’Information-Recommandation. Comme le souligne l’association Air Breizh (organisme agréé par le ministère chargé de l’Environnement pour la surveillance de la qualité de l’air en Bretagne) dans un article en date de 27 mars 2020, « la diminution des déplacements et activités due aux restrictions ne suffit pas à compenser l’augmentation des émissions particulaires due au chauffage et aux activités agricoles dans notre région ».
Alors que Air Breizh alerte sur ces émissions et que la population est dans l’obligation de rester chez soi, la FNSEA, Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles, autorise ses adhérents à diminuer de moitié la distance des traitements chimiques par rapport aux maisons… Les 5 m en culture basse sont devenus 3 et les 10 m en culture haute 5 (source). Scandalisé de cette décision prise sans concertation, Eaux et rivières de Bretagne a décidé de porté plainte.
Et l’après-Coronavirus ?
Le ralentissement de l’activité humaine a, certes, entraîné une baisse spectaculaire de la production de gaz à effet de serre, mais la crise économique est quasi inévitable. À l’image de la crise financière 2008/2009, l’activité industrielle va reprendre et avec elle, les extractions d’énergies fossiles et les exportations. Dans ce contexte et à l’image de 2008, un rebond des émissions de CO2 dues aux mesures de relance du gouvernement semble inéluctable. Les géants se préparent d’or et déjà à la période post-épidémique : la Banque centrale américaine (Fed) a par exemple réduit ses taux en urgence pour stimuler l’économie, une première justement depuis 2008.
Au-delà de la crise sanitaire que la France vit actuellement, les conséquences du coronavirus révèlent les dysfonctionnements de l’économie actuelle et ses conséquences sanitaires – notamment la destruction massive de la biodiversité et la déforestation, une des principales raisons de l’existence de plus en plus fréquente des épidémies zoonoses. Le lien entre perte de la biodiversité, changement climatique et nouveaux virus ne peut plus être négligé.
La sauvegarde de l’environnement demeure un problème de fond qui ne peut être sacrifié. Selon les experts de l’ONU, l’urgence climatique nécessite une baisse drastique de – 45 % d’ici 2030 par rapport à 2010. Et « une attention sur plusieurs décennies », estime Michael Oppenheimer de l’université de Princeton. Repenser le système semble la solution à privilégier, cependant la COP25 de Madrid tenue en décembre dernier n’est pas allée dans ce sens et a mis en avant une stagnation générale plus qu’une avancée. António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, avait d’ailleurs déclaré sur Twitter à l’issue des négociations : « La communauté internationale a perdu une occasion importante de faire preuve d’une ambition accrue en matière d’atténuation, d’adaptation et de financement pour faire face à la crise climatique ».
Pourtant, à l’heure de la crise du coronavirus, « on a aujourd’hui, d’un point de vue économique, une opportunité exceptionnelle de faire émerger une économie à bas carbone », selon François Gemenne.
«Le changement climatique continue d’avoir des incidences et le nombre de catastrophes d’origine météorologique va croissant. La pandémie de COVID-19 représente un défi supplémentaire. Elle pourrait exacerber les risques multidangers au niveau national. Il est donc essentiel que les gouvernements prêtent attention aux capacités nationales d’alerte précoce et d’observation météorologique malgré cette crise», M. Petteri Taalas, secrétaire général de l’OMM (COMMUNIQUÉ DE PRESSE DU 1ER AVRIL 2020).
* Les particules en suspension (notées « PM » en anglais pour « Particulate matter ») sont les fines particules solides portées par l’eau ou solides et/ou liquides portées par l’air. Elles ont la spécificité de se loger dans les ramifications les plus profondes des voies respiratoires et entraînent 110 000 hospitalisations graves/an en Union européenne. Si les réglementations étaient respectées, elles passeraient à 47 000.
Article de Laurie Musset et Emmanuelle Volage