Cubing Bis de Dominique Jégou

Dimanche 2 mars, Dominique Jégou proposait sa pièce chorégraphique Cubing Bis aux côtés d’Anaïs Dumaine et de participants venus des foyers de vie de Tremblay et de Bazouges, à Bazouges la Pérouse, dans le cadre des 20 ans du village.

« Jeu de manipulations de cubes dans l’espace public pour deux danseurs professionnels, un groupe d’amateurs préparés et des candidats spontanés. Une consigne (au moins) est proposée, qu’il s’agit de tenir jusqu’à ce que pointe l’ennui. L’action est, à ce moment-là, de faire “ce qui vous passe par la tête, instinctivement”, avant d’expérimenter une nouvelle fois la même consigne, ou encore une autre, proposée ou inventée, ainsi de suite. » (Dominique Jégou)

Le public pénètre dans l’espace de représentation. Au centre de la salle des fêtes de Bazouges la Pérouse, un tapis rouge occupe les trois quarts de la surface au sol. Y sont disposées des chaises, parfaitement rangées pour accueillir des spectateurs. Alors que ces derniers n’ont pas encore tous trouvé une place, une musique indus (Pan Sonic) séquencée, répétitive et oppressante, résonne ; le morceau Tugboat tournera en boucle jusqu’à la fin du spectacle. Le brouhaha qui précède habituellement les spectacles se prolonge et le public ne perçoit pas tout de suite que la représentation a déjà commencé.

De prime abord, les deux danseurs professionnels ne se distinguent ni par leurs vêtements ni par leur gestuelle. Le premier danseur, Dominique Jégou, ouvre la chorégraphie en saisissant l’une des chaises du dernier rang qu’il fait glisser comme un déambulateur. Il va contourner le tapis, suivi par les participants amateurs et Anaïs Dumaine qui se saisissent chacun d’une chaise. Peu à peu, l’espace où le public prenait place se voit dépourvu de ses chaises.

cubing bis, dominique jégou, photos, Marion Le GuellecEntrent en scène une trentaine de cubes d’environ 50 centimètres de côté, bleus, jaunes ou verts. Ils sont glissés, regroupés, séparés, devant un public qui ne connaîtra jamais les règles du jeu. Ces règles semblent changer tout au long de la pièce. Les participants à la chorégraphie, par différentes stratégies, vont faire et défaire l’espace et la danse en modulant sans cesse ses limites. Ils induiront un sentiment de désorientation physique du public régulièrement déplacé. Certains, entraînés par les mouvements du groupe et l’absence de frontière claire entre la scène et sa périphérie s’intègreront spontanément au jeu, tout particulièrement les enfants.cubing bis, dominique jégou, photos, Marion Le Guellec

Les danseurs professionnels, Dominique Jégou et Anaïs Dumaine, brouillent les pistes du schéma antagoniste entre leur duo et le groupe en s’assimilant régulièrement au ballet des participants avant de recouvrer une certaine autonomie en reprenant le cours de leur propre chorégraphie. Celle-ci se complexifie à mesure que l’un reprend le geste de l’autre et l’enrichit d’une construction nouvelle. Leur danse, exempte de toute ostentation, rappelle à bien des égards les danses tribales rituelles, danses tribales africaines ou les pow wow amérindiens. Il s’agit avant tout de disposer son corps dans le temps et l’espace et non de chercher à exprimer sa subjectivité.

Les participants s’affairent silencieusement autour de leur cube ; chacun obéissant à une consigne mystérieuse ou à sa fantaisie. Ils regroupent les cubes par tas de trois ou quatre, élèvent parfois des colonnes éphémères avant de déconstruire leurs artefacts. Tous concourent ainsi à ériger une chorégraphie organique, évoquant l’activité d’une ruche ou une fourmilière. De plus, le rythme est constant et lent et les trajectoires circulaires sont récurrentes dans le ballet du groupe. Aussi, les cubes figurent autant d’atomes ou de planètes d’un ordre micro- ou macro-cosmique.

IMG_8620

Le spectateur peut chercher à comprendre la règle qui domine à un moment, mais une autre prendra vite sa place, puis une autre encore. Il finira par perdre tout repère. Surtout que le spectacle paraît recommencer du début en son milieu. Et de traverser un état quasi dépressif, porté par la musique hypnotique de Pan Sonic alourdie d’une basse omniprésente et bientôt d’insistants aboiements*.

IMG_8712

Pourtant, la danse persiste, résiste dans l’obstination de ses relances successives. Comme un ouvrage que l’on abandonne un temps ou que l’on défait pour mieux le reprendre avec de nouvelles idées et une nouvelle énergie dans un rythme qui s’accélère insensiblement pour finir dans une tornade reconstituante.

IMG_8734

Photos signées Marion Le Guellec

IMG_8742* Pour l’occasion, Tugboat de Pan Sonic est remixé par Dominique Jégou avec un enregistrement qu’avait effectué Christian Boltanski pour la Biennale de Venise. Des aboiements de chiens errants isolés sur une île au large de Venise de 2003, que l’on entend même si on ne débarque pas, évoquent la mise à l’écart des réprouvés de tout ordre. Le plasticien dissémina une dizaine de haut-parleurs invisibles autour de la Biennale, de manière à réintroduire du réel dans cet univers de l’art trop policé. Clin d’œil de Dominique Jégou aux participants amateurs de cette représentation, résidents de centres pour handicapés.

+d’info : http://www.lesdansesdedom.fr/

Entendre les chiens de Christian Boltanski, édition Buchhandlung Walther König

à noter dans vos tablettes: Cubing Bis sera dansée les 19 et 20 juillet prochain à Margate (Kent, UK) dans le cadre de l’exposition « Mondrian and color » (expo sur Mondrian, + d’info ici) au Turner Contemporary

 

Article précédentLa Traversée de Lenaïk Gouedard, les luttes sociales de Fougères…
Article suivantQuizz artistique du week-end, Meret Oppenheim

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici