Culture Club a posé ses valises dans l’hôtel Pasteur au mois d’octobre 2016. Un mois dominé notamment par la 5e Biennale d’art contemporain de Rennes. TVR, Canal B et Unidivers – 3 regards culturels en 1 pour le même prix (gratuit). Culture Club, l’essayer c’est l’adopter !
Au sommaire : Pascal Bresson auteur d’une BD sur l’affaire Bugaled Breizh – L’Hôtel à projet Pasteur avec l’architecte Sophie Ricard – Le festival Court Métrange – L’ombre de Venceslao à l’opéra de Rennes – Courtepointe de Decouflé au TNB – La Biennale d’art contemporain de Rennes Incorporated.
Remarques sur la Biennale d’art contemporain de Rennes 2016, organisée par les Ateliers de Rennes, par le curateur François Piron, financée par la fondation privée Art Norac*.
Beaucoup de Rennais ne comprennent pas le visuel d’Incorporated qui brille par son manque de contraste et un titre difficilement prononçable par la majorité des Français peu portés sur les langues étrangères (hélas !). Une affiche qui conviendrait sans doute mieux à une campagne de recensement de la population ou d’invitation à s’engager dans l’armée… Une affiche qui dit ouvertement à une grande partie des Rennais : « passe ton chemin, cet événement n’est pas pour toi ».
Incorporated structure des lectures de notre société à travers le prisme de l’économie. Bien que non-cité, le traitement du commissaire d’exposition François Piron s’inspire en partie des visions de l’avenir décrites par l’écrivain Maurice G. Dantec, l’auteur notamment de Cosmos incorporated. Malheureusement, l’état final manque autant d’audace que de lisibilité faute de réelles clés d’interprétation.
Qui plus est et par exemple, au Frac Bretagne, une série vidéo de Melanie Gilligan imagine les relations sociales futures autour du patch, une invention techno-économique censée optimiser la gestion du parc humain. Non dénuée d’un réel intérêt, cette série accessible gratuitement sur le web ne gagne en rien à être montée en dispositif dans le cadre d’une exposition (par contre, toujours au Frac, l’installation d’Anna Oppermann, artiste disparue en 1996, est remarquable – voire la liste des artistes exposés plus bas*).
Alors que Rennes connait sa 5e Biennale d’art, l’événement n’est pas conçue pour les Rennais et peine à s’incorporer au paysage local. A ce sujet, dénonçons un fantasme auto-réalisateur en vogue : il suffirait – avec beaucoup d’argent (plus d’un million d’euros dépensés par Bruno Caron), dix structures institutionnelles (voir la liste plus bas*), un lieu singulier (la Halle de la Courrouze) et l’implication de quelques journaux nationaux – de mettre en place une biennale dans une ville pour qu’elle connaisse nécessairement le succès. Non : ce fantasme achoppe le réel qui ne fonctionne pas ainsi. Développer une pareille manifestation dans une ville de province exige une relation harmonieuse avec la population locale.
Par ailleurs, on saura gré à François Piron de ne pas verser dans l’actuelle tendance de « l’art-contemporain-loisirs ». De fait, quand l’art, conçu comme perspective radicale d’exploration parallèle du réel, commence à faire des clins d’œil à l’industrie de l’entertainment, il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Dismaland. Certes. Toutefois, il convient avant tout de bien définir les ordres de priorité et les capacités de réception des habitants d’un territoire spécifique afin de parvenir à générer avec eux une relation lisible et bienveillante qui débouche sur une appropriation. Le meilleur service à rendre à la Biennale serait que les Rennais en deviennent les ambassadeurs.
Tandis que la première Biennale en 2008 avait réussi, avec peu de moyens, à créer un ensemble intelligent, prospectif et ludique en phase avec le public, le risque est que la Biennale 2016 soit peu fréquentée aussi bien par les Rennais que les touristes. Est-ce l’objectif ?
Regardez la vidéo sur TVRennes ici
* Présentation par les Ateliers de Rennes
« Incorporated! est le titre de l’édition 2016 des Ateliers de Rennes, et constitue, davantage qu’un thème, un décor au sein duquel prend place une exposition.
Incorporated! propose une image arrêtée d’un monde où tout est circulation, en lignes brisées : captation et dispersion des attentions, état d’alerte permanent et confusion des sentiments. Un monde régi par l’économie, par les crises instituées en système, par les flux d’information, et dont les contours deviennent sans cesse plus flous : technologies et relations, consommateurs et produits y deviennent interchangeables, et les frontières qui séparaient l’individu et le collectif, le privé et le public, le singulier et le multiple, se sont depuis longtemps dissoutes.
Incorporated! est une tentative d’évocation, sous la forme d’une exposition, des sentiments provoqués par notre incorporation au monde économique, reflétés dans des œuvres d’art. Les artistes invités pour Incorporated!, qui pour nombre d’entre eux réalisent pour l’occasion une œuvre nouvelle, ne traitent pas directement d’économie, mais des réactions, des affects, des tensions qui résultent de cette incorporation, de la mobilisation physique et psychique des êtres par des systèmes abstraits. Ces œuvres, chacune à leur manière, constituent des organisations qui résistent ou s’infiltrent ou s’adaptent à ces systèmes, et produisent des contre-pouvoirs, des redistributions de l’attention, des temps d’arrêt et des plages de silence. »
François Piron
Les artistes présentés : Ed Atkins, Babi Badalov, Ismaïl Bahri, Eva Barto, Camille Blatrix, Maurice Blaussyld, Jean-Alain Corre, Trisha Donnelly, David Douard, Michaela Eichwald, Jana Euler, Jean-Pascal Flavien, Aaron Flint Jamison, Michel François, Melanie Gilligan, Karolina Krasouli, Laura Lamiel, Klaus Lutz, Mark Manders, Mélanie Matranga, Anna Oppermann, Jean-Marie Perdrix, Jorge Queiroz, Anne-Marie Schneider, Liv Schulman, Lucy Skaer, Thomas Teurlai, Darielle Tillon, Anne-Mie van Kerckhoven.
Un parcours densifié
François Piron, commissaire de cette 5e édition, a souhaité développer un projet artistique d’envergure, sous la forme d’un parcours dense d’expositions. Celles-ci, de dimensions variables, sont définies en complicité et partenariat avec les lieux et acteurs invités à participer.
À Rennes, dix structures seront ainsi associées : la Halle de la Courrouze (inaugurée lors de l’édition 2014), le Musée des beaux-arts de Rennes, le Frac Bretagne ; auxquels s’ajoutent La Criée centre d’art contemporain, la Galerie Art et Essai, Le Praticable, le Musée de la Danse et l’EESAB Rennes (autour d’un projet commun), 40mcube et Lendroit éditions.
Le commissaire a également souhaité poursuivre le projet d’extension de la biennale en région (initié lors de l’édition 2014), avec des expositions proposées à des artistes présentés à Rennes. À Passerelle Centre d’art contemporain (Brest) et Le Quartier Centre d’art contemporain (Quimper) – partenaires de la précédente édition – s’ajoute, pour cette édition 2016, l’École des Beaux-arts Émile Daubé / Galerie Raymond Hains (Saint-Brieuc).
« Assurer le commissariat des Ateliers de Rennes est une occasion unique de travailler étroitement avec un grand nombre d’artistes dont j’aime le travail, en relation avec le contexte de la ville de Rennes que je suis heureux de retrouver après y avoir vécu six ans.
L’échelle d’une biennale, le parcours dans la ville qu’elle dessine, la collaboration avec différentes institutions, l’interaction avec un très large public, amateur ou spécialisé, constituent des enjeux auxquels je réfléchis avec attention. Une biennale est une accélération éphémère des intensités d’une ville, d’une région, mais c’est aussi l’occasion de déployer à grande échelle une certaine manière de regarder l’art, et de le montrer.
Je ne suis pas intéressé à utiliser les artistes et les œuvres pour les mettre au service d’un thème ; ma manière de travailler se construit à partir des œuvres en mêlant des artistes de différentes générations et lignes esthétiques, pour contrecarrer les effets de mode, les catégorisations trop rapides.
Je m’intéresse à l’art en tant que geste humain, en tant que rapport au réel, et c’est selon cette perspective que je souhaite interroger la manière dont les artistes réagissent aujourd’hui aux données abstraites (économiques, sociales, politiques) qui nous environnent et dirigent nos mouvements. Quel visage, quels contours peut-on donner à ces forces, à ces valeurs difficiles à appréhender qui génèrent souvent un sentiment d’impuissance ? Comment diriger aujourd’hui notre attention, sollicitée de toute part, qui semble être la matière première de l’économie de demain ?
L’attention est à la fois ce que nous essayons de préserver, de retenir, mais c’est aussi une force active que nous développons pour établir un rapport au monde. Associer cette notion d’attention, surface sensible et réactive, aux formes de l’art contemporain nécessite d’associer l’esthétique à l’éthique. Les émotions et les figurations de l’humain y tiennent une large place.
Les artistes, je crois, construisent des éléments de réponse à ces questions. »
François Piron
Eléments biographiques
Né en 1972, François Piron est commissaire d’expositions indépendant, critique d’art et éditeur. Diplômé de l’Université de Haute-Bretagne (Rennes 2), il est responsable du post-diplôme de l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Lyon, et co-fondateur de l’espace d’art indépendant castillo/corrales à Paris. De 2000 à 2005, il a dirigé les Laboratoires d’Aubervilliers.
Il a notamment réalisé les expositions Intouchable, l’idéal transparence, Villa Arson, Nice, 2006 ; Société Anonyme, Le Plateau et Kadist Art Foundation, Paris, 2007-2008 ; Where the Lions are, Para/Site Art Centre, Hong Kong, 2008 ; Habiter poétiquement le monde, LAM, Villeneuve d’Ascq, 2010 ; Locus Solus, Impressions de Raymond Roussel, Musée Reina Sofia, Madrid et Fondation Serralves, Porto, 2011-2012 ; Nouvelles Impressions de Raymond Roussel, Palais de Tokyo, 2013 ; The President of the Republic of Dreams, Galerie Buchholz, Berlin, 2013 ; Miroirs noirs, Galerie Frank Elbaz, Paris, 2013 ; In These Great Times, Kunstnernes Hus, Oslo, 2014.
Il a participé à de nombreux ouvrages collectifs, notamment au catalogue de la 10e Biennale de Lyon, 2009, du pavillon espagnol de la Biennale de Venise 2011 et du pavillon néerlandais de la Biennale de Venise 2013. Il a récemment contribué aux ouvrages Thomas Hirschhorn, Critical Laboratory, MIT Press, 2013, et Michel Leiris et Cie, Gallimard-Centre Pompidou, 2015. Il prépare une monographie consacrée aux écrits de Guy de Cointet à paraître fin 2015.