Le film biopic DALIDA réalisé par Lisa Azuelos présente un spectacle contrasté. Plus de deux heures d’images et de musiques entre malaise et nostalgie. Une plongée – peu profonde – dans l’intimité douloureuse d’une artiste habituée aux paillettes.
Curieux de constater à quel point Dalida est revenue à la mode… Sortie d’un biopic, spectacle à base d’hologrammes où elle est accompagnée de Claude François et Mike Brandt, difficile de ne pas être dérouté par ce come-back aussi inexplicable que tonitruant. À ne rien vous cacher, en 1975, avoir 20 ans et aimer Dalida relevait du surréalisme le plus absolu. Elle était la chanteuse à succès des parents, pire, des grands-mères, et déjà passablement ringardisée. Ses tentatives de maintien au top prêtaient presque à rire. Dalida faisant du disco paraissait aussi improbable que Nana Mouskouri se lançant dans une carrière de heavy métal. Et pourtant, 30 ans après sa mort, le succès est encore là, pas une génération qui ne connaisse d’extraits de ses chansons, de Bambino à Gigi in paradisco.
Le film de Lisa Azuelos, présenté comme un biopic se rapprocherait plutôt d’un long métrage de fiction. Pas assez d’images d’époque, des pans entiers de sa vie laissés de côté. Par ailleurs, l’alternance entre succès à la scène et déboires amoureux nuit à l’intérêt de cette production, qui pourtant ne manque pas d’atouts. Le rythme imprimé par Luisa Azuelos, à base de flash-back et de retour au présent fait partiellement oublier les deux longues heures, et quatre minutes que dure le film, l’ensemble reste assez captivant. On ne saurait être indifférent à la réalité du drame personnel que fut la vie de la chanteuse, tout cela est rendu sans trop tomber dans le mélo sirupeux et larmoyant et à n’en pas douter, la remarquable interprétation de l’actrice Sveva Alviti est une véritable colonne vertébrale pour cet opus.
Elle est assistée d’un acteur assez convaincant dans le rôle du frère de Dalida, en la personne de Riccardo Scamarcio dont la transformation progressive vers le Orlando que tous connaissent est stupéfiante. La petite Elena Rapisarda, dans le rôle de Dalida enfant est également digne d’éloges. Si Jean-Paul Rouve n’est pas totalement convaincant dans le rôle de Lucien Morisse, premier mari de Dalida, l’intervention de Vincent Pérez et Patrick Timsit, respectivement Eddie Barclay, producteur et Bruno Coquatrix, propriétaire de l’Olympia, s’avère tout à fait réjouissante. Nicolas Duvauchelle, en ténébreux et pathétique Richard Chanfray, alias « le comte de Saint-Germain » est également digne d’être encensé. Notre petit coup de cœur ira vers un outsider de qualité en la personne de Alessandro Borghi, plus que convainquant en Luigi Tenco, chanteur italien amant de Dalida dont la mort, des années plus tard, reste encore objet de controverses. Difficile de se tirer une balle dans la tempe gauche alors qu’on est droitier. Détail intéressant, le chanteur avait adopté le pseudonyme de Gigi Mai. Gigi, cela vous dit quelque chose sans doute ?
Reste ensuite à se poser la question de la réalité de nos sentiments envers Dalida. Pour le public largement septuagénaire qui s’était rendu cet après-midi-là au cinéma, pas de doute, les aînés revenaient communier avec une chanteuse que jamais ils n’ont cessé d’aduler. Pour les quadras et un peu plus, difficile d’y voir clair tant l’image de Dalida reste irrémédiablement liée au monde de la nuit, à la fête au sens large du terme, et véhicule pour cette génération une image déformée, presque satyrique de la chanteuse. Qui ne s’est écrié en imitant son léger strabisme et son accent italien : « hé, Gigi, c’est toi là-bas dans le noir ? »
C’est vrai, notre mémoire a très souvent dévoyé l’image de l’artiste. La communauté gay, qui a érigé Dalida en véritable icône et utilise sa musique dans ses soirées festives n’est pas totalement innocente non plus, pas un show transformiste où la star ne soit imitée quand elle n’est pas tournée en ridicule. En cela, le film de Lisa Azuelos réveille en nous un sentiment qui ressemble furieusement à de la culpabilité. Pourquoi ? Pour une raison simple, c’est que chaque fois qu’il nous est donné d’entendre un extrait de chanson, et ils sont nombreux dans le film, plus question de rire, on ne peut s’empêcher d’être touché par la beauté triste de certains textes et par l’énergie que Dalida mettait dans tout ce qu’elle entreprenait. Bien sûr la chanson « Il venait d’avoir 18 ans », écrite par Pascal Sevran n’a rien perdu de sa beauté, mais lorsque dans les dernières minutes c’est une autre chanson « Pour ne pas vivre seul » qui nous est offerte, alors l’émotion est présente et violente quelle que soit la génération. Interrogés à l’issue de la projection, des jeunes gens autour de 20 ans nous ont avoué avoir découvert toutes ces facettes de l’intimité d’une star qui n’est pas de leur époque. Ils ont écouté avec surprise beaucoup de chansons dont ils n’avaient jamais entendu parler et qui leur ont semblé émouvantes et plus profondes qu’ils ne l’auraient cru.
Librement inspiré d’un livre écrit, ce n’est pas un hasard, par un certain Orlando Gigliotti, le film est soutenu par de nombreux producteurs dont… Orlando productions. De toute évidence le grand frère n’a pas laissé s’apaiser la vague Dalida et bien des années après, continue à faire de la chanteuse un produit « bankable ». Chacun aura là-dessus son propre avis, il n’en reste pas moins en fin de compte, que ravis ou agacés, beaucoup ressentiront un réel plaisir à retrouver pour deux heures d’intimité, une artiste qui a vendu 170 millions de disques, auxquels il convient d’ajouter 30 millions d’autres depuis sa mort. Ce ne peut pas être pour rien. En tout cas, chantonner avec elle pendant ces deux heures de pénombre complice, pour de bonnes ou de mauvaises raisons nous aura fait vivre de touchants moments d’un bonheur nostalgique.