Saxophoniste de renom et acteur majeur de la scène rock rennaise du début des années 1980, Daniel Paboeuf revient sur le devant de la scène avec la sortie du troisième album de DPU intitulé Golden Years. Rencontre avec l’homme qui a collaboré avec des figures de la chanson française comme Étienne Daho ou, plus récemment, Dominique A.
Comment la musique et le saxophone en particulier sont-ils apparus dans votre vie ?
Daniel Paboeuf : Ça remonte à pas mal de temps. Disons que le musicien de la famille était un de mes frères. J’étais très proche de lui, nous avions les mêmes amis et faisions les mêmes choses. Quand il a été inscrit au conservatoire, je l’ai suivi tout naturellement et je ne savais pas encore dans quoi je m’engageais. Au début, je voulais être violoniste, car j’avais une image assez romantique du violon, mais comme j’avais 12 ans, c’était beaucoup trop tard pour faire du violon donc on m’a présenté une liste d’instruments au conservatoire et j’ai pointé du doigt le saxophone. Pendant trois ans, le saxophone a plutôt été une punition au conservatoire. Puis, j’ai eu un changement de professeur qui est devenu un peu un maître et les choses ont basculé. Je trouve que cet instrument a de particulier un timbre et un engagement physique très important qui peut se rapprocher de la voix.
Quels artistes vous ont influencé pour devenir saxophiniste ?
Daniel Paboeuf : Mes influences sont multiples et ont évolué au fil du temps. Quand j’avais une vingtaine d’années, j’ai découvert le jazz, en tant que saxophoniste, c’est inévitable. John Coltrane, Albert Ayler, Ornette Coleman m’ont beaucoup inspiré. Après il y a eu la vague punk qui m’a emporté, David Bowie, la vague new-yorkaise avec The Velvet Underground. Puis les groupes de la new wave avec Teenage Jesus and the Jerks, Television et Patti Smith.12
Vous avez été un acteur de l’explosion de la scène rennaise entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, comment se porte-t-elle aujourd’hui ?
Daniel Paboeuf : Le succès de la scène rennaise, je l’ai vécu assez innocemment comme un jeune qui a entre 18 et 25 ans. Je n’avais pas l’impression de vivre quelque chose d’important. Nous faisions des choses et nous montions des groupes éphémères. Évidemment, il y a eu mon implication dans Marquis de Sade qui a été un tremplin pour moi, elle m’a apporté une certaine notoriété et m’a aussi permis de collaborer avec d’autres musiciens. Je suis revenu vivre à Rennes en 2004 et je trouve que la scène rennaise est toujours aussi vivace à travers l’électro, l’indé, la folk et il y a toujours autant de croisements entre les groupes. Aujourd’hui, le batteur d’un projet peut se retrouver à être le chanteur d’un autre projet. La scène rennaise est quand même moins exposée médiatiquement qu’à l’époque. La grosse différence c’est surtout qu’à la fin des années 1970 et au début des années 1980, il n’y avait pas vraiment d’environnement professionnel, il y avait seulement quelques personnes comme Hervé Bordier, et Jean-Louis Brossard, co-fondateurs des Transmusicales de Rennes, qui commençaient à accompagner les groupes. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus cadré, il y a un environnement professionnel.
Vous avez collaboré avec de grands noms de la chanson française, Étienne Daho, Dominique A, Niagara pour ne citer qu’eux, qu’est-ce que vous retenez de ces rencontres ?
Daniel Paboeuf : Chaque collaboration a été un peu différente. Étienne Daho produisait le disque de Françoise Hardy et elle m’a demandé de jouer le saxophone sur un titre, donc ce n’était pas une grosse collaboration. Par contre, Étienne Daho et Niagara étaient des Rennais à l’époque donc ils étaient des voisins et des amis, donc ça s’est fait très naturellement. Il y a eu leur succès mais à l’époque ce n’était pas ça l’enjeu. Les artistes faisaient des choses pour faire des choses. Ma rencontre avec Dominique A est beaucoup plus récente. J’ai commencé à collaborer avec lui en 2004. Avant cette rencontre, j’ai vécu une longue période « sans musique », car j’étais un peu fatigué du showbiz. À partir de 2004, je suis reparti en tournée avec Dominique A, avec la sortie de plusieurs disques, jusqu’en 2012. J’ai rencontré une personne très forte humainement qui laisse une grande liberté aux gens et qui sait ce qu’il veut, surtout ce qu’il ne veut pas. Avec Dominique A, les répétitions sont plutôt courtes, il nous laisse proposer des choses et puis il tranche, c’est très facile de travailler avec lui.
Comment s’est faite l’élaboration du projet Daniel Paboeuf Unity (DPU) ?
Daniel Paboeuf : Jusqu’en 1998, j’ai mis mes projets musicaux de côté, je ne faisais plus que quelques participations avec un groupe comme Casse-Pipe et les projets de mon frère Christian Paboeuf. À partir de 1998, j’ai recommencé à jouer. J’ai monté un duo avec le clarinettiste Michel Aumont, j’ai joué avec le groupe Bed. J’avais toujours en tête l’idée de remonter un projet personnel. Puis il y a eu la rencontre avec Dominique A en 2004 qui a fait que j’ai été embarqué dans des centaines de concerts, en plus de la promotion et des enregistrements, donc j’avais peu de temps pour remonter un projet. Et en 2007, quand il y a eu une pause dans les tournées avec Dominique A, j’ai saisi l’opportunité pour lancer mon projet. Je savais que j’allais le faire sous le nom Daniel Paboeuf Unity, car dans mes précédents groupes j’étais leader frontman, et il est arrivé que le groupe explose et que je me retrouve sans rien. Je voulais donc assumer ce groupe sous mon nom avec tout ce que ça comportait, c’est-à-dire l’organisation et la direction artistique.
Qui sont les artistes qui vous accompagnent dans ce groupe ?
Daniel Paboeuf : Dans le groupe, il n’y a pas eu beaucoup de changements de musiciens. D’ailleurs, le « Unity » c’était pour montrer mon ouverture à d’autres musiciens, surtout avec ceux où j’ai des accroches humaines et artistiques. Au départ, il y avait un batteur qui s’appelait Régïs Boulard. Dans le second album, nous avons changé de batteur, Nicolas Courret est arrivé à la batterie et au laptop, c’est-à-dire à l’ordinateur et aux différentes machines. Hélène Le Corre alias Mistress Bomb H, qui a une carrière solo, m’accompagne aux samples et aux choeurs. David Euverte est au clavier, j’avais déjà joué avec lui dans Casse-Pipe. Ce sont des artistes que je connaissais tous plus ou moins. Avec Mistress Bomb H, nous avons commencé à travailler ensemble en 2005 et je savais que c’était avec elle que je voulais monter le projet, tout comme David Euverte. J’ai rencontré Nicolas Courret, car c’était le batteur de Laetitia Shériff, puis il joue aussi avec Thomas Poli, notre ingénieur du son. Il a exactement le rôle du batteur que je voulais, c’est-à-dire un jeu plus rock que Régïs Boulard et capable de jouer avec des ordinateurs, des séquences et des samples.
DPU a un univers qui lui est propre, Arte le définit comme « un mélange de free jazz, de variété pop et d’électro », qu’en pensez-vous ?
Daniel Paboeuf : Je pense qu’il y a un contresens qui se situe sur mon parcours personnel depuis une quarantaine d’années. Effectivement, j’ai travaillé avec des artistes de variétés comme Françoise Hardy, j’avais aussi fait un duo qui s’appelait Anche Doo Too Cool qui pouvait flirter avec du free jazz et de la musique improvisée. Sur tout mon parcours, j’ai eu un chemin assez éclectique, c’est pour ça que le journaliste d’Arte a résumé cela ainsi mais ma musique n’est pas le reflet de ce parcours même s’il y a différentes influences. Au contraire, j’essaye de plus en plus de ramener un fond homogène.
Ce 3e album intitulé Golden Years est une référence à David Bowie…
Daniel Paboeuf : Tout le monde y pense et compare ma voix au style de David Bowie (rires), mais je n’y avais pas du tout pensé. Mais je dois avouer que l’association de Golden Years et ma façon de chanter est immanquable. Au départ l’album s’appelait Golden Age, ça aurait peut-être été moins référencé à David Bowie. Au final, j’ai changé, car ça me paraissait plus juste d’un point de vue sémantique, parce que c’était une référence à ma petite enfance dans la campagne morbihannaise de Kerjégo. Mais maintenant tout le monde me renvoie à David Bowie et je ne peux pas dire non…
…avec des titres en français et en anglais, qui évoquent le style new-wave de l’époque avec un zeste d’Arcade Fire aussi non ?
Daniel Paboeuf : Dans cet album de quatre chansons, il y a trois titres en anglais et un titre en français, puis quatre instrumentaux. Il n’y a pas de réflexion chez moi concernant l’emploi de l’anglais ou du français, je pense que ça s’impose. Le titre est en français, car le texte s’est imposé en français. Pour les prochaines chansons que j’écrirais, j’essaierai de penser à cet état d’esprit. Je ne suis pas rentré en studio en me disant que j’allais faire référence au style new-wave du début des années 1980. Mais même Thomas Poli, l’ingénieur du son, m’a dit « la couleur que nous prenons en ce moment se référence aux eighties ». Je n’en avais pas conscience, et après je me suis senti légitime de faire référence à ses années là dans la mesure où j’en étais un des acteurs. Donc j’assume la référence aux eighties. Et la référence à Arcade Fire je suis tout à fait d’accord. Dans leur précédent album, il y avait un instrumental très épique et lyrique que j’adore et qui peut faire penser à l’univers de DPU c’est vrai.
Quelles évolutions avez-vous apportées depuis l’enregistrement de votre premier album éponyme sorti en 2008 ?
Daniel Paboeuf : Le premier album éponyme était assez hétérogène, j’avais accumulé plein de matériau musical que j’ai dispersé pour mon inspiration, dans des studios différents et des invités. Dans le second album, Ce qu’il en reste, sorti en 2015, j’ai voulu ramasser un peu les choses, sans invités, dans un studio unique, avec deux titres où il y avait un peu de chant et je pense que nous retrouvons plus une unité de production de son. Ce troisième album Golden Years est beaucoup plus ramassé en production et en son. La différence c’est que j’ai toujours eu le goût de chanter dans tous les projets et j’avais envie de faire les chansons, c’est-à-dire des mélodies qui nous entraînent à écrire des textes sur l’intime et le personnel assumé. Dans chacun des albums, DPU s’adresse à un public différent, je pense. Le premier album partait un peu dans tous les sens, il pouvait intéresser des gens en bordure de jazz ou de l’expérimentation. Le deuxième album était un peu plus ramassé sur un champ électro-rock. Le troisième album a un côté plus pop-rock avec un accès plus facile pour les gens, car il présente plus de légèreté et de lumière.
Samedi, Daniel Paboeuf Unity est en concert aux Ateliers du Vent à Rennes, comment va s’organiser la soirée ?
Daniel Paboeuf : À 19h c’est l’ouverture des portes pour le vernissage de l’exposition de Eric Mahé qui a réalisé notre pochette. À 20h30, il y a un concert de François Audrain, qui a déjà sorti trois albums chez Tôt ou tard et nous allons sortir un quatrième album début septembre sur le même label Il Monstro, donc c’était assez naturel de l’inviter. À 21h45, DPU entre sur scène avec un concert d’une heure et la soirée se termine avec un Djset de Racaille La Rouge. Nous espérons voir 150 à 200 personnes ça serait bien même si nous allons être concurrencés par le Festival Treize.
Après Rennes, vous avez d’autres concerts de prévus ?
Daniel Paboeuf : vendredi nous jouons à Pontivy au Café des Anges. Le 18 avril, nous serons à Paris à l’Espace B. Puis nous attendons les dates pour notre concert à l’Astrolabe d’Orléans ainsi qu’à la Sirène de la Rochelle. En dehors de DPU, j’ai aussi un projet solo. Je rejoue également avec Marquis de Sade, où une demi-douzaine de concerts nous attendent, nous serons notamment au Festival des Vieilles Charrues cet été, juste avant Depeche Mode.