Dans les âmes et les urnes de l’extrême droite avec Vincent Jarousseau

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Photo prise par Arnaud Jaegers (https://unsplash.com/fr/@ajaegers)

En rencontrant pendant dix ans des électeurs du Rassemblement National, Vincent Jarousseau dessine, dans son ouvrage Dans les âmes et dans les urnes publié aux éditions Arênes, la toile de fond d’un pays profondément divisé dont les composantes s’ignorent. Glaçant et désespérant.

En 2014, un seul pays de l’Union Européenne est dirigé par l’extrême droite. Dix ans plus tard, ce mouvement politique occupe partout l’espace, de l’Italie de Giorgia Meloni à Trump de l’autre côté de l’Atlantique. Dix ans, c’est la période pendant laquelle Vincent Jarousseau, photographe et documentaliste, notamment pour le journal Libération, a côtoyé les électeurs du Front National devenu Rassemblement National (RN). Écouter ces citoyens qui s’estiment peu représentés pour tenter de « relier les votes et les vies » n’est pas une démarche inédite. Jerôme Fourquet notamment et des équipes de sociologues ont décrit dans La France sous nos yeux ou La France d’après (éditions du Seuil), les processus structurants menant à ce vote radical. Jarousseau part plus simplement, avec son appareil photo et son stylo, rencontrer et écouter ces électeurs. Le Front National s’étant implanté dans le paysage politique depuis 1995 par le biais des élections municipales, il choisit de se rendre d’abord dans trois communes dirigées par un maire d’extrême droite : Hénin-Beaumont, dans le Pas de Calais, laboratoire de Marine Le Pen et de son mouvement politique, Hayange, ville sinistrée de l’Est de la France à la suite de la fermeture des usines sidérurgiques, Beaucaire, dans le sud est de la France, communes auxquelles vont s’ajouter Denain et la région de l’Avesnois, territoires parmi les plus pauvres de France.

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De la Fête du cochon à des balades dans les bars, le journaliste va écouter les paroles de Tanguy, Aline, Guillaume et d’autres dont il retranscrit en peu de mots, les propos. En les écoutant, en écrivant leurs conditions de vie, se profile la description d’une classe sociale, qui ne se définit pas et ne se perçoit pas comme telle, une classe sociale qui se fabrique à son insu par le vote en faveur du RN, de Marine (adorée des femmes et appelée par son prénom systématiquement) ou de Jordan (« il est beau », star auprès des jeunes via les réseaux sociaux), personnages politiques qui ont su habilement se constituer un lien de proximité.

Le RN propose ainsi un semblant d’appartenance, mais plus que tout une dernière bouée de sauvetage : « on n’a jamais essayé, alors pourquoi pas ? ». À l’exception d’une jeune fille élevée dans une famille idéologiquement raciste et identitaire, peu d’idéologie, de croyances avérées. Faurisson ou Camus ne sont pas cités mais leurs théories transparaissent en filigranes et de manière subtile par ce qui est une autre constance de cet électorat, la méfiance à l’égard des moyens d’information traditionnels. Les réseaux sociaux, Cyril Hanouna « qui ne fait pas de politique », sont préférés aux journalistes accrédités. Ils fournissent de manière dissimulée une trame idéologique pernicieuse, car habilement dissimulée. Les femmes sont nombreuses dans ces rencontres. Elles expriment une méfiance ou un rejet à l’égard des étrangers pour des raisons essentiellement économiques. Tous les témoignages disent un « sentiment de déclin social aux multiples facteurs : la perte de valeur sur le marché du travail ; la concurrence de la main d’oeuvre étrangère ; le sentiment de vivre moins bien que ses parents et la crainte que ce soit encore pire pour ses enfants ».

Souvent les interlocuteurs du reporter sont en échec scolaire et occupent ses emplois qualifiés « d’invisibles », ces nouveaux métiers d’aide à la personne, d’aide sociale, d’employés « moyens », ces travaux indispensables et mal rémunérés que Jérôme Fourquet recensait sur les ronds points des Gilets Jaunes.

On regrettera que Jarousseau, qui démontre le mépris de classe exprimé dans des petites phrases d’Emmanuel Macron, ne s’attarde pas plus sur le sentiment d’abandon de la gauche que ressentent ces « invisibles ». Résonnent tel un symbole fort, les propos terribles de Sandrine Rousseau définissant le travail comme une « valeur de droite » ou encore la proposition citée du candidat présidentiel Benoit Hamon voulant instaurer un revenu minimum universel, favorable a priori aux classes populaires. Ces mots sont totalement incompris de ces ouvriers ou employés qui font du travail un axe fort de leurs vies, une manière d’exister socialement et les distinguent de ceux qui touchent des allocations, des aides de l’État sans rien faire. Ces « cassos », souvent étrangers mais pas toujours, sont la cible prioritaire des électeurs d’extrême droite, avec les politiques parisiens à qui l’on ne croit plus. Un travail reconnu, correctement payé, sans aide, c’est ce que toutes et tous souhaitent. Rien de plus, rien de moins. Quand ce travail est obtenu, le rapport à la politique et au RN, change parfois, démontrant un vote conjoncturel.

En toile de fond, ce sont des paysages qui apparaissent, des centres villes désertés, silencieux en l’absence de liens sociaux et des rues emplies de solitude et d’abandon, où les kebabs deviennent un symbole. Les allers retours de l’auteur de Paris vers ces lieux d’enquête sont éclairants et montrent le décalage énorme entre deux modes d’existence qui ne se connaissent plus, s’ignorent. Indifférents les uns aux autres souvent, hostiles parfois, ces françaises et français n’ont plus de vision collective de la nation. Au grand écart économique s’ajoute un gouffre culturel.

Aucune révélation dans le tableau que dresse de manière impressionniste Vincent Jarousseau, mais pourtant les paroles retranscrites, brèves et concises, disent souvent plus que des constats sociologiques froids et impersonnels. Il en ressort une France divisée, autiste, qui ne s’écoute plus. Et ne se comprend plus, se regarde comme des étrangers les uns aux autres, ceux la même que l’on désigne comme responsables de tout, boucs émissaires d’un déclassement socio-économique. Une photographie glaciale, qui laisse peu de place à l’optimisme et au « vivre ensemble » tant prôné par des élus déconsidérés.

Dans les âmes et dans les urnes de Vincent Jarousseau. Éditions Les Arènes. 256 pages. 21€. Parution le 16 janvier.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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