« Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark », la fameuse phrase de Shakespeare, Ian McEwan aurait pu en faire le titre de son beau roman. Il a choisi une autre citation de Hamlet qu’il met en exergue et qui donne en partie son titre au récit : « Ô Dieu, je pourrais être enfermé dans une coque de noix et m’y sentir roi d’un espace infini, n’était que j’ai de mauvais rêves ».
Le livre du grand romancier anglais, Dans une coque de noix, c’est Hamlet au XXIe siècle : Trudy trame avec Claude, son amant et propre frère de son mari, le meurtre par empoisonnement de son malheureux époux, John, fin lettré et généreux éditeur de textes de poésie, inconsolable mari trompé et abandonné. Témoin invisible, et pour cause, de ce sombre scénario : un enfant à naître, porté par Trudy, fruit de son union avec John. Mais un enfant qui, au contact de sa mère, son père et son oncle, entend tout, comprend tout, devine et ressent tout dans la « coque » du ventre de sa mère. Et qui ne peut rien faire bien sûr pour empêcher le forfait meurtrier concocté par le couple adultère et infernal. Il est un « Hamlet in utero », par l’imagination d’un romancier sans limites !
On l’aura deviné, Trudy, belle femme de 28 ans qui choisit de vivre avec son beau-frère, c’est la Gertrude de la pièce de Shakespeare. Claude, cupide agent immobilier, inculte personnage et érotomane qui « besogne » la future maman à tout moment de la journée et dans toutes les positions, sans égards pour le fœtus (« Tout le monde ne sait pas quel effet ça fait d’avoir le pénis du rival de votre père à quelques centimètres de votre nez… »), c’est Claudius réincarné. Enfin John Cairncross, attachant et subtil homme de lettres, amoureux sincère de sa femme, c’est le roi du Danemark.
Ce couple assassin offre une sombre vision de la nature humaine. Plus largement, « il y a quelque chose de pourri »… au royaume d’Angleterre, et bien ailleurs, et les anxiogènes conflits sociétaux, politiques, économiques, religieux, climatiques ajoutent à la noirceur du monde actuel et au pessimisme de l’auteur. Pour autant, le romancier ne désespère pas complètement, qui fait joliment dire à l’enfant pressé de naître :
Je vois le monde d’une couleur dorée même si pour moi elle n’est qu’un mot […]. Je suis prêt, j’arrive, le monde va m’accueillir, prendre soin de moi […]. Livres lus à la lumière d’une lampe, musique de Bach, promenades à la plage, baisers au clair de lune, ces plaisirs ne coûtent pas grand-chose.
Autant de menus moments de l’existence qui lui feront un mince, mais vrai bonheur de vivre. Sans parler des magnifiques flacons de bourgogne et de sancerre dont sa maman lui a transmis le goût pendant ses mois de gestation !
Une commissaire enquêtera sur la mort de John et le funeste couple, ébranlé par les intrusives questions de la police, voudra faire croire à un suicide. Ian McEwan retrouve dans les dernières pages du livre toute sa veine policière. N’en disons pas plus…
La naissance de l’enfant clôt cette insolite fiction, au moment précis, fort inopportun, où le couple fait ses valises pour s’éclipser hâtivement de la maison du crime. Le beau visage de la mère est alors la première image de la vie du « petit d’homme » émerveillé et la dernière de ce roman vif et singulier traversé d’un pessimisme heureusement ponctué et allégé par l’irrésistible humour de Ian McEwan, « so british, of course ».
Ian McEwan, Dans une coque de noix [Nutshell], trad. de l’anglais par France Camus-Pichon, collection Folio (n° 6611), 240 p., ISBN : 9782072700811, 1ère parution : 13 avril 2017. prix : 7.50 euros.
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BIOGRAPHIE
Né en 1948, Ian McEwan est considéré comme l’un des écrivains anglais les plus doués de sa génération. Outre Les chiens noirs et Délire d’amour, on lui doit, entre autres, Le jardin de ciment, Un bonheur de rencontre et L’innocent, tous accueillis par une presse enthousiaste et adaptés à l’écran. L’enfant volé a reçu le prestigieux Whitbread Novel of the Year Award et, en France, le prix Femina étranger (1993). Amsterdam a été couronné par le Booker Prize (1998) et Expiation par le WH Smith Literary Award (2001).