16e biennale de danse de Lyon, Love et Magical

Les théâtres de Lyon et ses environs étaient bondés. Pour cette 16e édition, la biennale de danse de Lyon a fait le plein de spectacles de danse prestigieux. Deux d’entre eux ont particulièrement attiré notre attention : Love de Loïc Touzé et Latifa Laâbissi et Magical de Anne Juren et Annie Dorsen.

 

Love (créé en 2003) de Loïc Touzé et Latifa Laâbissi

 

 Love COTTENCIN
Love © Jocelyn Cottencin

Dispositif scénique créé par Jocelyn Cottencin pour Love : un grand écran bleu se prolonge sur le sol qui sert d’écrin à six danseurs. Il évoque le fond d’une piscine éclairé, la nuit ; encore, la lumière artificielle ou les fonds utilisés par les photographes de studio ou des cinéastes afin d’incruster un paysage a posteriori dans l’image prise. Dans le prolongement du pan vertical de l’écrin et d’égale dimension, une photographie négative noir et blanc d’arbres dans une forêt suggère le cadre idéal pour peut-être recevoir les horribles cris d’épouvante de jeunes et innocentes personnes.

Les voici : juvéniles T-shirts et shorts bleus. Et comme l’avait souhaité la mère de Blanche Neige, le teint blanc comme la neige, les lèvres rouges comme le sang ou le maquillage des acteurs de films muets. Une évocation d’époques que personne ni sur scène ni en régie n’a connues suscite une atmosphère onirique ; peut-être aux origines de la danse contemporaine. Pas de musique pour nos trois danseuses et trois danseurs qui pénètrent l’espace imaginé comme de sages écoliers. Ils scrutent fixement le public et ne le lâchent pas. La durée de ce regard qui précède l’action des douze saynètes ne varie pas. Et le rituel reprend quand les figures quittent l’espace en fixant à nouveau ceux qui les voient, tels des chats figés par les phares de quelque voiture. L’empathie du public se tisse en faveur de ces danseurs surpris par une mort soudaine alors que nous venions juste de faire connaissance. Se succèdent les tableaux qu’ils animent avec le sérieux d’un Buster Keaton, attisant notre attachement, des bagarres, des lions, des danseurs de claquettes, des guerriers et, au final, la cavalerie (scène pour laquelle la forêt ensorcelée est descendue jusqu’au sol). Mais viennent-ils nous sauver ou sont-ils en train de réussir leur évasion de ces pièges burlesques ?

Ce patchwork d’histoires réaffirme le mouvement conduit par les danseurs comme point central. Il s’éteint avant d’être repris pour s’éteindre avant d’être repris à nouveau ou transformé. Dans le premier sketch, les danseurs sont surpris par la mort, mais se relèvent rapidement et continuent le spectacle. La logique, la chronologie, les repères tentés par les spectateurs sont bousculés par les interruptions du récit. De ces déroutages persiste le rituel des entrées et sorties de l’espace de danse posé comme ancrage rassembleur ainsi que l’attachement aux danseurs qui activent et réactivent ces ancrages.

Magical (créé en 2010) de Anne Juren et Annie Dorsen

 

« Nous essayons d’utiliser l’histoire pour comprendre le présent, pour être plus forts face à l’avenir. » Anne Juren

Rejouer la performance est un thème que le Musée de la danse explore depuis l’année dernière sous la houlette de Boris Charmatz. Comment transposer la force de ces messages sans les trahir ? Comment les transmettre au public alors que l’époque et les perceptions du monde ont évoluées ? Pour Magical, la chorégraphe Annie Dorsen et la danseuse Anne Juren invitent la magie comme vecteur de transformation de la performance au spectacle de théâtre. Elles rejouent cinq performances qui ont toutes fait date dans l’histoire de l’art du XXe siècle. Toutes sont très fortement imprégnées du féminisme des années 60-70 : Cut piece de Yoko Ono, Semiotics of the kitchen de Martha Rosler, Rythm 10 de Marina Abramovic, Interior scroll de Carolee Schneemann, Genital panic de Valie Export.

Durant chacune de ces performances, les auteures se mettaient physiquement en danger confrontant sans détour les membres du public à la violence faite aux femmes, les invitant à participer à la création, à se confronter eux-mêmes aux gestes.

Anne Juren dans Magical © Christoph LEPKA
Anne Juren dans Magical © Christoph Lepka

Mais dans un théâtre où le public est assis face à la scène, il faut jouer sur d’autres ressorts afin de retranscrire la force de ces paroles. Dénoncer la violence a été fait par ces aînées dans un contexte historique qui appelait les performances qu’elles ont créées. Aujourd’hui, les problématiques soulevées ne sont pas résolues, mais le contexte ayant radicalement changé, d’autres voies de réflexion sont à trouver.

Anne Juren  Magical
Anne Juren dans Magical © Simonas Svitra

Le spectacle débute dans une ambiance de cabaret. Des tours de magie tantôt énigmatiques tantôt drôles. Et très rapidement, il faut ne pas oublier que c’est d’un spectacle de magie qu’il s’agit quand Anne Juren lance un regard provocateur et jouisseur au public alors que le sang coule du couteau qu’elle fait glisser sur son avant-bras. L’automutilation, un acte de plus en plus pratiqué et le spectacle risque de mal tourner quand une personne du public se laisse submerger par l’émotion et interpelle avec véhémence la danseuse, menaçant d’interrompre le spectacle. Pourtant, Anne Juren réussit à ramener son public vers le cocasse, mais aussi la poésie quand elle réinterprète Interior scroll de Carolee Schneemann. Elle ne sort pas un texte enroulé sur lui-même de son vagin pour le lire, mais une banderole aux couleurs du mariage pour tous et tout un bric-à-brac de guirlande lumineuse, de piles électriques LR 14 ou 20 – allez savoir –, de bidules tous plus incroyables les uns que les autres pour finir par une ampoule aveuglante. Celle-ci devient ensuite le projecteur d’une très belle image qu’elle dirige dans toutes les directions que l’anatomie de la danseuse-performeuse permet. Traverser les émotions, de la tension à la poésie, s’émerveiller du corps.

Utilisant d’autres dispositifs, Mette Ingvartsen proposera lors du prochain festival Mettre en Scène à Rennes sa représentation des utopies des performances des années 60.

Love

Conception : Loïc Touzé & Latifa Laâbissi en collaboration avec Jocelyn Cottencin

Danseurs : Loup Abramovici, Alina Bilokon, Rémy Héritier, Yves-Noël Genod, Carole Perdereau, Lina Schlageter Dispositif scénique : Jocelyn Cottencin Création lumières : Yannick Fouassier Régie : Max Potiron

Magical

Réalisation : Annie Dorsen et Anne Juren Chorégraphie, magie et performance : Anne Juren Répétiteur magie : Steve Cuiffo Conception musicale : Christophe Demarthe Régie plateau : Roland Rauschmeier Assistant régie plateau : Sebastian Bauer Conception lumière : Bruno Pocheron avec Ruth Waldeyer Directeur technique (Lyon) : Bruno Pocheron Costume : Miriam Draxl Assistant de production : Ruth Ranacher Manager artistique : Silke Bake

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