À Martigné-Ferchaud, petite commune rurale d’Ille-et-Vilaine, des demandeurs d’asile ont réalisé pendant six semaines des courts métrages, accompagnés par l’association Le vidéobus. Plus qu’une initiation au cinéma, ces ateliers ont permis de tisser des liens forts entre ces réfugiés de passage et la population du village.
« Un ancien, arrivé à Martigné-Ferchaud il y a peu de temps, avait pris l’habitude de s’installer à sa fenêtre, et de regarder dehors », raconte Sandrine Dorgère, bibliothécaire de cette petite commune de 2 700 habitants, au sud de l’Ille-et-Vilaine. En face de sa nouvelle maison se trouve le Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA). Et là, de sa fenêtre, un réfugié, lui aussi, avait pris l’habitude de regarder dehors. « Ils se regardaient, sans se parler », continue-t-elle.
Les demandeurs d’asile se suivent à Martigné-Ferchaud, mais n’y restent pas longtemps – juste le temps de faire leurs démarches administratives. Depuis l’ouverture du centre d’accueil, géré par l’association Coallia, il y a eu six arrivages de demandeurs d’asile, qui s’y installent, à chaque fois, pour plusieurs mois. Ils ne parlent souvent pas français, se heurtent parfois à la méfiance de certains habitants, même si beaucoup de bénévoles s’engagent pour les parrainer et les accompagner. Alors ils ne tissent pas vraiment de lien, et peuvent s’isoler jusqu’à leur départ, ne se mêlant pas aux autres nationalités du centre d’accueil.
« Quand on évoque la question des migrants, on parle souvent des problèmes de logement, de santé, de travail, d’administration », explique Jacques Froger, responsable éducation à l’image de l’association Clair Obscur. « La culture est moins souvent évoquée, alors qu’elle peut rapprocher les migrants entre eux, et avec les riverains », poursuit-il. En mai 2017 nait donc l’idée d’utiliser le langage du cinéma pour créer ce lien manquant entre les personnes.
Le projet se divise en deux axes. Dans l’école de la commune, l’association Clair Obscur accompagne les enfants, pour réaliser une sélection de courts métrages, après des atliers d’éducation à l’image. Les adultes, eux, doivent réaliser leurs propres courts métrages, accompagnés par l’association Vidéobus.
« Il a fallu convaincre la municipalité et l’association qui gère le CADA de l’intérêt du projet », explique Jacques Froger. « Les élus ont beaucoup réfléchi », confirme Sandrine Dorgère. Mais la commune avait déjà travaillé avec l’association vidéobus, pour un public mixte de jeunes, de personnes âgées et de personnes handicapées. « Cela avait bien marché, poursuit la bibliothécaire, il y avait beaucoup d’échanges et cela avait vraiment changé les regards portés sur les autres. »
L’association Coallia, elle, craignait que les contraintes soient trop fortes pour que les demandeurs d’asile puissent prendre le temps de faire ces courts métrages, à cause notamment de leurs démarches administratives. Pourtant, au prix de quelques ateliers finalement annulés au dernier moment, le Vidéobus parvient à tenir son défi.
Pendant que les enfants visionnent les courts métrages à l’école, les adultes sont initiés aux techniques de la prise de vue, de la prise de son, du montage… Et ils commencent à filmer. Ils se filment eux-mêmes, pour témoigner, de leur parcours ; ils filment cette petite commune rurale qui les accueille. Surtout, au-delà de l’accompagnement technique de l’association, c’est à eux de gérer le tournage. Ils doivent négocier la possibilité de filmer dans certains lieux, se coordonner entre eux, malgré les différentes langues parlées.
« Sur le tournage, il pouvait un avoir des Albanais, des Géorgiens, des Centrafricains, des Syriens », décrit Jean-Marie Montangerand, de l’association Vidéobus. Certains sont francophones, d’autres parlent quelques bribes de français. Et ils doivent se débrouiller avec ça. Alors pour filmer certaines scènes, un des réalisateurs en herbe mimait les scènes, pendant plusieurs minutes, pour ses acteurs en herbe. Pendant ces six semaines de tournage, progressivement, leur niveau de français s’améliore malgré tout.
« L’objectif n’était pas tant d’apprendre à faire un film, mais de les rendre visibles », poursuit l Jean-Marie Montangerand. Et ça marche.
Une simple rue séparait le retraité et le demandeur d’asile qui, habituellement, se regardaient en chiens de faïence. Caméra à l’épaule, le réfugié a brisé cette barrière invisible, pour demander à filmer depuis la fenêtre du vieil homme. « Une fois l’équipe de tournage rentrée chez lui, celui-ci les a invités à prendre l’apéritif, ils ont commencé à échanger », raconte Jean-Marie Montangerand. Malgré les différences, un lien se crée. « On a appris qu’ils ont été invités de nouveau après ça, pour reprendre l’apéritif », sourit-il.
Les équipes de tournages filment aussi dans les commerces, chez le coiffeur… et organisent, pour un des courts-métrages, une soirée dans un bar de la commune. « Tout le monde s’étonnait que le bar soit ouvert un lundi ! », s’amuse Jean-Marie Montangerand. Entre demandeurs d’asile et habitants, la soirée s’est ainsi prolongée, au-delà des besoins du tournage.
Au-delà des liens tissés, ces ateliers cinéma offrent une occasion pour certains demandeurs d’asile de s’ouvrir. Un jeune rom d’Albanie, illettré, vivait depuis des mois confiné dans son appartement, refermé sur lui-même. « Au début, on avait vraiment l’impression de l’embêter quand on venait lui parler », témoigne Sandrine Dorgère. Il est venu sur le tournage, curieux. Et s’est complètement métamorphosé. « Il jouait du piano, chantait, expliquait que c’était la première fois qu’on lui demandait son avis, et qu’il était pris en compte », poursuit-elle.
Débouté du droit d’asile, il n’a pas pu assister à la première projection des courts métrages.
Celle-ci a été organisée dans la salle des fêtes municipale, le 28 avril dernier. « On attendait une soixante de personnes, il y en a eu 150 ! », se félicite Sandrine Dorgère. De la préparation de ce petit événement aux témoignages des demandeurs d’asile devant cette salle comble, cette projection témoignait des liens tissés entre tous, même si, malgré tout, les plus méfiants à l’égard de ces migrants n’ont pas fait le déplacement, regrette-t-elle.
Le résultat de ces six semaines, lui, reste inégal sur le plan cinématographique, reconnaît Jacques Froger. « On est toujours un peu frustrés, parce qu’on n’a pas toujours de la qualité », continue-t-il. Le choix a été fait de laisser la plus grande liberté aux équipes amateurs. Mais ce qui importe, précise-t-il rapidement, ce n’est pas le produit, c’est la démarche. « Il suffit de peu de choses, un micro et une caméra, pour que des gens se voient différemment, surtout quand ils osent franchir la barrière de l’intime. »
Et il suffit aussi d’un micro et d’une caméra pour traverser une rue que l’on n’osait franchir, pour tisser un peu entre deux mondes et deux cultures, du CADA aux maisons des habitants de Martigné-Ferchaud.
La projection des courts métrages réalisés par les demandeurs d’asile et sélectionnés par les enfants aura lieu au cinéma l’Arvor, à Rennes, le lundi 25 juin à 18h. L’entrée est gratuite.
Les courts métrages réalisés seront ainsi visibles librement sur le site levideobus.fr