Des bandes dessinées à contre courant de la société

Découvrez une sélection de bandes dessinées qui vont à l’encontre de l’opinion publique, et remettent en question l’ordre établi dans la société.

Les mouvements littéraires se sont toujours faits guerre les uns aux autres. Au classicisme fermé, ordonné et cantonné à la religion chrétienne, les Lumières ont souhaité apporter des réponses scientifiques aux questionnements des hommes. La littérature est portée en étendard de la liberté d’expression et d’une volonté de dépasser. La fiction va toujours au-delà de la réalité et la tord pour mieux comprendre ses rouages et son fonctionnement. Voici quelques bandes dessinées qui bousculent les pensées et les préjugés.

Commençons par le début de la vie…

La Grossesse de Mr Hiyama d’Eri Sakai

La Grossesse de Mr Hiyama d’Eri Sakai, éditions Akata, février 2023

Cela fait environ dix ans que, suite à une évolution naturelle, tous les hommes fertiles peuvent tomber enceints. Et jusqu’à ce que ça lui arrive, Kentarô Hiyama n’avait jamais envisagé cette éventualité. Salaryman chargé d’un poste à responsabilité, coureur de jupons célibataire, il profitait de la vie sans réfléchir aux conséquences. Mais quand son médecin lui annonce qu’il est enceint d’environ dix semaines, il devra tout remettre en question. Réalisant alors à quel point la société est inégalitaire, il décide de porter l’enfant à terme et de créer sa place lui-même !

Nous voilà plongés dans une histoire rocambolesque, celle de la grossesse, de donner naissance à des enfants, de la maternité et de la paternité, aussi douce qu’amère… Dans un monde où la grossesse n’est plus simplement une expérience purement féminine, la parole s’ouvre plus facilement, les problèmes et discriminations persistent. Mais petit à petit, avec les héros de chaque chapitre, personnages principaux de leurs histoires, nous comprenons à leurs côtés de l’importance de la vie et des difficultés rencontrées durant la grossesse. Eri Sakai ouvre la parole sur la charge mentale, la peur, les doutes, les questionnements, la vie qui change malgré soi… Le tout agrémenté d’un humour, tout comme le livre, aigre-doux. Plongez dans ce manga et retrouvez-vous nez à nez avec vos propres vices, les mêmes pensées immatures qui nous ont traversées à l’entente des cris de bébé dans le train ou des plaintes faites aux femmes enceintes pour leur « oisiveté ». Avec les personnages, nous lecteurs, apprenons aussi à quel point une grossesse est éprouvante. 

Et quand nous devenons parents ?

Cette vie auprès de toi de Shin Takahashi

Cette vie auprès de toi, Shin Takahashi, éditions Delcourt – Tonkam, février 2023

Riku et son fils Issei entretiennent des liens très forts. Un jour, ils débarquent sur l’île lointaine de Haruta, dans l’archipel d’Okinawa. Le petit Issei commence à fréquenter l’école locale et à faire plein de rencontres enrichissantes… L’heure est venue pour le duo de démarrer une vie paisible et reposante.

Paisible, voici le premier adjectif qui nous vient à l’esprit quand on feuillette ce manga. Doux, tranquille et reposant seraient les suivants… L’histoire se centre autour d’Issei, petit garçon de neuf ans, peu bavard et son père, Riku, un coiffeur décalé et qui avance à son propre rythme. Nous suivons leur quotidien dans cette petite île isolée, ponctué par des tâches de la vie de tous les jours transformées en aventures rocambolesques avec ce duo étrange de père et fils. S’il nous arrive de nous demander si Riku est bien un adulte, de par son attitude tout comme ses paroles, l’image qui se dévoile de cet homme à travers cette bande dessinée est la figure d’un père aimant et concerné par le bonheur de son fils. « Issei » est le mot qu’il prononce le plus souvent et la personne à laquelle il pense à travers chacune de ses actions. Cette histoire est avant tout le portrait d’une famille, aimante, pleine de tendresse, d’une douceur à faire fondre le cœur et d’un comique subtil. Pétillant et drôle, Shin Takahashi nous propose un vent de fraîcheur qui déstabilise à la première page tournée et nous tient en haleine jusqu’à la dernière.

Continuons du côté de l’éducation des enfants…

La Maison des Enfants de Halim et Caterina Zandonella

La Maison des Enfants, Halim et Caterina Zandonella, éditions Steinkis, 2022

Née en 1870 dans un milieu bourgeois, c’est envers et contre tous qu’elle devient l’une des premières femmes médecins en Italie et que Maria Montessori, médecin de renom, bouleverse les méthodes d’apprentissage des enfants. Son engagement en leur faveur ne faiblira jamais et elle a essaimé sa pédagogie sa vie durant, à travers le monde.

Le témoignage d’une voix féminine, forte, dévouée et motivée ! Si les obstacles ont été nombreux dans la vie de Maria Montessori, cela ne l’a que poussée vers le dépassement de soi. Sa détermination sans faille a gagné face à la société misogyne et aux hommes qui en sont à la tête. Cette bande dessinée retrace son histoire remarquable d’une voix plurielle. Du regard amer de son fils, Mario, peignant d’un nuancier de gris les cases, au regard enfantin d’Anne Frank, qui colorent les planches d’un arc-en-ciel, en passant par celui de l’héroïne de ce récit, qui nous raconte son passé tout en sépia. Les teintes se superposent, les différents fils du récit se mélangent, entre le passé et le présent, oscillant dans le XIXè et XXè siècle. Le lecteur a du mal à tout comprendre tant les chronologies se suivent, se croisent et chevauchent. Un choix audacieux des deux auteurs mais qui sied à merveille cet ouvrage et ces enfants qui sont tout sauf ordonnés. La Maison des Enfants est un récit confus, boueux mais foisonnant comme l’esprit éveillé d’un enfant !

Et pour les enfants… aspinautes ?

Aspinaute de Laura Bresson

Aspinaute de Laura Bresson et Julie Dachez (contributions), Editions Leduc, mars 2023

Laura est différente, c’est une Aspinaute, mais elle ne le sait pas encore. Surdouée, timide, maladroite corporellement et socialement, toujours en décalage, avec des idées farfelues, des expressions hors du commun… Dans son monde, sa logique, son innocence, elle a le sentiment de venir d’une autre planète, d’être une étrangère parmi les siens, une singularité qu’elle ne vit pas bien. Mise de côté, insultée, charriée, menacée, rabaissée… Elle qui est pourtant si attentionnée et protectrice, n’arrive pas à nouer des liens ou à les garder.

Ce roman graphique retrace le parcours de l’autrice pour arriver au diagnostic de son autisme. Préfacé par Julie Dauchez, le livre débute par un point sur la condition de l’autisme dit « haut niveau » qu’est l’Asperger, des symptômes et de la difficulté du diagnostic et de tenter de se comprendre. Laura Bresson arrive avec ingéniosité à retranscrire cet étouffement ressenti par les personnes Asperger, à travers les dessins et les nombreuses bulles de discussions qui polluent leur environnement et leur tête, et empêche la tranquillité. Ce brouhaha incessant s’empare des pages et rend mal à l’aise le lecteur. La lecture en devient presque difficile, les planches sont illisibles à première vue, et le décodage du livre en lui-même prend un certain temps et fatigue l’esprit. Ingénieusement, l’autrice montre son esprit foisonnant et cette impossibilité de pouvoir le contenir à travers son livre. Nous aussi lecteurs, quand nous ouvrons ce roman graphique, nous nous retrouvons à la place de l’autrice et vivons un dixième de son état. Véritable archive de ses expériences et de son vécu, elle nous parle de ses difficultés, ses symptômes, jouant entre enfance et âge adulte. Tout le système médical autour de l’autisme, des rendez-vous au diagnostic, est finement déroulé à travers les pages. Cette histoire ouvre la porte d’un monde qui se découvre à travers les yeux de cette aspinaute étrange et décalée.

Finissons avec l’amour et son goût aigre-doux.

Entre nos mains de Battan

Entre nos mains de Battan, éditions Akata, février 2023

Makimura n’a jamais pu oublier Midori, la fille qu’elle aimait au lycée. Aujourd’hui étudiante, sur le point de terminer ses études, elle reste prisonnière de cette relation du passé. Mais quand Midori surgit par hasard dans le cabinet d’ophtalmologie où elle travaille, la jeune femme veut croire à un coup du destin. Mais la vie prend parfois des détours compliqués, et devenue adulte, Midori est-elle prête à enfin s’engager ouvertement aux yeux de tous ?

L’amour est doux mais il peut être aussi amer. Entre nos mains nous raconte l’histoire d’amour de deux filles qui semblent s’être perdues et qui se trouvent pourtant toujours reliées par ce fil du destin qui continue de s’enrouler entre elles, les enchaînant l’une à l’autre. Nous nous identifions à Makimura qui souffre de ce sentiment à sens unique durant dix ans et nous espérons secrètement qu’elle l’accomplisse ou qu’elle passe à autre chose. Qui plus est face à Midori, qui est un personnage complexe, difficile et ne pousse pas l’empathie chez le lecteur. Ses allées et venues dans le cœur de Makimura qu’elle torture à sa guise la met dans la position parfaite de la vile manipulatrice, de l’incertaine femme qui ne sait pas ce qu’elle veut. Pourtant ces mêmes fêlures parsemant son corps nous poussent à vouloir faire sa connaissance et quand son rire éclatant s’estompe dans l’air, nous la voyons pleine de vices, malhonnête et peureuse mais profondément humaine. Son mal-être nous brûle et nous ne souhaitons qu’une chose, qu’elle trouve le courage de chercher son bonheur. Entre nos mains est une histoire douloureuse, violente et bouleversante, un récit passionnant et brillamment narré et exécuté par Battan. En finissant la dernière page, une seule pensée nous reste en tête : vite, la suite !

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Areni Nirmalan
Passionnée de littérature jeunesse en tout genre (romans, albums, bandes dessinées), je souhaite analyser son évolution, ses nouvelles formes et les coulisses de sa publication en France.

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