Le grand amphithéâtre de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), près de Genève, a été pris d’assaut, vendredi 23 septembre, par un ensemble de journalistes du monde entier. Une équipe internationale de chercheurs, dirigée par Antonio Ereditato, aurait mis en évidence la propagation de neutrinos à une vitesse supérieure de la lumière. Cette découverte datant du mois de mars vient d’être annoncée avec une prudence mêlée de confiance. Si cette découverte est confirmée, c’est la théorie de la relativité d’Einstein et le concept d’espace-temps qui vont devoir être réévalués étant donné le postulat accepté depuis un siècle que la vitesse de la lumière est une limite absolue qu’aucune particule ne saurait dépasser. Serions-nous à l’aube d’une révolution de la physique et de notre perception de l’univers?
Les faisceaux de neutrinos produits au CERN, en Suisse, ont été envoyés à plus de 700 km, à travers l’écorce terrestre, jusqu’au laboratoire italien souterrain. Ont été observés plus de 15 000 neutrinos qui se déplaceraient à une vitesse 20 x 10-6 supérieure à celle de la lumière, la vitesse cosmique limite. Compte tenu de l’importance d’un tel résultat, des mesures indépendantes sont nécessaires avant qu’il puisse être infirmé ou confirmé. Mais souligne Antonio Ereditato, de l’Université de Berne :
« Ce résultat est une surprise totale. Après des mois d’études et de recoupements, nous n’avons découvert aucun effet dû aux instruments qui pourrait expliquer le résultat de la mesure. Les chercheurs de la collaboration OPERA vont poursuivre leurs études, mais nous attendons également avec impatience des mesures indépendantes qui permettront d’évaluer pleinement la nature de cette observation. »
On nage un peu dans l’inconnu. De fait, un phénomène similaire avait déjà été constaté dans un accélérateur de particules il y a une dizaine d’années. Des scientifiques avaient constaté la présence d’un photon unique en 2 points distincts de sa propre trajectoire. Pendant une infime fraction de temps, le photon aurait-il dépassé sa vitesse intrinsèque – autrement dit celle de la lumière ? Mais, aujourd’hui, c’est une particule dotée d’une masse qui semble avoir dépassé la vitesse de la lumière, autrement dit qui aurait mordu le futur ? De fait, si aucun événement ne peut dépasser la vitesse de la lumière, aucun moment présent n’est censé pouvoir exister au-delà. Doit-on suivre Einstein : « Si les faits ne correspondent pas à la théorie, changez les faits. »
Pour résoudre cette contradiction, certains émettent l’hypothèse que la relativité générale d’Einstein demeurerait vraie, mais que des replis d’espace non indépendants mais autonomes pourraient s’insérer localement dans l’espace total. Dans cette veine, d’autres évoquent la présence de microdiscontinuités sur la trajectoire des neutrinos. Ce seraient des structures plus ou moins continues de l’espace-temps, des micro-espaces ou les lois de la physique différeraient. Des trous de ver, des tunnels par lesquels les neutrinos transiteraient sans que ne changeassent leurs vitesses ? Une autre dimension existerait-elle ?
Comme on le voit, l’interrogation porte moins ici sur l’évaluation de la vitesse que sur la réinterprétation du contexte, soit l’environnement spatial traversé. Certes, mais certains remarquent que les neutrinos traversent l’espace, dont la terre, sans interagir avec la matière. Ce qui en fait une particule difficile à suivre. Enfin, on peut aussi suggérer que la théorie d’Einstein reste cohérente et fondée, mais que la vitesse-limite maximale, qui était entée sur celle de la lumière, pourrait être en fait plus élevée. Reste que dans le vide, la lumière se déplace à environ 300 000 km/s ; elle constitue donc en théorie et en pratique un indépassable. Sans lumière, rien n’existe. La lumière comprend les ténèbres, mais la réciproque est fausse.
Reste que nous touchons là des réalités d’une quasi-intangibilité. Elles nous rappellent avant tout que les paradigmes scientifiques, malgré leurs prétentions, peuvent être bousculés, voire profondément transformés. Plus la science connaît, plus elles engendrent des chemins inconnus à explorer. S’il est bien excitant de les parcourir, gardons à l’esprit l’adage du maître : « Rien n’est plus proche du vrai que le faux. »
Nicolas Roberti