Depuis l’apparition des affiches de propagande jusqu’aux médias activistes actuels, le design est devenu le complément parfait à la désobéissance civile. De nombreux exemples de design protestataire, d’activisme visuel et de résistance démontrent l’efficacité de la rencontre entre les domaines de l’art et de la contestation. L’une des luttes qui perdure est celle du droit des femmes… Présentation par Léa Dos Santos, Lucie Distin, Aline Delemazure, Maina Lentz, Timothée Heard, Jules Varin, Roxane Leflao, étudiants en DnMade*.
Chaque année, la rédaction d’Unidivers s’associe au lycée Bréquigny de Rennes afin que les élèves approchent les coulisses du métier de journaliste. Dans ce cadre, les étudiants en première année du DNMade – Diplôme national des métiers d’art et du design* – proposent cinq articles autour de leur spécialité, le design. Cette démarche interdisciplinaire Lettres & Design a été initiée par l’enseignante de Lettres, Tifenn Gargam, avec la collaboration de Laurent Alonzo, tous deux enseignants en DNMADe.
Dans le champ de la culture des arts et du design, les femmes restent majoritaires sur les bancs des écoles d’art, et progressivement, à l’image d’un processus d’évaporation, elles deviennent moins payées, moins aidées, moins exposées, moins récompensées, moins responsables que leurs homologues masculins. Elles subissent encore pleinement le mythe du « génie créateur masculin » ou encore « de l’artiste et la muse ».
Dans un monde où la parole des femmes ne cesse d’être invisibilisée, contredite ou bien même ignorée, comment les domaines du Design et de l’Art peuvent-ils se mettre au service de la cause et mettre en lumière la lutte menée par une minorité tourmentée ? Quels sont les supports et les moyens les plus efficaces pour s’emparer des questionnements liés aux discriminations subies par les femmes ?
L’un des moyens effectifs pour mettre en avant les problématiques qui émergent face aux discriminations subies par les femmes est la communication de l’information : les différents supports de communication permettent de valoriser la lutte féministe, dans l’objectif d’obtenir un changement social radical.
« La conception graphique est un merveilleux amplificateur pour que toutes les voix, surtout les plus minoritaires, soient entendues », ainsi Anja Kaiser, une graphiste allemande, repense l’espace public afin de créer un projet collaboratif : les spots publicitaires et commerciaux deviennent des supports d’affiches féministes, permettant d’inviter des collectifs et artistes à proposer des textes engagés. Des slogans féministes comme « Wanted, la fin du patriarcat » prennent alors place sur les panneaux habituellement habillés de publicité : « C’était très important pour moi de réaliser qu’il est possible d’intervenir sur ce genre de structures », explique Anja Kaiser. L’idée de la réappropriation de l’espace et du détournement de la fonction d’usage permet de mettre en lumière publiquement des revendications et sert la cause du mouvement en invitant les passants à s’intéresser ou à prendre part à la lutte. Cette réappropriation peut se présenter sous plusieurs aspects et notamment sous forme d’informations élémentaires ajoutées à des ouvrages ou livres ayant causé l’invisibilisation du travail des femmes, en négligeant leurs paroles et leurs accomplissements.
« Mais pourquoi n’ajouterait-on pas un supplément à l’Histoire. Supplément auquel on donnerait, bien entendu, un nom sans importance pour que les femmes puissent y figurer sans inconvenance ? » Virginia Woolf.
Eve-Lise Kern, une étudiante en graphisme à l’ESAD de Reims crée un lien entre les supports anecdotiques du graphisme (flyers, chapbook, cartes postales…) et la place de la femme dans les ouvrages de l’histoire du graphisme. Le nom du projet, Estellina, est une référence à Estellina Colinat, une des premières femmes typographes qui, comme les nombreuses autres femmes graphistes, n’apparaissent que très rarement dans ce genre d’ouvrages. L’objectif était donc de se réapproprier ces livres qui se rapportent à l’Histoire du graphisme en ajoutant des objets éditoriaux variés qui complètent les informations de ces ouvrages. En insérant ces suppléments graphiques dans ces recueils de références, l’étudiante propose une version alternative des archives historiques au travers de ses propres références pour offrir une nouvelle visibilité aux femmes graphistes mises de côté. Dans chacune de ses productions graphiques, on retrouve différents champs d’exploration tels que les théories de « gender studies », des récits littéraires, des œuvres graphiques, artistiques et cinématographiques. La dimension de supplément informatif ajoutée dans des écrits historiques est efficace : en offrant des informations complémentaires par le biais de productions graphiques tels que des flyers ou cartes postales, on influence le lecteur et on le pousse à s’interroger sur la place des femmes dans l’Histoire du graphisme et à en souligner la quasi-invisibilité dans les ouvrages de références. De plus, cela lui permet de découvrir des figures emblématiques du graphisme telles que Jeanine Fricker ou Muriel Cooper.
La question des rapports entre féminisme, médias et culture de masse est souvent au cœur de l’actualité de nos jours. Ce phénomène est souvent interprété comme l’apanage d’un nouveau féminisme, plus jeune et plus dynamique. L’usage féministe du web prend une grande ampleur dans la communication de l’information, le site web « Bitch Media » est un des médias internet qui fournit et encourage une réponse féministe engagée et réfléchie aux médias grand public et à la culture populaire.
Cette plateforme cherche à faire entendre une voix fraîche et revitalisante dans le féminisme contemporain, sous la forme de podcasts et d’articles. Les fondatrices du site proposent des arguments complexes sur des sujets tout aussi politiques que scientifiques. Elles refusent d’ignorer les réalités contradictoires et souvent inconfortables de la vie dans un monde sans équivoque de genre. Leurs objectifs sont de toucher un public diversifié pour le sensibiliser au féminisme et les renseigner sur les faits sociétaux féministes qui dérangent la vie en communauté. Par exemple, le site peut attirer des jeunes lecteurs/ lectrices qui se trouvent à un moment critique de leur vie, à un moment ou ils découvrent le féminisme et l’activisme, où ils cherchent des réponses à leur identité et où ils remettent en question les définitions du genre, de la sexualité, du pouvoir et de l’action prescrites par les médias grand public.
« Grâce à ces 6 millions de lecteurs/lectrices dans le monde entier, Bitch Media attire et informe le monde par le biais du média internet. Il ne joue pas seulement un rôle dans l’exploration de sujets, il fournit également une boîte à outils pour s’engager dans une analyse qui favorise l’activisme féministe et impulse le changement social. »
On peut remarquer que, grâce à ces différents supports, allant du panneau publicitaire, au flyer et jusqu’au média internet, le Design offre une voix informative supplémentaire au combat contre les discriminations envers les femmes et aide à amplifier leurs revendications pour une société égalitaire.
De manière plus sensible, l’Art est un support important qui permet également de s’emparer des questionnements liés aux luttes féministes. Les différents domaines de l’art (peinture, photographie, performance,…) regroupent des artistes et des œuvres qui s’inscrivent dans le discours féministe, dans une dimension (sûrement plus sensorielle que les médias) qui éveille l’intérêt par des représentations originales et variées.
En 1963, la performance « Eye Body : 36 transformative actions » réalisée par Carolee Schneemann (artiste plasticienne américaine) marque les esprits en posant le corps comme matériau et l’artiste comme maître de son corps et de son œuvre. La performance est immortalisée dans une série de 36 photographies dans lesquels la femme est nue, couverte de peinture en motifs tribaux et d’objets posés sur elle (laine, fourrure, serpent). Cette connotation érotique pousse à reconsidérer la femme comme artiste et non comme l’éternelle muse et inspiration des hommes. Carolee Schneemann évoque ainsi la reconsidération des normes sociales et des genres dans une œuvre qui stimule la curiosité par sa performance. Celle-ci permet par ailleurs de partager un regard tripartite sur le corps de la femme : celui de l’artiste, du photographe et du spectateur. « Je suis à la fois l’artiste, le fabricant de l’image et l’image » : Carolee Schneemann nous prouve que lors d’une lutte, la question du support est primordiale et permet de faciliter la diffusion du propos. Ici, la cible de la revendication et l’oeuvre ne font qu’un, ce qui renforce l’idée d’un art total qui transcrit et valorise le combat féministe. Le corps est un appui servant lors des luttes féminines, autant en tant que message qu’en tant que support du message.
Judy Chicago explore et multiplie l’esthétique féminine remettant en question la domination masculine et la réussite des femmes, souvent oubliées ou cachées dans des second rôles. Elle se revendique artiste, autrice et éducatrice qui provoque le changement. De par ces choix marqués, l’artiste prend comme parti pris l’exploration des aspects de l’identité féminine. L’art apparaît ici comme une liberté dont les femmes ont été privées pendant plusieurs siècles. Un des tenues du défilé mettait par exemple en scène la citation de l’écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie : « We Should All Be Feminists ».
De plus, Judy Chicago réalise une scénographie toute particulière pour le défilé Dior (printemps-été 2020) : « What if women ruled the world ? », sont les mots brodés sur les tenues du défilé. Sa vision de la femme représente celle-ci comme une déesse inspirée de la Grèce Antique, cette dimension divine est renforcée par les habits composés de drapés et d’éléments dorés. L’artiste rend donc la dimension divine aux femmes, elle éclaire des pans ensevelis de l’Histoire, à la lueur de ces déesses, figures inspiratrices et créatrices. Ses réflexions et ses vocations définissent l’art comme la plus haute expression de l’esprit humain, un esprit qui a pourtant été refusé aux femmes durant plusieurs siècles. Au final Judy Chicago utilise la mode, la performance pour illustrer le corps de la femme dans une dimension presque héroïque. Elle offre une mode à la femme en questionnant la domination masculine et en célébrant les réussites de la femme de par l’évocation des symboles de pouvoir féminin émises par une performance vestimentaire céleste. La confection manuelle s’est révélé être un bon moyen de sensibilisation au féminisme, l’expression du corps de la femme est devenu un modèle d’inspiration et de lutte autant dans le domaine de la mode que dans celui de la sculpture.
L’artiste Niki de Saint Phalle est une pionnière féministe de la première heure, elle fait de son art une thérapie et prône un art de la rue accessible à tous. De par sa série de sculptures nommées “les Nanas”, l’artiste crée “des rôles modèles pour les générations futures, de véritables héroïnes des temps modernes […]” explique Camille Moreau.
Ces sculptures aux formes généreuses évoquent des danseuses colorées, heureuses et gaies, les figures rondes et athlétiques représentent le féminisme à travers l’exubérance et la confiance dans le féminin. Niki de Saint Phalle tente de se libérer des discriminations féminines pour créer des sculptures de femmes joyeuses et affranchies, c’est par ailleurs par cela qu’elle permet aux femmes spectatrices de ces œuvres de libérer leur paroles. La confiance en soi et l’émancipation au féminin prennent place dans les thèmes caractéristiques de son art. En outre, elle valorise la capacité de la femme à “donner la vie” en considérant que la puissance féminine peut s’appuyer sur la force maternelle. De plus, l’artiste démontre une dimension solidaire entre toutes les femmes de la planète en utilisant des couleurs de peaux jaunes, noires, blanc,.. Niki de Saint Phalle utilise le moyen de la sculpture pour libérer la parole des femmes sur les discriminations aussi bien esthétiques que morales qu’elles peuvent subir. Elle met en place un code graphique vif, coloré et généreux pour renforcer la révolte et la puissance au féminin dans l’objectif de rendre compte d’une solidarité forte présente entre toutes les femmes du monde.
L’art offre par la diversité de ses moyens de nombreuses opportunités pour s’exprimer de manière sensible sur les révoltes face aux discriminations féminines.
Cette occultation des femmes tient d’abord à une forme de violence elle-même. La difficulté à rendre compte de sa violence est redoublée par un processus de rivalité féminine engendrée par le patriarcat. En se laissant aller à la jalousie inter féminine on sert l’intérêt de l’homme. Grâce à ces supports variés, le combat ne cesse de prendre de l’ampleur, car pour qu’un propos soit divulgué, il faut le communiquer largement et accroître sa visibilité. À cela, ces femmes trouvent une solution : la sororité, une façon de rassembler, de visibiliser et d’amplifier la voix des femmes. À travers différents supports ces femmes rendent service à la mise en avant des violences faites aux femmes et à leurs consœurs. Un tel asservissement n’est pas à prendre à la légère car s’il ne peut paraître que comme un coup de pouce, il s’agit en vérité d’une véritable réappropriation de l’espace publique, des moyens de communication, des arts visuels… Il faut être vu tout le temps et partout, omniprésence d’un contenu féminin afin d’en rétablir la mixité.
* Le DNMADE, formation publique gratuite valant grade de licence, préparée sur 3 ans, forme des étudiants au métier de designer graphique.
Le parcours : design éditorial
Le design éditorial consiste à organiser des textes et images pour des médias qui peuvent être imprimés (livre, magazine, panneau…) ou numériques (site web, application mobile, affichage digital, etc.). Le parcours éditorial vise la formation de designers généralistes capables de concevoir aussi bien des identités visuelles que des architectures de l’information pour une pluralité de supports.
Le parcours : design d’identité.
L’étudiant est formé à concevoir l’identité visuelle d’un commanditaire : institution culturelle, entreprise privée, marque,événement, produit ou personne. Cette identité va reposer sur des éléments graphiques choisis (typographie,signes, couleurs…) ainsi que sur l’animation de ces éléments. L’étudiant peut être amené à réaliser une variété de supports, pour le Web ou la diffusion télévisuelle : logotypes animés, bandes annonces, spots publicitaires ,habillage télévisuels, affiches animées, etc.