Les éditions Diane de Selliers signent une nouvelle rencontre entre peinture et littérature avec Yvain et Lancelot illustrés par la peinture préraphaélite, ouvrage où figurent les deux romans médiévaux de Chrétien de Troyes. Les histoires des deux chevaliers y sont alliées à l’esthétique de ces peintres des XIXe et XXe siècles. L’ouvrage est disponible à l’achat depuis le 21 septembre 2023. Un voyage féerique éclairé par la relation entre le verbe et la peinture.
Quand les éditions Diane de Selliers font discourir l’imaginaire d’un écrivain médiéval avec 170 peintures préraphaélites des XIXe et XXe siècles, le rendu est détonant de poésie et de féerie. « Que ce livre soit l’occasion de redécouvrir au fil d’une promenade enchanteresse deux époques, deux univers unis dans une même quête de valeurs, de beauté et de spiritualité », exhorte l’avant-propos de l’ouvrage. Que soit averti le lecteur : il s’apprête à entrer dans un univers chevaleresque regorgeant de lieux légendaires et d’amour courtois.
Qui était Chrétien de Troyes ? « Cet écrivain sans visage », pour reprendre les termes du médiéviste Philippe Walter dans la préface de l’œuvre, laisse dans son sillage un héritage colossal. Il est considéré comme le premier auteur de romans français et on lui doit – entre autres – les deux chefs-d’œuvre que sont Yvain, le Chevalier au lion et Lancelot, le Chevalier de la charrette, « d’un côté, le champion de toutes les causes, de l’autre le héros qui poursuit une mission intérieure au caractère plus spirituel ».
La nouvelle mise en forme par la maison d’édition relève des citations du texte en rouge sur les bords de page et les joint aux œuvres préraphaélites afin de faire entendre l’image. Comme s’ils étaient destinés l’un à l’autre, le mariage des deux arts donne vie à une fresque mythique commune aux peintres modernes et à l’auteur médiéval : des échos s’opèrent entre deux époques grâce au mot et au pinceau.
Ainsi, de la main d’Andrew MacCallum naît un Paysage boisé, rappel enchanté de la mythique forêt de Brocéliande que Yvain doit traverser durant sa quête. Et en lettres rouges sur la bordure de la page, ces mots joints à la peinture : « Tout près d’ici, tu trouveras un sentier proche qui t’y mènera »
Ce sont les paroles d’un paysan qui indique au chevalier au lion la direction vers « la fontaine qui bout » (aujourd’hui identifiée comme la fontaine de Barenton en Bretagne). Le support visuel apporte un nouveau relief au texte en permettant d’imaginer les chemins qui parcourent la forêt mythique. Car à travers cet imaginaire chevaleresque médiéval, la légende prend forme. Derrière l’esthétique des préraphaélites, les lieux du texte empreints de magie s’incarnent aux yeux des lecteurs. « Le préraphaélisme fixe un répertoire visuel et un canon de l’imaginaire médiéval qui influence encore aujourd’hui la manière dont nous nous représentons le Moyen Âge, via notamment certaines séries hollywoodiennes ou les livres d’heroïc fantasy », indique le site de la maison d’édition.
Les personnages féminins sont très exploités dans le texte médiéval comme dans l’art préraphaélite. Car le plus grand but qui anime les héros, c’est sans doute l’amour qu’ils portent à une dame : c’est en vertu du fin’amor, l’idéal d’amour courtois médiéval représenté par Chrétien de Troyes, que les héros entreprennent leur quête. Mais c’est de la femme de son ennemi qu’Yvain s’éprend et c’est pour celle de son roi que brûle Lancelot. Ce dernier veut retrouver Guenièvre, dont il est amoureux et qui a été capturée. Le premier, éperdu pour Laudine, se plie aux volontés d’Amour pour reconquérir son cœur.
« Amour en a décidé ainsi. Refuser d’accueillir Amour quand elle vous attire à elle, c’est commettre une félonie et une trahison »
Quelle meilleure peinture que Cupidon sur son terrain de chasse d’Edward Coley Burne-Jones pour accompagner ces propos ?
Le dieu ailé, un bandeau sur les yeux, y est aveugle à qui il vise. Il n’a pas de cible précise en ligne de mire, car Amour ne choisit pas qui il touche. Sa flèche traverse la peinture et touche les cœurs du chevalier au lion et du chevalier de la Charrette. Ils sont alors contraints d’accepter leur sort :
« J’aimerai toujours mon ennemie car je ne dois pas la haïr si je ne veux pas trahir Amour », déclare Yvain.
Mais les femmes ne sont pas seulement d’importance au cœur des intrigues courtoises du récit médiéval : elles en sont aussi la clé de résolution. Pendant sa quête, le chevalier au lion oublie la promesse qu’il avait faite à Laudine et celle-ci l’abandonne. Il perd la raison, terrassé par la douleur, et erre dans la forêt nu pendant des mois jusqu’au jour où une femme, non nommée, le trouve et lui confie un onguent magique.
« Je me souviens d’un onguent que me donna la savante Morgane. Elle m’affirma qu’il chassait de la tête la rage la plus furieuse », disait-elle.
Alors pour illustrer cette phrase, la maison d’édition choisit La boule de cristal de John William Waterhouse.
Car si la femme chez Chrétien de Troyes devient parfois un personnage féerique qui guérit les chevaliers, le peintre représente au même titre une magicienne : un livre est ouvert sur la table devant elle et sur le côté, un crâne humain. Celle qui soigne les humains et regarde dans la boule de cristal n’est pas sans rappeler la fée, savante et guérisseuse, de la légende arthurienne : derrière ces traits, la maison d’édition invite le lecteur à se représenter Morgane.
Lorsque Yvain et Lancelot ont surmonté leurs épreuves, ils peuvent enfin s’en retourner vers leur dame. Sur les bords d’un kiosque peint par Frank Bernard Dicksee dans La fin de la quête, un chevalier, figure représentative des deux hommes, revient vers sa dame après – on peut l’imaginer – une longue traversée.
« Si c’est votre désir, pour vous je veux mourir ou vivre »
Ces paroles prononcées par Yvain accompagnent brillamment la peinture : chez Chrétien de Troyes, même après avoir accompli leur quête, c’est au désir de l’être aimé que les chevaliers se subordonnent ultimement. Celle qui a attendu le retour de son chevalier le regarde tendrement. Sur la peinture point une nouvelle aube comme la promesse d’un renouveau, la nature verdit, les deux amants se contemplent.
Derrière cette union du texte et de la peinture, on prend toute la mesure de l’harmonie existante entre le préraphaélisme et les deux récits médiévaux que les éditions Diane de Selliers ont su unir. « C’est l’ambition de cette beauté intemporelle qui accompagne aujourd’hui l’édition de ces deux romans de Chrétien de Troyes », conclut Laurence des Cars, présidente-directrice du musée du Louvre dans l’introduction.