Dicklove est la dernière création de la circassienne Sandrine Juglair. Du 30 juin au 02 juillet 2022, elle se mettra en scène à l’ancien Antipode, nouveau quartier général d’Ay-Roop, dans le cadre du festival des Tombées de la nuit. Entre performance, théâtre, danse et cirque, l’artiste entraîne le public dans une bluffante et passionnante aventure à la croisée des arts vivants. Elle y questionne les notions de féminité et de masculinité, le genre et les identités, avec humour et sincérité.
Arrivée dans le monde du cirque par pur hasard, la circassienne Sandrine Juglair a développé une pratique à la rencontre des arts vivants. En lieu et place de l’ancien Antipode, le festival des Tombées de la nuit, en partenariat avec Ay-Roop – Scène de territoire cirque, programme Dicklove de Sandrine Juglair. Véritable show, il prolonge la réflexion de l’artiste autour de la transformation initiée avec son premier spectacle Diktat (2014) et poursuit son questionnement autour du genre et des identités entrepris avec Plastic Platon, duo avec Julien Fanthou, alias Patatchouille.
Loin des codes traditionnels circassiens, Dicklove croise les arts vivants de la même manière que Sandrine Juglair croise les genres.
À la suite d’un essai infructueux en sociologie et au cours d’une année sabbatique, Sandrine Juglair s’inscrit, un peu sur un coup de tête, dans une formation pour apprendre le mât chinois. Une fois le pied dedans, elle ne s’est jamais arrêtée. « La spécialité était encore récente, il y avait tout un terrain à découvrir », déclare la circassienne. Pratique très récente à l’époque, au milieu des années 2000, c’est dans cette discipline où tout était encore à faire que Sandrine s’épanouit. Le potentiel théâtral du mât chinois séduit rapidement la jeune femme, mais dans une société qui cloisonne les rôles, le chemin pour y parvenir n’était pas des plus aisés. « Il y avait aussi un petit challenge personnel », confie-t-elle. « Aucune femme pratiquait le mât. J’étais attirée, mais on m’a dit que ce n’était pas fait pour nous. » Au lieu de la décourager, cette distinction (partiellement infondée) renforça son idée. La suite lui donnera raison puisqu’en 2008, elle sort diplômée du CNAC, centre national des arts du cirque.
Loin de se considérer comme une « super woman », Sandrine ne nie pas la force physique nécessaire à la pratique. Cependant, comme elle le souligne à juste titre, chaque artiste peut s’approprier son agrès à force d’entraînement, selon l’orientation qu’il ou elle désire prendre. « Ce n’est pas une spécialité qu’on apprend facilement si on a jamais pratiqué de sport, mais c’est le cas pour beaucoup de disciplines dans le cirque », poursuit-elle. « Techniquement, le mât chinois mettait en avant la force physique, mais il suffisait juste de le développer autrement. On peut faire passer beaucoup de choses sur le mât et il y a différentes façons de l’aborder. » Et qu’il s’agisse d’une approche en force ou en douceur, une femme sait faire preuve de force physique de la même manière qu’un homme peut aborder une discipline avec douceur.
Interprète pour diverses compagnies, Sandrine Juglair a d’abord participé au spectacle de fin d’études La part du loup, mis en piste par Fatou Traoré. Puis, elle rejoint la compagnie Cahin-Caha pour la création REV en 2010 et travaille pour différents projets, notamment avec La Scabreuse, le chorégraphe François Raffinot ou encore l’Opéra la Scala de Milan. En 2011, elle crée une forme courte en duo avec Jean-Charles Gaume, J’aurais voulu. « C’est hyper stimulant de rencontrer d’autres façons de faire, d’autres écritures et de travailler au plateau avec d’autres gens », s’enthousiasme-t-elle. « On a juste à profiter de la création. »
Récemment, Sandrine a également travaillé avec la compagnie Anomalie pour La Mélodie de l’hippocampe et retrouvé la compagnie Inhérence de Jean-Charles Gaume pour le spectacle Radius et Cubitus. Toutes deux compagnies de cirque, elles traversent respectivement les arts vivants, notamment le théâtre, avec des univers très marqués. Une sensibilité qui anime également la circassienne et qui transparaît dans sa compagnie créée en 2014 avec un premier spectacle, Diktat.
Spectacle à la forte dimension théâtrale et clownesque, Diktat révèle sans conteste son penchant pour le jeu. Par le biais du personnage d’une actrice en proie à la peur d’être oubliée et abandonnée par son public, sont questionnés le regard des autres, son impact sur chacun et les rôles qu’il nous arrive de jouer dans la vie. « On ne va pas parler de la même manière à son banquier qu’à son meilleur ami », souligne-t-elle avec humour. « Et c’est pareil au plateau. J’ai créé un pont avec le personnage de cette actrice qui cherche absolument à ne pas disparaître et à plaire au public. »
La transformation faisant partie d’elle, Sandrine y joue plusieurs personnages. Parmi eux, un homme. Sans pouvoir réellement l’expliquer, cette scène d’une dizaine de minutes seulement marquera particulièrement les esprits et déclenchera la suite de son aventure en tant que metteuse en scène. « Le genre n’était pas le propos de Diktat », précise-t-elle. « Je le voyais plus comme une autre transformation possible parce que l’actrice passait d’un personnage à un autre pour essayer de captiver les gens, les surprendre. » Peut-être est-ce dû au simple fait que ce soit une femme, mais Sandrine, intriguée par les réactions, s’intéresse au sujet. Elle tire le fil de cette thématique et Dicklove naît de ses recherches. « À force de m’en parler, je me suis demandée pourquoi une femme qui se transforme en homme, par le biais de posture et de son corps anormé parce que très musclé, suscite autant de réactions. »
En pleine réflexion sur le genre et les identités, elle crée, à la demande de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), Plastic Planton en duo avec Julien Fanthou, connu dans le monde du drag sous le nom de Patatchouille. Une occasion de développer une nouvelle facette de la problématique. « C’était intéressant d’avoir une confrontation avec une personne qui a une autre pratique, qui a ses questions là depuis beaucoup plus longtemps que moi. » Partant du Banquet de Platon, les deux partenaires s’intéressent particulièrement au discours d’Aristophane, un des invités du banquet, et le « mythe d’Aristophane ». À l’origine, les hommes étaient androgynes, ils étaient à la fois homme et femme. Leur ambition les amena à vouloir devenir l’égal des dieux, mais Zeus les punit de leur témérité en les affaiblissant : il coupa chacun d’eux en deux moitiés, l’une mâle et l’autre femelle. “Complets” avant de devenir “imparfaits”, les humains, arrivés sur terre, sont condamnés à chercher leur moitié… Prenant le texte au pied de la lettre, les deux artistes se mettent en scène avec humour et réunissent leurs corps avec… du papier fraîcheur ! Une manière décalée de parler de la quête de l’identité et de la contrainte des corps.
Dicklove s’inscrit dans la continuité directe de Plastic Platon et interroge avant tout les notions de féminité et de masculinité. En utilisant le mât chinois et le pole dance comme support, Sandrine Juglair traite ici de la transformation, du genre et du stéréotype. Le premier étant attribué au genre masculin et le second au féminin, elle met sur scène un mât chinois et une pole dance afin de révéler l’illégitimité de la réflexion et l’arriération du cloisonnement. « Chaque spécialité aborde la pratique de manière différente, mais il s’agit seulement de deux barres verticales. L’un ne s’adresse pas à un seul genre. » Pendant une heure, elle montre le regard biaisé de la société sur deux pratiques quasi identiques. « Les corps sont certes différents, mais c’est justement intéressant de faire bouger les lignes. La pratique est plus liée à notre personnalité qu’au genre », dit-elle avant d’avouer : « Comme je suis une personne cisgenre, je me suis posée la question de la légitimité. »
La réponse a été celle de l’autobiographie. « Je me suis rendu compte que je devais parler de moi », précise-t-elle. « Quand j’étais petite, on me traitait de garçon manqué, j’ai toujours aimé les activités physiques et j’ai choisi mât chinois alors qu’aucune fille en pratiquait. C’était quelque chose qui me suivait, mais qui n’était pas douloureux et ne remettait pas en cause mon identité de genre. » Sandrine Juglair part de l’intime pour arriver aux problématiques sociétales, à un discours plus libre pour que chacun ait sa propre interprétation.
« Dans Dicklove, la maîtrise de mes agrès est au service du propos. »
Un brin décalé, Dicklove croise théâtre, danse et cirque dans une performance aussi bluffante que passionnante. Imprégnée de théâtre et de jeu, Sandrine Juglair approche le public par l’humour de manière à capter son attention, le « prendre aux tripes ». « Le côté clown fait partie de moi. Je ne pourrais pas faire autrement, je trouve ça plus intéressant aussi. C’est une vision purement personnelle, mais si les choses sont amenées avec décalage, je les trouve plus fortes émotionnellement », explique-t-elle avant de poursuivre : « L’humour permet de mieux assimiler les choses qu’on a envie de nous dire. On embarque plus facile les gens. »
Mais Dicklove n’est pas seulement drôle, rires et larmes se mélangent et créent une ambivalence. Le spectacle raconte une véritable histoire. « Le jeu est omniprésent, mais en même temps ce n’est pas totalement du théâtre. » Plus la pratique de la circassienne évolue, plus la mise en scène est importante. Son rapport au jeu se fait de plus en plus assumé et affirmé. « J’ai besoin de ça pour être sur scène. Y a le travail du corps, mais il faut qu’il raconte quelque chose. »
Pour la première fois, elle sera accompagnée au plateau d’un musicien en live, Lucas Barbier, musicien de formation avec qui elle a déjà collaboré. Le duo partage la scène, crée une relation qui renforce la dimension théâtrale. Lucas Barbier va au-delà du rôle du musicien et devient le partenaire de scène de Sandrine Juglair. « J’avais besoin de théâtraliser sa présence », conclut-elle comme la confirmation qu’un spectacle résolument théâtral nous attend.
DISTRIBUTION
Avec Sandrine Juglair (mât chinois), Claire Dosso et Aurélie Ruby (dramaturgie), Lucas Barbier (création sonore), Julie Méreau (création et régie lumière), Max Heraud, Etienne Charles et La Martofacture (construction), Léa Gadbois-Lamer (costumes), Ay-Roop (administration, production et diffusion).
INFOS PRATIQUES
Ancien Antipode, 2 rue André Trasbot, 35 000 Rennes.
Jeudi 30 Juin 2022 22:30 > 23:30
Vendredi 01 Juillet 2022 22:30 > 23:30
Samedi 02 Juillet 2022 22:30 > 23:30
5€ / 2€ Sortir ! Tout public
Site des Tombées de la nuit
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