La première de couverture de gros Dictionnaire de psychologie et de psychopathologie des religions (1372 pages) indique que son élaboration et sa publication le furent sous la direction de deux spécialistes de psychologie et de psychopathologie : le premier auteur d’une thèse d’État sur L’expérience mystique entre réalisation ultime et folie : analyse épistémologique et psychopathologique (2008) ; le second Maître de conférences à l’Université de Strasbourg et Directeur des Études de l’Institut Universitaire d’Études Juives Elie Wiesel. Directeurs de l’édition, ils sont aussi ses rédacteurs les plus importants, car rien que dans la première partie de cet ouvrage intitulée Thèmes (428 p.), Stéphane Gumpper a rédigé vingt-cinq articles, dépassé par le second avec plus d’une quarantaine de contributions. Les intervenants extérieurs, quelle que fût leur célébrité (Élie Wiesel, Raphael Draï, A. Memmi, G. Haddad), n’en constituent qu’une petite partie. On retrouve la même proportion dans la seconde partie de l’ouvrage intitulée sobrement Biographies et qui réunit des fiches souvent remarquablement faites sur un éventail très large de personnalités dont l’activité théorique ou pratique a touché les thèmes de l’ouvrage.
Si nous revenons sur son intitulé, il convient de souligner que ce dictionnaire n’aborde pas les religions dans leur diversité, mais la religion ou, plus exactement, le phénomène religieux. Un phénomène religieux limité massivement au judaïsme et au christianisme romain, le volet protestant avec ses versions « évangéliques ou pentecôtistes » étant étrangement ignoré, excepté les œuvres de quelques-uns de ces représentants comme Henri Bois. On aurait aimé que la part consacrée à l’islam comme au bouddhisme soit autrement plus importante, comme celle consacrée à l’hindouisme. Quant au christianisme oriental et à la confession chrétienne orthodoxe, ils sont tout bonnement totalement absents. Les noms de Vladimir Lossky et du p. Lev Gillet apparaissent tout à coup dans l’article consacré au p. Louis Bouyer puis figurent dans l’index – sans plus. Quant au messianisme russe, les références en sont indigentes (p.250). Les spécificités de la prière monastique orthodoxe (prière du cœur) tout comme celles du dhikr souffique ne sont même pas signalées dans l’article consacré à cette activité. Un ensemble de manques aussi incompréhensible que regrettable eu égard au champ d’analyse.
On peut signaler également l’indigence de quelques articles. Celui consacré aux crimes rituels en France ne signale que celui de Blois, occultant le plus célèbre : le Miracle des Billettes (qui utilisait les Juifs et leurs crimes supposés pour confirmer le dogme nouveau de la présence réelle).
Ajoutons que l’art, comme expression du religieux dans ses formes les plus extrêmes, est totalement ignoré ; certes, cela aurait multiplié les entrées.
Cela dit, l’ouvrage défriche un terrain mal connu du grand public et il le fait avec bonheur. Sa lecture est passionnante, pleine d’enseignement sur les recherches pluricentenaires touchant les manifestations, parfois paradoxales, du phénomène religieux. Le lecteur a à sa disposition des articles de synthèse touchant des philosophes comme Bergson, Blondel, Kant, Hegel, Nietzsche, Schopenhauer, des « psychologues » comme Freud, Jung, Frankl, From, Reich, mais aussi des historiens comme Foucault, Benvéniste, de penseurs comme Bataille, etc. Dans une telle entreprise, il est toujours loisible de souligner la présence ou l’absence de tel ou tel – pourquoi Kant ou Festugières et l’absence de tout le mouvement surréaliste ? Par contre, quel plaisir de découvrir, pour un lecteur non spécialiste, les œuvres d’Hyppolite Bernheim, de Binet-Sanglé, de Clérambault, etc.
On regrettera toutefois des prises de position très orientées. C’est le cas du traitement réservé à Mircea Eliade. Souligner ses tentations fascisantes est légitime, par contre parler « d’un sulfureux historien des religions » (p. 658, alors que le même auteur de cette fiche ne caractérise pas ainsi un Alexis Carrel qui l’aurait autrement mérité) et réduire son œuvre « à une prétention scientifique illusoire et somme toute stérile » (p.691) est pour le moins affligeant. D’autant plus que dans sa présentation souvent remarquable de l’œuvre, l’auteur oublie totalement les recherches originales d’Éliade sur le christianisme cosmique de la confession orthodoxe, malheureusement absente, comme nous l’avons souligné, du champ de recherche des auteurs.
Ces absences et limites ponctuelles, toutes regrettables qu’elles soient, sont loin de réduire à néant l’ensemble d’une œuvre au demeurant très riche et qui trouvera sa place dans la bibliothèque de tout honnête homme.