Faire d’un procès une oeuvre littéraire c’est le pari réussi de Dimitri Rouchon-Borie qui confirme le talent révélé avec Le Démon de la colline aux loups. Une des révélations littéraires de l’année.
Ils sont trois. Ils sont odieux. Bêtes. Pervers. Irrécupérables. Insondables. Malades. Ils sont tout cela. Ou peut-être pas. Comment savoir quand on touche le tréfonds de l’âme humaine. On peut leur donner trois noms, pour tenter de les rendre moins irréels. Il y a Ka « formé comme au sortir du moule. Angles. Lignes. Angles ». Il y a Ron, monsieur Ron, « ventre rebondi » aux « globes oculaires qui tournent dans les orbites ». Et enfin Monsieur Petit parce qu’il n’est pas grand.
Ces trois là se retrouvent dans le prétoire d’une Cour d’Assises, devenu le temps d’un procès le théâtre des horreurs et des paumés. Avec leurs mots à eux, ils dévient la trajectoire des phrases, du vocabulaire pour tenter d’atténuer leur absence totale d’humanité. Ils ont fait à un homme, Vouté, ce qu’il est inconcevable de faire et l’ont torturé jusqu’à la mort. Pour sauver l’honneur de sa petite amie, pour quelques grammes de coke, pour rien.
Dimitri Rouchon-Borie est dans la salle d’audiences. Il écoute, il écrit. C’est son métier puisqu’il est chroniqueur judiciaire au Télégramme. Il publie son compte-rendu étoffé en 2018 et l’intitule simplement « Au Tribunal » (Manufacture des Livres). Mais depuis le journaliste a osé quitter le réel pour la fiction et son roman, l’un des plus remarquables des derniers mois, Le Démon de la colline aux loups (Le Tripode), lui a ouvert un autre univers, celui de la littérature. Le grand pas franchi, il ose « larguer les amarres », il reprend son récit journalistique, le complète et cherche à traduire les faits en version personnelle. Il remplit de son écriture magnifique les vides laissés par les réponses laconiques des accusés à la Présidente du tribunal, pour se frayer un chemin au travers de l’horreur des faits.
Habitué par son métier à entendre les souffrances du quotidien, il raconte à sa manière, avec un style unique et tranchant, proche souvent du langage parlé, indissociable de la misère intellectuelle exprimée à la barre. Dans le premier roman, il avait utilisé les seuls points comme ponctuation. Cette fois-ci les dialogues occupent une place importante, tant leur sécheresse exprime l’absence d’empathie. On se remémore alors les textes quotidiens de Yannick Haenel pour le procès de Charlie de Janvier 2015. Même sidération, même incompréhension, même difficulté de juger.
Le lecteur hésite, perd ses certitudes et les mots de justice, égalité, compréhension, ont du mal à trouver leur signification. Le texte s’interrompt d’ailleurs de manière brutale: pas de jugement, pas d’interprétation. On est au-delà de l’humain, dans une zone noire rarement approchée. Dans Le Démon de la colline au loups, Rouchon-Borie, racontait à la première personne les souffrances enfantines de Duke, le narrateur.
Dans Ritournelle, pas de passé, ou si peu, la violence d‘un père est évoquée assez rapidement, et cette absence de causes à effets nous laisse sur le carreau. Au lecteur d’aller au fonds du puits chercher un peu de lumière. À lui de comprendre, à défaut d’excuser. Cette inhumanité que l’on traque dans les actes de génocide, de guerre, elle est ici ramenée à la banalité du quotidien. Dans un studio, pour palper du fric, pour palper une fille. Et le gouffre n’en est que plus grand. En deux ouvrages parus à quelques semaines d’intervalle, Dimitri Rouchon-Borie a commencé à tracer un sillon littéraire d’importance. On attend avec impatience la suite.
Ritournelle de Dimitri Rouchon-Borie. Éditions Le Tripode. 160 pages. Publié le 20 mai 2021. 15€.
L’illustration de couverture a été réalisée par Delphine Rivals.
Dimitri Rouchon-Borie
Dimitri Rouchon-Borie est né en 1977 à Nantes. Il est journaliste spécialisé dans la chronique judiciaire et le fait divers. Il est l’auteur de Au tribunal, chroniques judiciaires (La Manufacture de livres, 2018). Le Démon de la Colline aux Loups est son premier roman.