Hyam Yared, de feu et d’eau

du feu autour de l'oeil hyam yared

20 ans ! Le temps qui sépare aujourd’hui Du feu autour de l’œil de Blessures de l’eau1 hier. Le temps de quelques romans dans diverses maisons d’édition (Sabine Wespieser, Flammarion…). Hyam Yared revient ici à la poésie, nous revient en poésie, entre le feu et l’eau.

Le feu partout, dans les villes et dans les corps, incendiant maisons et forêts, déchirant les vies. L’eau, celle du vivant, faite pour nous sauver, portant, elle aussi, d’autres menaces quand elle vient à manquer ou lorsqu’elle emporte tout sur son passage. Le feu, l’eau, deux forces redoutables dans ces temps de dangers. Car la vague elle-même ne vient plus seulement s’échouer sur les plages, elle frappe et rend la terre à l’océan. Le feu, l’eau, les corps, les villes, la mémoire sont là au cœur de l’ouvrage. En parcourant les premières pages de ce livre, je ne pouvais m’empêcher de penser au Liban et à ses phrases ouvrant Implosions1 : « Le 4 août 2020 à dix-huit heures sept, peut-être huit ou neuf, les minutes varient, il faisait beau. J’étais en vie. À quatre pattes. À genoux. Propulsée par le souffle. Mise à terre. »

du feu autour de l'oeil hyam yared

Oui, certes, mais aussitôt debout, malgré les blessures, malgré les défaites, dois-je ajouter. Car c’est aussi cela la poésie, cette nécessité impérieuse à nos réalités et à « nos imaginaires blessés ». Hyam Yared sait de quel horizon elle parle. Depuis cette terre de « citronniers brûlés de l’enfance ». Elle sait aussi qu’il existe, derrière ce monde des ombres condamnées à errer, un autre monde.

Oublie l’eau. Les reflets remontent si peu à la surface des eaux troubles. Oublie la mer. Les migrants sont des chiffres muets. Oublie la terre. Elle est une idée pour le ressac. Oublie la ville. Elle est shootée à son naufrage. Oublie-moi. Je suis la mémoire d’un autre.

Si l’ombre d’un nuage est un nuage qui passe je serai ombre
Et si l’ombre d’un pays est un pays qui souffre, je serai lui.
Je serai toi.

20 ans pour un monde de plus en plus bousculé, chaque jour plus déchiré, c’est aussi un fil qui relie Du feu autour de l’œil et Blessures de l’eau, les deux recueils ici réunis. Ce fil ? L’amour.

Je me suis retirée de la nuit pour entrer
Dans ton corps. Plus rien ne me capture. Ta main m’ouvre le jour. Je suis ta nudité.

Il y a moi, eau lascive qui se répand en grappes jusqu’à tes lèvres.

J’ai grandi comme une fleur de sel
Dissoute dans ton haleine.

Hyam Yared nous réapprend dans son livre à nous regarder sans rien fuir du regard. Elle nous offre une page de respiration sur ce que nous avons sur tous les continents en héritage, l’humanité.

Du feu autour de l’œil, éditions Mémoire d’encrier, Montréal, avril 2025, 146 pages, 15€.

Éditions des Équateurs, 2021Première édition chez Dar An-Nahar, 2001

Jean-Louis Coatrieux
Jean-Louis Coatrieux est spécialiste de l’imagerie numérique médicale, écrivain et essayiste. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment aux éditions La Part Commune et Riveneuve éditions.