Les éditions La Part Commune font partie du paysage éditorial de Bretagne depuis une vingtaine d’années. Créées par Yves Landrein voilà 25 ans et précédées par une première maison, Ubacs (1976-1993), cet éditeur infatigable, lui-même poète, mettait en exergue une littérature exigeante en donnant une large place à la poésie, notamment à des auteurs tombés dans le domaine public. Mireille Lacour, sa compagne, a relevé le défi de poursuivre son œuvre après sa disparition en 2012 jusqu’à donner aujourd’hui à La Part Commune une troisième vie en confiant la maison à Nicolas Sansonnet. L’occasion se présente donc de l’introduire et de lui demander en toute confidence ses projets.
Unidivers : Qui êtes-vous Nicolas Sansonnet ?
Nicolas Sansonnet : C’est drôle, votre question me rappelle la mystérieuse carte que reçoit Sophie au début du roman de Jostein Gaarder. Comme elle, j’ai lu la question (et le livre) à l’adolescence et je crois bien qu’à 42 ans je me la pose encore parfois ! Qui je suis ? Un grand lecteur sans aucun doute, un rêveur je crois. Mais il a bien fallu s’ancrer dans une réalité. J’ai choisi celle du Droit et de la finance. J’ai d’abord étudié à l’université de Bordeaux puis j’ai travaillé pour une grande firme de conseil anglosaxonne au Luxembourg, en tant que fiscaliste international. Je suis toujours dans le secteur. À côté, j’ai ma vie de famille avec mon épouse rencontrée il y a 18 ans dans une soirée bordelaise, elle est biélorusse (je lui dois la magnifique découverte de Boulgakov), mes deux filles de 13 et 9 ans, et quelques animaux : chien, chat, chevaux… J’ai en tous cas une existence bien remplie !
Unidivers : Comment avez-vous découvert La Part Commune ? Quels sont les éléments qui vous ont convaincu de vous lancer dans cette aventure totalement nouvelle pour vous ? Un rêve ou une promesse d’enfant, la recherche d’un équilibre entre activité professionnelle et passion pour la littérature ? Et sur un autre plan, qu’est-ce qui vous a séduit dans cette maison d’édition ?
N.S. : Un rêve, une passion, une quête… Il faut de tout cela pour se lancer dans l’édition, un secteur qui est loin d’être aisé. Comme tout grand lecteur, il y a le rêve de n’être plus passif, d’apporter une modeste pierre à ce monument, cette merveille devrais-je dire, bâtie siècle après siècle par l’Homme, et qu’est la Littérature. Chacun y va de sa propre contribution, selon ses capacités, ses moyens. Je me suis plu à l’idée de cultiver à la fois le patrimoine littéraire, faire en sorte qu’il ne se perde pas, mais aussi de l’enrichir par la découverte de nouveaux auteurs. Et je dois dire qu’il y a eu ce que l’on appelle communément un formidable « alignement de planètes ». Dans ma recherche de maisons d’édition à reprendre, La Part Commune m’est apparue comme une rare pépite, elle réunissait tous mes critères. D’une taille humaine qui permettait une reprise, avec une belle histoire construite sur près d’un quart de siècle, un fondateur emblématique — Yves Landrein —, un catalogue de presque 400 titres qui sourd comme le filtrat le plus pur, et surtout une entreprise entourée des esprits les plus brillants, des passionnés, des humbles contributeurs à cette formidable aventure humaine. C’est la rencontre d’une vie.
À l’instant où je suis reparti de Rennes, après trois jours de travail pour découvrir la maison plus en détails, je me suis senti investi de la mission de la reprendre. Mais il me manquait l’essentiel. Car l’on oublie très souvent qu’une maison n’est pas qu’un catalogue, mais que toute la chaîne de production du livre doit être assurée. Et par je ne sais quel miracle, Justine Hautin est arrivée, jeune éditrice tout droit sortie de son Master en Métiers de l’Édition de Rennes, pleine d’énergie. Mireille Lacour et Jacqueline Veillard m’avaient assuré de leur soutien, ainsi que les universitaires qui entourent la maison (nommons Vincent Gogibu, Frank Javourez, Élodie Dufour). Thierry Gillyboeuf — notre traducteur de Thoreau notamment — nous suivait, ainsi que tous les auteurs historiques de la maison… l’équipe de reprise était ainsi constituée, une équipe multi-compétences, une équipe de passionnés. C’est un sentiment si exaltant ! On ne sait pas ce qui va nous arriver, mais l’on sait que ce sera nécessairement grandiose !
Unidivers : Une nouvelle vie donc mais au cœur de son histoire et avec ceux qui ont participé à cette aventure. Ceux que vous citez sont les chevilles ouvrières de la collection La Petite Part, une collection reprenant des textes introuvables mais toujours de grande actualité. Poésie, récits, correspondances, quelques traductions, beaux-livres et quelques romans aussi… vous avez sans doute en tête des chemins nouveaux que vous souhaiteriez explorer. Dites-nous tout ! Vers où voulez-vous emmener les lecteurs actuels et futurs de La Part Commune ?
N.S. : Il est certain que nous demeurons fidèles aux auteurs « historiques » de la maison, ceux que Yves Landrein a découvert et qui ont encore beaucoup à nous apporter. De même que nous restons fidèles à cette volonté de faire ressurgir des textes oubliés, voire inédits, ce qui était également son idée. Mais si Yves était encore parmi nous aujourd’hui, je sais qu’il ne s’arrêterait pas là, qu’il chercherait inlassablement de nouvelles plumes, ne nouveaux étonnements littéraires, qu’il laisserait la place à de jeunes auteurs notamment. Je suis animé de la même démarche : continuer à fouiller le passé littéraire mais aussi proposer de nouvelles choses, être surpris soi-même pour surprendre le lecteur. J’ai lu quelque part que tout avait été fait en matière littéraire, que l’avenir ne serait qu’un remaniement de schémas et de styles déjà traités. On dit la même chose en matière musicale d’ailleurs. Je ne crois pas à ça. Il y a toujours des génies pour bousculer nos idées préconçues. C’est notre mission commune à l’ensemble des maisons d’édition de déceler la nouveauté, de provoquer le lecteur, de l’emmener hors de ce qu’il connaît déjà, de le remuer, de le marquer.
Unidivers : Des changements prévus peut-être dans l’édition des livres (formats, jaquettes…) ? Dans la politique de communication, l’organisation de rencontres et la présence dans des salons ? Nouvelle collection… ?
N.S. : Oui, beaucoup de changements, beaucoup d’investissement. En plus de rafraîchir et moderniser les collections existantes (en agrandissant notamment les formats des correspondances), nous lançons au troisième trimestre deux nouvelles collections. La collection « Un monde à parts » accueillera nos romans et recueils de nouvelles d’auteurs actuels. C’est une collection qui adoptera un format comparable à celles des plus grandes maisons d’édition. Elle sera symbole d’élégance, de sobriété et surtout d’intemporalité. C’est notre « blanche ». Nous lançons également la collection « La part poétique », dans un grand format imprimé sur un papier italien de grande qualité. Nous sommes dans une période de renouveau de la poésie, les libraires nous ont confirmé que les jeunes en lisaient de plus en plus. Et c’est génial ! Nous voulons publier une poésie non pas élitiste, mais « qui parle aux gens », qui les touche directement. C’est l’essence même de la poésie, mouvoir profondément le lecteur. On dit que la poésie « ne se vend pas », on lui réserve un traitement intimiste. Nous voulons prendre le contrepied de cela, mettre en avant la poésie dans une collection grand format dont la page ne serait que le passe-partout de mots mis en exergue. Nous voulons construire une galerie de textes poétiques, mettre le genre sur un piédestal.
Nous réfléchissons enfin à l’idée de lancer une collection de romans graphiques dès 2024. C’est dans l’ère du temps, et c’est en même temps un domaine où j’ai le sentiment que peu de risques sont pris par les maisons d’édition. En tant que maison d’édition indépendante, je me dis que nous devons prendre des risques avec des auteurs audacieux, qui réunissent à la fois l’exigence du texte et du graphisme. Nous sommes à cet égard exclusivement dépendants de ce que l’on peut nous proposer, et je profite donc de cette interview pour lancer un appel à tous ceux qui savent à la fois écrire et peindre ou dessiner : étonnez-nous !
Unidivers : En avant-première, quels sont les auteurs et les titres que vous avez retenus pour l’instant ? La programmation est-elle déjà bouclée pour cette année ? D’autres peuvent-ils être soumis dès maintenant ?
N.S. : Ah vous me tentez ! Car si je me suis lancé dans cette aventure, c’est avec ce désir secret — qui n’en est pas vraiment un — qu’un jour peut-être je lancerai la révélation d’un ou d’une futur(e) auteur(e). Je pensais que ça prendrait longtemps, une décennie voire plus. Et je crois bien que la chance m’a souri dès la première année. Nous publierons le premier roman d’une auteure en septembre qui a été pour moi une « claque littéraire ». C’est un « road-trip » à la Kerouac au féminin, un cocktail littéraire que l’on aurait cru impossible et qui m’évoque autant Duras que Henry Miller ou Proust pour l’introspection. C’est à la fois drôle, provocateur, d’un style pleinement assumé, alimenté d’une immense culture à son jeune âge, C’est une grande fierté de la publier. Et ce n’est pas seulement l’idée de ce premier roman, mais c’est tout son univers personnel qui séduit. Nous sommes déjà dans l’attente impatiente du prochain roman dont nous connaissons le sujet, une biographie qui sera nécessairement très attendue. Je ne vous en dis pas plus, mais j’attends avec excitation l’avis des critiques littéraires. Surveillez le nom de Constance Courson !
Avec elle, il y a le grand Pierre Kyria qui nous offre un recueil de nouvelles, un auteur discret et pourtant grandiose, grand critique littéraire qui a voué sa vie à l’écriture. Nous publions aussi le nouveau roman de Jeff Sourdin, un auteur audacieux puisqu’il nous avait embarqués avec son étonnant roman Ripeur dont le héros n’est autre qu’un jeune éboueur. Ça a été un très beau succès et je suis convaincu que son nouveau roman qui débute comme un thriller, un jeu de pistes et d’intrigues, va susciter bien des interrogations chez nos lecteurs. Nous faisons aussi la part belle aux auteures cette année — et à juste titre — puisque nous publierons également le somptueux premier roman de Virginie Ducay, Attendre Anna, à l’atmosphère poignante autour de la disparition d’une femme partagée entre sa vie de famille et son amant, ainsi que le roman de Mérédith Le Dez, Une Musique française, qui évoque également une disparition, mais cette fois celle d’un candidat à la présidentielle le soir du second tour. Au côté de ces auteurs qui confirment leur talent littéraire, La Part Commune a aussi à cœur d’apporter des « poids lourds » au lectorat français et je suis heureux d’annoncer que nous avons acquis les droits de traduction de The Tender Bar de l’auteur américain J.R. Moehringer, Prix Pulitzer pour son travail de journaliste. Son roman est considéré comme un best-seller aux États-Unis, il a été adapté au cinéma par George Clooney avec Ben Affleck d’ailleurs nommé aux Golden Globes pour son rôle. J.R. Moehringer est revenu récemment sur le devant de la scène puisqu’il est le prête-plume du Prince Harry pour ses mémoires. Le livre The Tender Bar a été traduit en 16 langues mais jamais en français. J’ai été conquis par ce livre qui sera traduit par Thierry Gillyboeuf, Prix Jules Janin 2022 de l’Académie française.
Bref, je me sens terriblement chanceux pour le lancement de cette nouvelle collection de romans ! Et pour finir de répondre à votre question, oui le programme est complet pour 2023. Nous travaillons actuellement au programme éditorial 2024, donc que les auteurs n’hésitent pas à nous faire parvenir leurs plus beaux textes… et leurs romans graphiques.
Unidivers : Rêves, nous avez-vous dit. Que seraient-ils pour vous avec La Part Commune ?
N.S. : Yves Landrein a voué sa vie à la littérature et à sa maison d’édition. Mon rêve premier est qu’une maison d’édition comme la nôtre transcende l’individu et qu’elle traverse les décennies, voire les siècles pour porter l’œuvre littéraire. Je conçois ma contribution comme un maillon.
Mon second rêve est qu’elle révèle les nouveaux « auteurs classiques » de demain. Et sans fierté aucune, je nous crois bien partis !
Bonsoir, bonne chance à la nouvelle équipe et à Nicolas Sansonnet dont l’enthousiasme me ravit. Un bémol cependant : en tant qu’auteur de la Part commune j’aurais bien aimé avoir une réponse positive ou négative à l’envoi de mon dernier manuscrit “Une belle saison”. Bien cordialement.