Entretien avec Thomas Van Ruymbeke, directeur de la maison d’édition rennaise Les Perséides et traducteur d’Holocène. Comment le climat a changé le destin de l’humanité de Brian Fagan.
Unidivers : Vous venez de publier Holocène, de Brian Fagan, aux éditions rennaises Les Perséides. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet ouvrage ?
Thomas Van Ruymbeke : Brian Fagan est un anthropologue américain qui a publié de nombreux ouvrages d’histoire climatique outre-atlantique depuis le début des années 2000, c’est un des pionniers de l’histoire environnementale. Holocène (The Long Summer en anglais) aborde la question du réchauffement climatique à travers les âges depuis la fin de l’ère glaciaire jusqu’à ce qu’on appelle l’optimum climatique médiéval, une période de réchauffement prolongé qui a provoqué des sécheresses dévastatrices dans le monde. Cette histoire des civilisations invite le lecteur à un fascinant voyage dans le temps et l’espace, mais porte aussi une réflexion sur les enjeux du réchauffement climatique actuel, du moins son accélération due aux activités anthropiques. Comment les sociétés humaines ont-elle réussi à s’adapter au fil du temps, et pourquoi et comment certaines se sont-elles effondrées ?
Unidivers : Quelles leçons l’histoire enseigne-t-elle plus particulièrement au lecteur contemporain ?
T. Van R. : La question qui se trouve au centre d’Holocène est celle du seuil de vulnérabilité. A quel moment une société le franchit-elle, consciemment ou non, et peut-elle revenir en arrière ? Ce que montre Brian Fagan, c’est que la sédentarisation et l’urbanisation ont joué un rôle majeur dans le développement des civilisations, tout comme la domestication des plantes et des animaux sauvages. Tout cela a permis à l’humanité de résister collectivement aux aléas du climat et de connaître une croissance exceptionnelle, mais l’a rendue aussi plus vulnérable à de grands cataclysmes. Brian Fagan compare notre société à un supertanker indifférent aux remous mais pouvant sombrer ou s’écraser sur une falaise en cas de panne électrique ou d’avarie mécanique, là où le petit voilier aura de meilleures chances de s’en sortir. « La survie est souvent une question d’échelle », nous dit-il.
Unidivers : Avez-vous d’autres projets de publication dans cette nouvelle collection, « L’œil du cyclone » ?
T. Van R. : La collection compte déjà trois ouvrages, notamment Pris dans les glaces, qui relate les expéditions du navigateur hollandais Willem Barentsz, en quête du mythique passage du Nord-Est, qui n’existait pas à la fin du XVIe siècle mais auquel la fonte de la banquise a aujourd’hui donné naissance. Son bateau ayant été immobilisé, Barentsz va passer le long hiver polaire dans une petite cabane avec ses hommes et vivre une des plus incroyables expériences de survie de tous tes temps. En solo est une « expérience en imagination », un essai dans lequel les deux auteurs imaginent ce que serait, très concrètement et à partir de solides données scientifiques, la vie des chiens dans un monde dont l’homme aurait totalement disparu. La question du retour au sauvage d’une espèce domestique est passionnante.
Deux autres livres de Brian Fagan sont en cours de traduction, dont un qui abordera la question cruciale de l’eau et son rôle dans l’histoire humaine : Elixir. Confrontés à des étés de plus en plus secs, nous commençons aujourd’hui à prendre conscience – doucement, certes – des enjeux qui sont liés à la gestion de cette ressource vitale qui pourrait venir à manquer cruellement dans les décennies à venir. Là encore, il y a des enseignements à tirer des expériences du passé, y compris celles de civilisations lointaines.
Holocène. Comment le climat a changé le destin de l’humanité, de Brian M. Fagan, traduit de l’anglais (USA) par Thomas Van Ruymbeke. Rennes, Les Perséides, mai 2023. 440 p., 23€.