Après Ici Même, La Boîte à Bulles, Félès, Unidivers poursuit ses rencontres avec des maisons d’édition BD moins exposées, mais aussi essentielles à la diversité du neuvième art. Michel Jans, sans langue de bois, nous raconte l’histoire et le quotidien de la maison d’édition de St Egrève dans l’Isère. Une maison sous forme associative exceptionnelle.
Unidivers : quand sont nées les éditions MOSQUITO ? Estimiez-vous qu’il y’avait un vide à combler dans le monde de l’édition BD ?
Michel Jans : Nous avons fondé les éditions Mosquito en 1989. Nous étions une association regroupant des passionnés de BD et nous publiions un fanzine. Nous sommes passés à l’édition car nous étions à l’étroit dans le fanzinat. Ce faisant, nous n’avions pas la prétention de combler un vide, de révolutionner le monde de la bande dessinée ! Nous avons juste souhaité mettre en lumière des auteurs pas ou mal pris en compte par les « grandes » structures éditoriales. Nous avons permis à certains auteurs de trouver un public et de continuer leur création, en ce sens nous pensons être utiles. L’exemple emblématique est celui de l’auteur italien Sergio Toppi qui avait été complètement oublié. Nous lui avons permis de refaire de la création et depuis nous vendons ses droits dans le monde entier de la Chine au Japon en passant par les USA. Nous avons publié une trentaine de ses livres… et nous continuons l’édition de son œuvre foisonnante et remarquable.
U : Privilégiez-vous les « coups de cœur » ?
Michel Jans : Effectivement, nous ne choisissons pas nos publications en fonction de leur potentielle et hypothétique rentabilité. Comme pour tout amateur, la première chose c’est le choc graphique, mais ce qui reste c’est la qualité d’une histoire… En fait nous nous adressons à un public relativement restreint, amateur de graphisme fort, de bande dessinée originale.
U: Comment fonctionne votre structure ? Combien êtes-vous ?
Michel Jans : Nous sommes toujours une association 1901 d’une vingtaine de membres, le noyau actif est de quatre personnes dont une salariée.
U : On constate une propension comme d‘ailleurs les éditions Ici Même à éditer des auteurs italiens ? Pour quelle raison ? Y a-t-il une niche dans ce domaine ?
Michel Jans : Nous avons publié beaucoup d’auteurs italiens parce que je parle italien et que je connais assez bien la scène transalpine. Nous avons des conceptions esthétiques et narratives voisines, bref beaucoup d’affinités… Je signalerai que nous sommes plutôt ouverts à l’international puisque nous avons aussi publié des auteurs espagnols, chinois, cubains, finlandais, américains… En fait, il faut être curieux et ouvert pour trouver des pépites. Il n’y a pas qu’en France qu’il y a des auteurs talentueux.
U : Quelle part attribuez-vous à la réédition d’anciens albums passés souvent inaperçus à leur sortie à tort ? À l’édition d’œuvres originales ?
Michel Jans : On nous a parfois considéré comme un éditeur patrimonial, nous avons effectivement sorti de l’oubli des auteurs comme Toppi, Battaglia, Micheluzzi… Mais si l’on regarde moins superficiellement notre production (plus de 300 titres), on constatera que nous avons publié de nombreuses œuvres d’auteurs débutants et que nous continuons à les accompagner même si ce n’est pas rentable. Ce qui nous intéresse c’est l’originalité et la qualité de la démarche de ces auteurs. Nous avons une bonne part de création dans le catalogue.
U : Recevez-vous beaucoup de projets ?
Michel Jans : Cela dépend des périodes, en général quatre à cinq projets par semaine. Internet facilite les contacts en particulier à l’international, ceci dit bien des jeunes créateurs envoient des projets qui ne correspondent pas du tout à notre ligne éditoriale et donc n’auront aucune chance d’être publiés, du moins chez nous.
U : Avez-vous les moyens d’accompagner de jeunes auteurs dans leurs créations ?
Michel Jans : Nos moyens sont restreints, mais tous les auteurs, même les débutants reçoivent des avances sur les droits d’auteur, certes ce n’est pas énorme, mais dans le paysage actuel, il n’est pas du tout évident de se faire remarquer et d’exister… L’accompagnement se fait aussi au niveau de la création, nous discutons souvent durant la réalisation. L’édition c’est également un échange avec les auteurs.
U : Quelles sont vos relations avec les maisons d’édition de même taille ?
Michel Jans : Avec les « grandes » maisons ? Peu de relations, chacun travaille dans son coin avec ses difficultés et ses problèmes. Je constate et déplore un grand manque de curiosité chez nos collègues, la plupart semblant persuadés qu’il n’y a que leur production qui est valable… Nous avons quelques affinités avec d’autres labels indépendants et en festival il nous arrive d’échanger. Les « grandes » structures nous ignorent, nous ne sommes pas une réelle concurrence, les relations sont malgré tout cordiales.
U : Des auteurs BD connus qui assureraient un tirage important et donc des rentrées financières sont-ils inaccessibles pour une maison comme la vôtre ?
Michel Jans : Nous avons publié des livres avec des auteurs connus (Hermann, Prado, Pellejero, Lepage, Giardino, Serpieri…). Ils ont accepté de travailler avec nous parce qu’il s’agissait souvent de livres sortant des sentiers battus et parce qu’ils apprécient notre travail. Comme ces ouvrages étaient « différents », leur impact commercial a été relativement restreint. Nous n’avons pas les moyens de leur faire réaliser des œuvres originales grand public, mais cela ne nous gêne pas.
U : Rêvez-vous d’un nouveau prix à Angoulême ou … ailleurs ?
Michel Jans : Rêver d’un prix à Angoulême ? Non, nous en avons eu un, cela ne change rien. Qui se souvient des prix attribués ? C’est encore plus grotesque quand c’est donné par de petits festivals – même si la démarche est sympathique. Nous ne concourons en général pas aux divers prix, je trouve ridicule de courir après les « bons points » et je constate après trente ans de métier que bien des prix puent le copinage et la mode parisienne.
U : la recherche de financement, de subventions est-elle une tâche majeure dans votre métier d’éditeur ?
Michel Jans : Pas du tout. Les subventions sont utiles notamment pour les œuvres d’auteurs débutants, mais sur le long terme c’est de la morphine qui vous éloigne de la réalité. Ceux qui en ont abusé en ont crevé. La réalité c’est de trouver son public… ce n’est, hélas, pas facile.
U : Dernière question incontournable cette année : comment s’est passé le confinement et quelles sont ces conséquences financières pour votre maison ?
Michel Jans : Comme pour toutes les petites structures, cela a été difficile : nos sorties du premier trimestre sont passées à la trappe, vu que les librairies étaient fermées et les festivals supprimés. Nos charges, elles ont continué à tomber. La période à venir est sombre, nous sommes contraints de baisser la voilure et ceux qui vont en pâtir ce sont les « petits » auteurs car nous n’aurons, à moyen terme, pas la possibilité de les publier et de les soutenir. À noter que les aides du CNL pour les petits éditeurs ont été très utiles, nous ne crachons pas sur les subventions quand elles arrivent à point nommé !
Comme un exemple des exigences manifestées dans l’entretien, la parution de Leonard de Vinci : l’ombre de la conjuration témoigne de la qualité du travail fourni par Mosquito. Ce qui frappe en ouvrant cet ouvrage c’est l’exceptionnel graphisme qui allie des planches sépia « à la manière de » Leonard et les magnifiques planches de Antonio Lucchi. Nous errons dans les bas-fonds de Florence le plus souvent dans une lumière diaphane, rencontrons les pires crapules mais aussi côtoyons la beauté de la Cène dans le réfectoire du couvent de Sainte Marie Des Grâces. Le dessin est époustouflant. Mais comme le dit Michel Jans « ce qui reste c’est la qualité d’une histoire ». Et bien cette BD tient ses promesses puisqu’il s’agit d’un véritable polar historique dans lequel c’est le génial inventeur, écrivain, poète, architecte, peintre …. qui enquête sur la mort de l’un de ses amis. Et tout cela sous l’ombre maléfique de Laurent le Magnifique, seigneur tout puissant qui n’est jamais loin. Un magnifique album qui plaira aux amateurs de polar, d’histoire. De BD tout simplement.