Rennes domine le grand Ouest en matière d’édition scientifique et régionale. En parallèle de maisons qui prétendent à un rang national, de petites maisons œuvrent à la diversité et l’indépendance du milieu. Après avoir rencontré Jean-Marie Goater, Critic puis Pontcerq, cueillons maintenant les éditions l’œuf !
C’est bientôt l’œuf de Pâques ! Nous vous invitons à en cueillir un d’une nouvelle sorte, de forme rectangle ou carrée, souvent plate, avec des dessins, des bulles et parfois du texte : une bande dessinée ! Les éditions l’œuf, basées à Rennes, se consacrent essentiellement à ce secteur. Nos Requins Marteaux à nous, notre Association, notre Vide Cocagne ! Mandragore, l’une des éditrices que nous avons rencontrées, se sent d’ailleurs proche de la mouvance alternative de la BD : « BD indépendante, alternative, BD d’auteur, au choix », nous explique-t-il à la terrasse d’un café-librairie. Elle occupe d’ailleurs la fonction de trésorière au SEA, le Syndicat des Éditeurs Alternatifs. Créé en 2015, celui-ci se veut une seconde voie par rapport au SNE — le Syndicat National de l’Édition – baptisé en coulisse BEDEF (en référence, bien sûr, au MEDEF).
Comment est-elle apparue, la maison d’édition ? L’éternelle controverse de l’œuf et de la poule ? Plus simple, en vérité, mais pas moins passionnant. Au départ, l’œuf était couvé par les étudiants. En 1997, plusieurs passionnés se regroupent pour faire du fanzinat. Ce qui s’appelait « KOMANK SEKOUL » s’appellera donc plus sobrement l’œuf. Le bureau change : du reste, Mandragore insiste sur « une forme toujours évolutive ». Vers les années 2000, un tournant se profile : les éditions l’œuf font appel aussi à des auteurs extérieurs et troquent le fanzine pour de plus gros livres. Actuellement, l’association compte 3 personnes dans le bureau, Mandragore, Laëtitia Rouxel et le président, Roland Michon. Et toute une basse-cour de bénévoles et de participants…
Niveau ligne éditoriale, on passe un peu du coq à l’âne. Mandragore l’assume : « On nous a accusés d’avoir une ligne éditoriale sinueuse ». Il n’existe pas de collection, l’important reste « l’originalité graphique, la prise de risque ». L’œuf veut « faire ce qui ne se fait pas ailleurs ». D’où une certaine liberté de ton et une hétérogénéité de formats comme de contenus. C’est par exemple le cas de Striptique de Laëtitia Rouxel, « un jeu poético-narratif en bandes dessinées » dans un coffre sérigraphié. De Premières fois, de Zoraida Zaro, à l’identité graphique marquée. Ou le double-projet de L’Homme semence, des deux auteures et éditrices : cette coédition avec Parole propose, d’un côté, le récit de Violette Ailhaud écrit en 1919 et dessiné par Laëtitia Rouxel, de l’autre une sorte de BD documentaire sur la réception de ce texte, par Mandragore. S’il n’existe pas à proprement parler de ligne éditoriale, l’œuf aime croiser la BD et la poésie, comme dans l’album collectif Rhapsode ou Caresses déraillées de Baltazar Montanaro.
Dure l’édition associative ? On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. L’avantage réside dans l’exigence de qualité, la liberté de publier non pas seulement pour produire, mais pour faire découvrir. Les éditeurs sont aussi auteurs et doivent compter sur les amis bénévoles et les subventions. Avant 2011, les éditions l’œuf avaient un diffuseur, Le Comptoir des Indépendants. Jusqu’à aujourd’hui, c’est-à-dire pendant cinq ans, l’association s’est autodiffusée. Bientôt, les ouvrages seront diffusés par Makassar. Depuis les années 2000, environ 40 bandes dessinées ou textes illustrés ont été publiés, soit 3 par an pour des tirages allant de 500 à 1000 exemplaires. L’œuf couve tranquillement, mais prépare de beaux projets : un appel à contribution a été lancé dernièrement pour un album collectif sur la place des femmes dans la société. Le ton en dessin !
À Rennes, vous pourrez trouver les ouvrages à M’Enfin ou à la Cour des Miracles. Si Mandragore se réjouit de la vitalité de l’édition alternative en France, la situation rennaise n’est pas enviable. Côté bande dessinée, elle salue les collègues de Sixto (Nantes), Presque Lune (Melesse) ou La Chose (Rennes). Les éditions l’œuf font partie de la Rennaise d’édition (voir notre article), une association qui regroupe plusieurs éditeurs de la région (pensons à Goater, Pontcerq, Juillet, la rue Nantaise, etc.). Le but ? Travailler en collectif pour obtenir une meilleure visibilité, mutualiser du matériel et des connaissances. Et obtenir de la Mairie de Rennes un lieu… Malheureusement, on peut le déplorer, la politique culturelle de la ville ne se concentre pas vraiment sur le livre et l’édition. L’œuf n’est pas brouillé, juste déçu. À raison. Pensons, à Bordeaux, à la Fabrique Pola, dont le lieu est mis à disposition par la communauté urbaine et qui regroupe, dans le domaine éditorial, Cornélius, L’arbre vengeur, Fremok, Les Requins Marteaux (sans compter un atelier de sérigraphie, un partenaire juridique de la culture, une agence d’architecture, etc.). Vous connaissez Forcalquier-Lure, une communauté de communes de 9 450 habitants ? La Maison des métiers du livre a ouvert en 2010 un lieu pour « offrir aux acteurs de la filière un outil de développement par mutualisation de moyens ». En 2015, trois maisons d’édition s’y rassemblaient, en plus d’autres associations autour du livre. Les friches industrielles ne manquent pas à Rennes : la Zac Madeleine, en cours d’aménagement près du pont de Nantes, ne pourrait-elle pas abriter un tel lieu ? « Le programme prévoit la construction de 375 logements […]. Il est déjà prévu l’arrivée du siège du groupe immobilier Nexity, sur 1850 m2 : un immeuble de 5 niveaux conçu par le cabinet Wood Oriented Architecture ». Et dire que les anciens Magasins généraux pourraient devenir un lieu unique…
Site des éditions l’œuf
Site de la fabrique Pola